Pour être performant à moyen et long terme, il ne suffit pas de suivre les modes. Mieux vaut savoir capturer les trends haussiers et surtout éviter ou limiter les baisses. Classé meilleur fonds en actions américaines sur trois ans en 2023, le fonds Green Ash Centre American Select Equity Fund, lancé en 2016, a précisément démontré ses capacités à profiter de la hausse de la Big Tech mais aussi, et surtout, à bien se comporter lors de la baisse de 2022. James Abate, son gérant, répond aux questions d’Allnews:
Pouvez présenter votre stratégie?
Le fonds Green Ash Centre American Select Equity Fund se concentre sur les grandes capitalisations nord-américaines et son processus considère l’ensemble de l’univers d’investissement pour trouver les meilleures opportunités selon une approche très pragmatique et disciplinée. Nous sommes capables de privilégier des titres à forte croissance tels que ceux qui participent à la révolution de l’intelligence artificielle, des actions plus stables et défensives (souvent associées aux secteurs de la consommation de base et de la santé) ainsi que des valeurs cycliques de façon opportuniste, soit dans les matériaux industriels, l’énergie, les matières premières ou les services financiers.
Historiquement, nous utilisons une approche fondamentale qui combine l'analyse des perspectives de croissance d'une entreprise, son profil de risque, ainsi que la valorisation de son titre. L'objectif est de trouver des sociétés offrant davantage de potentiel de hausse que de risque de baisse, de bonnes sociétés lorsqu'elles sont aussi de bonnes valeurs, et de construire un portefeuille relativement concentré qui, dans son ensemble, participe à la plupart des hausses du marché tout en protégeant les investisseurs des baisses.
Durant toutes les phases de baisses et de crises des dernières années, le fonds a nettement mieux performé que la plupart des autres grâce à sa capacité à sélectionner des sociétés au bénéfice de l’asymétrie recherchée et à pondérer correctement les différentes positions en utilisant des outils propriétaires d’analyse de risque.
«C’est pourquoi nous avons trouvé depuis le début de l’année des opportunités dans des actions à haut dividende et des secteurs plus défensifs»
Quelles sont les limites à ce pragmatisme, par exemple en termes de cash?
Les fonds sera toujours entièrement investi, mais sur le plan tactique nous pouvons compléter nos positions en actions existantes en investissant dans des instruments de couverture tels que des options put afin de réduire la volatilité, ou, comme en ce moment, dans une position dans les Bons du Trésor à long terme, en raison de leur corrélation attractive, car négative, avec les actions. Nous avons été cités à titre élogieux comme étant «le fonds d'investissement que tout hedge fund aimerait être».
De nombreux family offices et hedge funds utilisent d’ailleurs notre fonds afin d’avoir une exposition à la hausse des actions combinée au confort offert par une protection à la baisse. Certains clients européens disent d’ailleurs qu'avec ce fonds, les investisseurs peuvent aller «West without going wild» (investir aux Etats-Unis sans excès). En effet, trop de gérants de fonds investissent dans une tendance haussière et, parfois, s'entichent trop de certains secteurs ou thèmes en raison de la dynamique des prix, même face à une détérioration fondamentale, sans savoir quand vendre leurs positions, et tombent dans l'abîme, comme ils l'ont fait en 2022 avec la technologie. En fin de compte, tout s'avère généralement cyclique.
Comment avez-vous géré la correction de cet été?
Notre fonds n’a jamais baissé de plus de 2% durant cette période. Nous n’avions pas d’options put pour nous protéger, mais la résistance du fonds est venue de la sélection des titres et de la taille des positions.
Nous traversons une période marquée par un fort consensus à l’égard de la robustesse des résultats d’entreprises, combiné à des valorisations excessives. Pour notre part, sur la base de notre analyse des fondamentaux des titres de notre univers, nous pensons que nous restons bloqués dans un environnement économique et bénéficiaire à croissance relativement lente, avec peu d'indications d'une accélération significative qui justifierait les attentes élevées qu'implique le niveau des indices boursiers. C’est pourquoi nous avons trouvé depuis le début de l’année des opportunités dans des actions à haut dividende et des secteurs plus défensifs qui nous ont bien aidé durant les dernières phases de turbulences.
Est-ce que l’on s’apprête à un vaste changement de leader comme en 2022? Est-ce le moment de sortir de la Big Tech et d’investir dans des secteurs défensifs?
Beaucoup de gérants n’avaient pas compris que 2022 serait une année de transition. En 2020, lors du marché haussier post-Covid, nous avons enregistré une très belle performance qui nous a placé dans les meilleures places du classement, car nous étions conscients que la résilience des bénéfices des grandes entreprises technologiques au cours de la période conduirait à une réévaluation significative de leur cours. Nous avions effectivement investi dans les groupes technologiques avant que le concept d’intelligence artificielle ne soit très populaire. A la fin 2021, nous avons toutefois vu que la valorisation des actions devenait excessive, dépassant largement l’amélioration de leur fondamentaux, et surtout nous avons compris que des secteurs comme l’énergie, les matériaux industriels, et certains secteurs de la consommation, étaient négligés par le marché et qu’ils allaient réaliser une reprise cyclique au moment de la réouverture de l’économie. Nous avons saisi cette opportunité dans ces secteurs peu prisés, mis en place une couverture tactique de notre exposition aux Big Tech, et le fonds n'a baissé que de 2 % en 2022. En 2023, après une période de contraction des multiples de valorisation (et de chute des prix) de nombreuses entreprises de technologie, nous nous avons réalloué du capital dans plusieurs de ces actions, en prenant des bénéfices sur la plupart de nos positions dans les secteurs de l'énergie et des matériaux.
Et aujourd’hui, que pensez-vous des marchés?
L’expérience est ici un atout. Je suis l’un des rares gérants toujours actifs ayant investi et géré des milliards de dollars dans la tech des années 1990, à l’époque chez Credit Suisse. La différence avec aujourd’hui réside dans le fait qu’il sera plus difficile de déterminer le sommet du marché qu’à l’époque de la bulle internet.
«Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans un circuit fermé dans le sens où les principaux acheteurs de services technologiques sont aussi des sociétés technologiques.»
En 2000, les acheteurs des produits technologiques étaient d'autres entreprises, tous secteurs confondus, qui cherchaient à améliorer la gestion des stocks et à réaliser d'autres gains de productivité. Pour comprendre que les dépenses allaient s’arrêter, il fallait anticiper les difficultés des secteurs traditionnels à maintenir leurs budgets informatiques. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans un circuit fermé dans le sens où les principaux acheteurs de services technologiques sont aussi des sociétés technologiques, avec ce qui semble être des sources de trésorerie illimitées. Les acheteurs de semi-conducteurs Nvidia sont Microsoft, Meta ou OpenAI. La question est de savoir comment ils amèneront les autres entreprises à acheter leurs produits en utilisant de nouvelles fonctionnalités basées sur l'IA qui répondent à leurs critères respectifs de retour sur investissement. La réponse n’est pas aisée car on ne sait pas encore si l'IA sera simplement une fonction à faible valeur ajoutée ou un produit distinct révolutionnaire. Cela dit, nous assistons au début d'un excès de dépenses, car les investissements excessifs réalisés aujourd'hui n'ont pas encore été monétisés de manière significative, mais il est trop tôt pour dire avec certitude que nous sommes proches du sommet.
Nous aimons bien des sociétés IA comme Nvidia, Meta, Alphabet, Amazon, mais nous sommes moins haussiers pour Microsoft et Apple.
Et pour le reste du marché?
Les investisseurs ne prennent pas assez compte le fait que les secteurs les plus cycliques du marché, comme les industrielles et les financières, escomptent déjà une très forte accélération des perspectives bénéficiaires, ce qui entraînera des déceptions.
Les opportunités nous semblent plus évidentes dans les secteurs défensifs traditionnels, dans les sociétés de consommation et de santé, voire dans les biotechnologies, ainsi que dans d'autres secteurs où nous voyons une marge de sécurité aux prix actuels des actions. Nous pensons que l'économie mondiale va continuer de fonctionner au ralenti, vulnérable à un recul de type «choc de la demande», alors que le marché anticipe une amélioration significative de l'économie et, par conséquent, des bénéfices. Un tel réveil, qui pourrait réconcilier la réalité avec les attentes du marché, sera probablement douloureux. Je pourrais établir un parallèle avec les attentes élevées en matière de bénéfices en 2001 ou même en 2007, dans une moindre mesure. En résumé, la probabilité d'une contraction économique est plus grande que celle d'une accélération.
Votre biais n’est-il pas cyclique, si l’on considère la pondération de votre portefeuille dans la tech?
Non, nous avons un biais défensif. Nvidia et la Big Tech est indépendante du cycle économique, au moins pour le moment, en raison de l'environnement en circuit fermé mentionné plus haut. Mais nous passons d’une situation de surpondération de l’IA à une équipondération.
Comment gérez-vous l’approche des élections présidentielles?
Le regard de l’investisseur doit porter sur trois aspects, les taux d’intérêt, le résultat des élections et la croissance de l’économie et des résultats d’entreprises.
Le taux directeur de la Fed devrait se rapprocher du taux des bons du Trésor à 2 ans. Cela signifie que la Fed baissera ses taux directeurs jusqu’à environ 4%, soit le niveau de l’objectif d’inflation de 2% plus un taux réel normalisé d’environ 2%, ce qui nous paraît sain.
Si Kamala Harris et les démocrates gagnent les élections, le Congrès demeurera probablement républicain. Et si Donald Trump s’impose, le Sénat sera probablement démocrate. C’est le meilleur scénario pour les affaires car cela signifie une forme de statu quo.
La seule crainte pourrait venir d’une hausse des impôts sur les entreprises comme aimerait le faire Kamala Harris. Une hausse du taux d’imposition de 21 à 28% réduirait les marges bénéficiaires. Ces dernières sont de 12% actuellement pour la moyenne des grandes sociétés cotées américaines et pourraient baisser à 10 ou 11%, ce qui pénaliserait la bourse, car l'expansion des marges a été l'une des principales sources de croissance des bénéfices au cours des dernières années.
La valorisation du marché est élevée. Craignez-vous une consolidation ou une forte correction?
La correction pourrait prendre la forme d’une stagnation durant une certaine période. En d'autres termes, il s'agit d'une correction temporelle plutôt que d'une forte correction des prix. Le marché est très cher actuellement: la croissance des bénéfices attendue en 2025 est de 15% pour un multiple des bénéfices de 22 fois. La question est de savoir si la baisse additionnelle des taux d’intérêt attendue compensera le ralentissement des attentes bénéficiaires. Je ne serais pas surpris si, dans 12 à 18 mois, le niveau de l’indice S&P 500 était au même niveau qu’aujourd’hui (5694 points). Bien qu'une correction temporelle soit frustrante pour les investisseurs indiciels passifs, elle constitue une bien meilleure alternative qu'une correction brutale des prix. Comme on dit, le problème avec les actions tient au fait qu’elles montent avec l’escalier et descendent avec l’ascenseur. Le risque d'un choc déclenchant une forte correction est toujours possible.
La prime de risque des actions (rendement attendu des actions par rapport aux obligations), selon notre mesure, est actuellement nulle, ce qui justifie (avec le risque d'une correction temporelle) notre position en bons du Trésor comme couverture partielle du risque de marché de nos positions sous-jacentes en actions plutôt qu'en options «put».
Contrairement à ce qui s'est passé en 2022, la corrélation entre les obligations et les actions redevient négative, ce qui offre des avantages en termes de diversification.
Que pensez-vous des matières premières comme le pétrole?
Le problème du pétrole est que, tout en étant une bonne couverture contre les risques géopolitiques, il est fondamentalement lié à la décélération de la demande due à la faible croissance de l'économie mondiale. A l'heure actuelle, hormis certaines sociétés d'extraction d'or, nous ne sommes exposés qu'aux sociétés liées au gaz naturel. Le prix du gaz naturel a été très déprimé mais il pourrait profiter d’un déficit d’exploration et de stockage ainsi que d’un hiver plus rigoureux en Europe, après deux hivers relativement doux. Kinder Morgan (KMI) et EQT Corp. sont nos favoris dans ce secteur.