Après des années de désillusion pour les investisseurs, en grande partie dues à un long cycle de déflation, l’économie japonaise a clairement retrouvé de son dynamisme. Les réformes structurelles engagées ces dernières années ont été poursuivies en 2024 et ont porté leurs fruits. Le Nikkei a ainsi enregistré une progression de 19,22 % sur l’année, clôturant à 39 894,54 points, son plus haut niveau historique. Malgré cette forte hausse, la valorisation des entreprises japonaises demeure tout à fait intéressante et prometteuse pour l’avenir.
Cela dit, le marché japonais a souffert des mesures protectionnistes annoncées par l’administration Trump. L’industrie automobile nippone, fortement tournée vers l’exportation vers les Etats-Unis, figure parmi les secteurs les plus exposés. Comme les autres grandes places financières mondiales, le Nikkei a donc connu un repli. Néanmoins, à long terme, le Japon semble mieux préparé que d’autres économies pour affronter les turbulences provoquées par ces tensions commerciales.
Trop souvent éclipsé par la Chine et l’Inde, le Japon a su faire preuve de résilience et de patience. Le pays reste à l’origine de success stories emblématiques telles que Toyota, Nintendo ou encore Sony. Autant d’atouts qui confortent la position du Japon comme une destination d’investissement attrayante sur la scène mondiale, comme nous l’explique Kévin Net, responsable du pôle Asie chez La Financière de l’Échiquier (LFDE), dans cette interview.
Contrairement à la Chine ou à d’autres grandes places boursières, le Japon et le Nikkei suscitent moins d’attention. Comment expliquer ce relatif désintérêt pour le marché japonais?
Ce désamour trouve ses racines dans les fameuses «décennies perdues», survenues après l’éclatement de la bulle spéculative à la fin des années 1980. Le pays a alors traversé une longue période de déflation, dont il semble aujourd’hui enfin émerger, porté notamment par des hausses de salaires significatives au cours des trois dernières années.
Parallèlement, les entreprises japonaises, encouragées par le Tokyo Stock Exchange, ont adopté de nouvelles stratégies centrées sur l’amélioration de la rentabilité de leurs fonds propres. Ces efforts passent notamment par une augmentation significative des rachats d’actions et une réduction des participations croisées.
Concrètement, comment se porte la place boursière japonaise depuis le début de l’année?
Après deux années consécutives de hausse à deux chiffres, le marché japonais a démarré l’année sur une légère baisse, laquelle s’est accentuée avec la résurgence des tensions liées à la guerre commerciale. Pour autant, les fondamentaux du marché demeurent, à savoir la sortie de déflation et l’amélioration du ROE – la rentabilité des capitaux propres - des entreprises japonaises. De plus, on observe une nette surperformance des valeurs domestiques, qui profitent notamment d’une amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs japonais.
La question de l’inflation y semble beaucoup moins problématique qu’en Europe ou aux USA, pour quelles raisons?
Contrairement au reste du monde, le retour de l’inflation au Japon est une bonne nouvelle après plus de vingt ans de déflation.
Quelles marges de manœuvre la Banque du Japon dispose-t-elle pour réagir en cas de flambée inflationniste en 2025?
Après plusieurs années de politique monétaire ultra-accommodante, la Banque du Japon a amorcé la normalisation de sa politique monétaire. Deux hausses de taux ont été opérées en 2024, suivies d’une troisième en janvier dernier. Le consensus prévoyait initialement deux nouvelles hausses pour 2025. Toutefois, ces anticipations ont été révisées à la baisse – désormais à zéro – à la suite de l’annonce par l’administration Trump de nouveaux tarifs douaniers.
Qu’en est-il du yen? Son évolution pourrait-elle inciter les investisseurs à revenir sur le marché japonais?
En raison des anticipations de hausses de taux, le yen devrait poursuivre son appréciation graduelle. Bien que les investisseurs globaux aient tendance à préférer un yen faible, qui favorise les valeurs exportatrices, nous pensons que le momentum actuel favorable aux valeurs domestiques, ainsi qu’un niveau de valorisation très attractif pourrait pousser les investisseurs à s’intéresser de nouveau au marché japonais.
Dans le contexte actuel de guerre commerciale, quelles pourraient être les conséquences pour l’économie japonaise?
Il est assez difficile pour l’instant de donner une réponse précise à cette question tant la situation demeure mouvante. Avec l’instauration de nouveaux tarifs douaniers de 24% sur les exportations japonaises vers les Etats-Unis – s’ajoutant aux 25% déjà en vigueur sur le secteur automobile – les économistes anticipent un ralentissement notable de la croissance japonaise, la prévision de PIB pour 2025 passant de 0,8% à seulement 0,3%.
Néanmoins, nous pensons que le Japon est particulièrement bien positionné pour négocier avec l’administration Trump, en proposant notamment d’augmenter ses achats de gaz naturel liquéfié (GNL) et d’équipements militaires. Un levier supplémentaire réside dans l’encouragement à investir davantage aux États-Unis, à l’image de l’annonce récente du groupe SoftBank, qui prévoit d’injecter 100 milliards de dollars sur le territoire américain au cours des quatre prochaines années.
Quelles sont les opportunités d’investissement au Japon actuellement? Dans quels actifs se positionner pour les trimestres et années à venir?
Compte tenu du contexte évoqué précédemment, nous restons particulièrement confiants quant au potentiel des valeurs domestiques à court terme. Nous privilégions notamment les valeurs de consommation, ainsi que les entreprises tirant parti de l’augmentation des dépenses d’investissement (capex) au Japon, telles que celles actives dans la construction, les équipements électriques, et les services IT.
Sur un horizon plus long, nous estimons que les banques japonaises offrent des perspectives intéressantes, en raison de la hausse attendue des taux et à l’amélioration du retour à l’actionnaire. Enfin, la volatilité actuelle pourrait créer des points d’entrée attractifs sur certaines grandes valeurs exportatrices japonaises, leaders mondiaux dans leurs secteurs, en particulier dans la technologie et l’industrie.