Le juge de paix reste la performance

Nicolette de Joncaire

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La plus belle histoire du monde ne servira jamais à combler les défauts d'un produit. Entretien avec Naim Abou-Jaoudé de Candriam.

Candriam atteignait récemment des encours se montant à 150 milliards d’euros. Positionnée depuis 1996 en leader de l’investissement responsable, la société gère 98 milliards d'euros d’actifs dédiés aux produits et stratégies liés à l'ESG, soit deux tiers des actifs. Prochaine étape? 200 milliards à horizon 5 ans. Entretien avec Naim Abou-Jaoudé, CEO de Candriam et président de New York Life Investment Management International, en marge de l’Investor Seminar organisé à Genève en fin de semaine.

Vous avez passé il y a peu le cap des 150 milliards d’euros sous gestion. Estimez-vous avoir atteint un seuil critique?

Sans parler de «seuil critique», la barre des 150 milliards d’euros d’encours que vous évoquez représente en effet une étape importante pour notre développement. Ce résultat est d’autant plus satisfaisant que notre croissance depuis 7 ans – venant de 65 milliards d’euros – a été organique à 95% et que nous ne faisons pas de gestion passive! J’ai l’habitude de dire que Candriam est la «success story» la moins connue de la gestion d’actifs; je continue de le penser.

«Nous n’allons pas sacrifier la qualité pour la quantité.»

Cette nouvelle étape est une très belle récompense pour les équipes. Elle témoigne que nos produits fonctionnent bien et que nos clients nous font confiance. Elle nous apporte aussi beaucoup de confort pour continuer à nous développer à notre rythme, en renforçant nos équipes, en innovant et en ajoutant de nouvelles cordes à notre arc, comme nous l’avons fait dans l’illiquide depuis trois ans. Nous n’allons pas sacrifier la qualité pour la quantité. Et si dans 5 ans Candriam atteignait 200 milliards d’euros d’encours, nous en serions extrêmement fiers.

Quels sont les seuils qui, selon vous, déterminent une approche différente de la gestion? De quelle manière, si nécessaire, doit-on modifier son organisation?

Une entreprise de gestion d’actifs est un corps vivant qui doit savoir évoluer avec son temps, tout en préservant son identité. Quand j’ai commencé ma carrière il y a 30 ans, le marketing, la gestion passive ou le digital n’existaient pas ou à peine. Pour moi, l’important est de ne pas succomber aux modes mais de s’inscrire sur le long terme, en misant sur les personnes et en intégrant continuellement les évolutions des besoins clients.

Il n’est pas rare de trouver chez Candriam des personnes et des processus de gestion ayant plusieurs dizaines d’années d’ancienneté. C’est cette loyauté et cette résilience qui ont fait le succès de Candriam jusqu’à présent. Et je crois sincèrement que ce sont ces mêmes ingrédients qui nous permettront de construire les succès de demain.

Quelle est la proportion des actifs durables dans vos encours?

Les actifs sous gestion dédiés aux produits et stratégies liés à l'ESG atteignent désormais 98 milliards d'euros, soit deux tiers de nos encours. L'ESG reste au cœur de notre activité, et nos résultats au premier semestre 2021 le démontrent, puisque 90% de notre collecte provient de ces produits. Pour toutes les équipes qui ont bâti nos track records sur les produits ESG – parfois depuis plusieurs dizaines d’années –, il est extraordinairement satisfaisant que l’offre rencontre enfin la demande.

La définition de la durabilité n’est pas la même d’un acteur à l’autre. Estimez-vous que des standards, telle la taxonomie européenne sont indispensables?

Oui, résolument oui ! En quelques années la durabilité a fait du chemin: elle était un sujet d’experts, elle est désormais sur beaucoup de lèvres. C’est une très bonne chose, étant donné la dimension exceptionnelle des défis que nous devons relever. Mais il faut encore accélérer le mouvement, et pour cela il est absolument essentiel d’adopter un langage commun. C’est ce qu’essaie de construire l’Europe avec exemplarité depuis quelques années. La taxonomie a l’immense mérite d’exister, d’éduquer et d’offrir une grille de lecture commune. Espérons que son influence s’étende désormais rapidement au-delà de ses propres frontières. Parce que, en définitive, tous ce que nous allons devoir mettre en place pour définir, concevoir ou financer les projets durables – un cadre réglementaire, une taxe carbone, des standards de données, etc. – va devoir être global. L’Europe ne représente que 10% des émissions de gaz à effet de serre; agir sans les Etats-Unis et la Chine, par exemple, n’aurait aucun sens.

«Notre stratégie de croissance externe peut être résumée en un mot: complémentarité.»
Pourquoi la gestion thématique rencontre-t-elle un tel succès auprès des investisseurs?

La gestion thématique est un outil formidable pour rapprocher l’épargnant de l’investissement, car la technicité du produit s’efface derrière l’histoire qu’il raconte.

Prenons un exemple: si je vous propose d’investir dans un fonds d’actions européennes lambda ou dans un fonds dont l’objectif est de combattre le cancer, vous serez sans doute plus curieuse de découvrir le second et les sociétés dans lesquelles il investit. Et si, en plus, ce produit reverse 10% de ses frais de gestion à des organismes de lutte contre la maladie, il donne du sens à l’investissement. C’est exactement ce que nous avons fait avec notre stratégie dédiée à l’oncologie – à travers laquelle Candriam soutient la Swiss Cancer Foundation – et, en deux ans à peine, elle a atteint la barre des deux milliards d’euros d’encours.

Mais bien entendu, le juge de paix reste la performance. Si elle n’est pas au rendez-vous, vous aurez beau avoir la plus belle histoire du monde, elle ne servira pas à combler les manques du produit. C’est pourquoi nous travaillons le choix de nos thématiques de façon extrêmement minutieuse, en nous assurant de leur potentiel pour l’investisseur sur la durée.

Quelles sont vos ambitions en termes de taille et de diversification pour les prochaines années ? Avec quelles échéances?

Pour l’ambition, j’ai déjà évoqué le chiffre de 200 milliards d’euros à horizon 5 ans. Pour le reste, nous continuerons à chercher à offrir la meilleure proposition de valeur à nos clients en termes de solutions et de services, à étendre notre couverture clients par segment et par zone géographique et à investir dans nos talents et notre plateforme.

La croissance externe par acquisitions de marchés de niche (comme avec Kartesia ou avec Tristan Capital Partners) continuera-t-elle à faire partie de votre stratégie?

Oui tout à fait. Notre stratégie de croissance externe peut être résumée en un mot: complémentarité. Notre entrée dans la dette privée avec Kartesia et dans l’immobilier non coté avec Tristan Capital Partners ans a été très bien accueillie par nos clients. Là encore, nous allons persévérer dans cette voie au cours des prochaines années.

Que représente le marché suisse à vos yeux?

Le marché suisse est un marché historique pour Candriam: cela fait une vingtaine d’année que nous sommes présents à Genève et Zurich. C’est un marché en pleine croissance avec des investisseurs sophistiqués ayant une affinité prononcée pour les investissements durables. Ceci – et notre expertise en gestion thématique – explique en particulier que Candriam ait triplé ses actifs sous gestion sur les 3 dernières années ici. La Suisse et Candriam, c’est une longue histoire d’amitié!

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