Le pic des défauts survient environ un an après la crise

Yves Hulmann

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Selon Eléonore Bunel de Lazard Frères Gestion, on s’oriente déjà vers une amélioration de la situation sur les marchés du crédit.

Début décembre, la faillite de la marque britannique Topshop active dans le prêt-à-porter avait marqué les esprits. Malgré tout, dans l’ensemble, des signes d’amélioration sont déjà perceptibles sur le marché du crédit. Dans un contexte de taux d’intérêt déjà très bas, les investisseurs devront se montrer prudents l'an prochain envers les titres de dette de qualité «investissement» («Investment Grade»), peu à même de supporter une éventuelle remontée des taux sur le long terme, et s’orienter davantage vers les emprunts à haut rendement («High Yield»), estime Lazard Frères Gestion. Explications d’Eléonore Bunel, Head of Fixed Income chez Lazard Frères Gestion. 

Comment évaluez-vous la situation actuelle pour les marchés du crédit, comparée à celle qui prévalait au printemps?

En mars, nous avions assisté à un très fort écartement des primes de risques crédit («spreads»). Depuis, le marché du crédit est quasi-revenu sur ses niveaux de fin 2019, grâce notamment aux forts soutiens monétaire et budgétaire mis en place à travers le monde. Les rendements crédit «Investment Grade» affichent même des rendements quasi nuls en raison de la forte baisse des taux observée cette année. En mars, de nombreux segments du marché obligataires se traitaient à des niveaux très attrayants – maintenant, il faut être plus sélectif.

«Dans la plupart des secteurs, les bilans des entreprises
ne sont pas si endommagés qu’on aurait pu le redouter ce printemps.»
Quelles sont actuellement les principales différences entre les emprunts de qualité «Investissement Grade» ou IG) et les obligations à haut rendement («High Yield», ou HY)? 

Dans le segment «Investment Grade», les émetteurs de ces obligations sont de bonne qualité allant sur l’échelle de notation des agences de rating de AAA à BBB-. De plus, ce segment bénéficie d’un support technique important grâce au programme d’achat de la Banque Centrale Européenne (BCE). Cependant, ces obligations offrent un rendement quasi nul aujourd’hui.

En revanche, les obligations High Yield sont des dettes émises par des émetteurs de moins bonne qualité, inférieurs à BBB-, mais offrant des rendements bien supérieurs. Ce segment continuera, selon nous, d’attirer des investisseurs à la recherche de rendements positifs dans cet environnement de taux extrêmement bas, et même négatifs.

Après l’amélioration observée durant le troisième trimestre, le quatrième trimestre n’est-il pas marqué par une forte remontée des risques pour les entreprises, susceptible se répercuter à terme sur les marchés obligataires?

En termes d’évolution globale, on peut dire que, dans l’ensemble, la reprise continue. Dans la plupart des secteurs, les bilans des entreprises ne sont pas si endommagés qu’on aurait pu le redouter ce printemps. Sauf dans quelques secteurs spécifiques comme le commerce de détail, les loisirs ou certaines activités liées aux transports. Pour ces secteurs, la reprise prendra beaucoup de temps. Si l’attention du public se concentre beaucoup sur les secteurs qui traversent actuellement des difficultés, on observe, dans l’ensemble, plutôt une amélioration sur les marchés du crédit. Ces dernières semaines, l’agence Moody’s a placé des perspectives positives sur les emprunts de plusieurs sociétés, ce qui présage de potentielles hausses de notations durant les prochains trimestres.

«Nous favorisons les actifs risqués comme le High Yield
ou les titres subordonnés qui offrent des rendements élevés.»
Quelles sont vos prévisions pour le premier trimestre de l’an prochain et pour 2021 en général?

Le premier semestre 2021 devrait voir les campagnes de vaccination commencer, ce qui devrait permettre un retour à une activité normale durant le deuxième semestre dans un contexte de soutiens monétaire et budgétaire toujours fort. Dans ce contexte, nous favorisons les actifs risqués comme le High Yield ou les titres subordonnés qui offrent des rendements élevés. Le potentiel de resserrement des primes de risque sur le marché du crédit sera limité en 2021. Il faudra donc investir sur des obligations offrant plus de rendement afin de bénéficier d’un portage élevé.

En termes de ratings, y a-t-il des segments à éviter? 

Même si cela peut sembler contre-intuitif, je pense qu’il faudra être prudent avec la dette de qualité «Investissement Grade». D’une part, car l’effet positif résultant de la baisse des taux d’intérêt a déjà eu lieu - il est peu probable qu’ils descendent encore plus beaucoup bas. D’autre part, les titres de dettes de qualité «Investissement Grade» ont un portage trop bas pour être à même d’encaisser une éventuelle remontée des taux ultérieurement. Si les taux remontent dans la partie longue de la courbe, cela sera négatif pour la dette IG. Quand l’économie dans son ensemble redémarrera, les taux longs vont aussi finir par remonter, donc certains investisseurs vont alors vendre de la dette souveraine et les emprunts d’entreprises de haute qualité.

Fin novembre, l’agence S&P Global avait indiqué dans une étude s’attendre à une hausse des taux de défaut à 8% d’ici à septembre 2021 pour la dette européenne d’entreprise de qualité spéculative, comparé à 4,3% en septembre passé. Avant que les choses ne commencent à vraiment s’améliorer, ne risque-t-on pas d’assister encore à une importante vague de défauts?

Nous pensons que cette évaluation est un peu trop pessimiste. A titre de comparaison, Moody’s prévoit un pic situé à 5,7% pour mars 2021, tandis que chez Lazard Frères Gestion nous évaluons ce pic aux environs de 5%. D’après notre expérience, le pic des défauts survient environ un an après la crise. Bien entendu, il continuera à y avoir des défauts mais ceux-ci ne seront pas si nombreux et ils se concentreront surtout sur quelques secteurs.

«Les Etats et les banques centrales resteront au chevet
de l’économie, au moins pendant encore quelques mois.»
Y a-t-il de grandes différences entre l’Europe et les Etats-Unis actuellement?

Une différence importante se situe au niveau de la rapidité avec laquelle la crise a déployé ses effets. A fin octobre dernier, le taux de défaut aux Etats-Unis était de 8,3%, ce qui correspond à 118 défauts d’entreprises. En comparaison, il n’atteignait que 4,2% en Europe, soit 31 défauts d’entreprises. L’augmentation plus rapide du nombre de défauts aux Etats-Unis s’explique notamment par l’exposition plus forte de l’économie à des secteurs très touchés par les conséquences de la pandémie comme le pétrole et le gaz, l’hôtellerie ou les loisirs. Et aussi par le fait qu’il est plus facile de placer sous la protection des faillites prévue dans le cadre des règles de «Chapter 11».

S’agissant du taux de défaut en Europe de 8% attendu en septembre 2021 par S&P Global, ce taux me paraît trop élevé et le moment du pic trop tardif – je l’anticiperais plutôt au printemps 2021.

Même si le pic du taux de défaut est désormais relativement proche, n’y a-t-il pas des secteurs à éviter absolument en 2021, comme celui du secteur aérien?

Bien sûr, le transport aérien est perçu comme le secteur de tous les dangers mais le trafic aérien devrait s’améliorer en 2021. Ce secteur a été fortement soutenu par les Etats, ce qui a permis aux entreprises de conserver une liquidité adéquate malgré des bilans endommagés et donc de traverser la crise.

Si une «troisième vague» de pandémie devait survenir l’an prochain, les entreprises de secteurs fragilisés pourront-elles encore compter à nouveau sur le soutien des Etats?

Oui, nous pensons que les Etats et les banques centrales resteront au chevet de l’économie, au moins pendant encore quelques mois. Les banques centrales feront tout pour maintenir les taux d’intérêt à des niveaux très bas. S’agissant de l’Europe, la BCE va veiller aussi à éviter tout risque de dislocation des taux entre le Nord et le Sud de l’Europe. En outre, je ne pense pas qu’une troisième vague aurait des effets aussi importants sur l’économie que lors de la première vague. On le voit déjà actuellement: la deuxième vague n’a pas eu le même impact sur l’économie, en général, que la première au printemps. Les mesures de confinement actuelles restent – comparativement - assez légères par rapport à celles mises en place ce printemps.

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