Créée en 2006 pour répondre aux besoins d’investisseurs norvégiens désirant investir dans l’immobilier suisse, Helvetica est aujourd’hui un partenaire pour les investisseurs institutionnels suisses (grandes banques, caisses de pension, family offices). Son premier fonds, Helvetica Swiss Commercial Fund, a été coté en 2019. Le gestionnaire de fonds a également un fonds résidentiel, Helvetica Swiss Living Fund et Helvetica Swiss Opportunity Fund, qui se concentre sur l'immobilier commercial spécialisé, ainsi qu’une fondation de placement, Helvetica Life Investment Foundation, laquelle entend lever plus de 60 millions de francs d’ici mars 2025. Les actifs de ses différents fonds atteignent 1,7 milliard de francs.
Le groupe est depuis le 2 avril dernier dirigé par Marc Giraudon, lequel a succédé au fondateur Hans R. Holdener. Ce dernier demeure actionnaire majoritaire mais il s’est retiré de l’opérationnel. Rencontré dans son bureau, à Zurich, Marc Giraudon répond aux questions d’Allnews:
Qu’avez-vous entrepris au cours de vos sept premiers mois à la tête de la société?
Le fait de ne pas maîtriser l’allemand -mais je l’apprends-, c’est un atout parce qu’il m’évite de ne pas m’investir dans les détails de la vie de l’entreprise. Je laisse travailler mon équipe de collaborateurs et je laisse nos gérants décider des besoins et des ressources de chaque immeuble. Je me contente de les superviser et d’analyser les fondamentaux des immeubles et des villes. Dans l’immobilier, chaque bâtiment a sa propre vie.
«Nous sommes nettement plus actifs que la moyenne dans la gestion des immeubles en portefeuille».
J’ai travaillé pendant dix ans pour un groupe américain qui m’a permis d’ouvrir des bureaux en France, en Italie, en Espagne, en Pologne, en République tchèque, de travailler également en Russie et en Libye. Chaque marché immobilier est différent et a ses propres réseaux. Mieux vaut ne pas essayer de ne pas rentrer sur un marché dont on ne connaît pas les spécificités.
En quoi consiste votre stratégie?
Nous essayons d’élargir notre base d’investisseurs en leur présentant nos différents produits. Helvetica Life Investment Foundation est par exemple une fondation d’investissement, qui s’est spécialisée dans les immeubles les mieux classés en termes ESG. Les caisses de pension publiques sont très friandes de ce genre de segment. Une dizaine de caisses de pension ont signalé leur vif intérêt.
Est-ce que l’intérêt se concentre exclusivement sur les immeubles répondant aux catégories ESG supérieures?
Il existe également un intérêt pour le reste du marché, les biens immobiliers dits d'impact, que nous rénovons sur le plan énergétique afin qu'ils correspondent à la stratégie d'investissement. D’ailleurs, il n’est pas aisé de trouver suffisamment d’immeubles susceptibles d’être acquis par Helvetica Life Investment Foundation. Un équilibre est à trouver en termes d’ESG et de prix. Nos investisseurs sont attirés par la qualité ESG des bâtiments mais d’autres considérations entrent en jeu, notamment le rendement. Car ce sont justement les caisses de pension qui agissent et investissent dans l'intérêt de leurs clients, les retraités.
Cette année, la performance des fonds immobiliers cotés atteint 13%, celle de votre fonds Helvetica Commercial 33%. Mais quelle est la différence entre vos fonds et le reste du marché?
La hausse des cours du fonds commercial a débuté à la fin mars, lorsque nous avons présenté les résultats 2023 aux investisseurs. Nous avons expliqué notre stratégie en détail, laquelle consiste à adopter un Business Plan à 10 ans pour chaque bâtiment.
La grande différence avec le reste du marché consiste à rester fidèle à cette stratégie alors que l’industrie a coutume de viser une hausse des actifs sous gestion. Chez nous, chaque immeuble s’inscrit dans cette stratégie ou est vendu. C’est nouveau pour le marché suisse. Les fonds immobiliers suisses achètent et gardent éternellement leurs investissements. Nous nous sommes séparés de plusieurs immeubles pour un total de 200 millions de francs ces derniers mois et d'autres suivront d'ici la fin de l'année.
«Nous nous concentrons sur les banlieues aussi bien dans l’immobilier résidentiel que dans le commercial.»
Nous sommes nettement plus actifs que la moyenne dans la gestion des immeubles en portefeuille. Les raisons des réalisations sont pour chaque bâtiment différentes.
Nous avions aussi un taux d’endettement relativement élevé. En le réduisant, nous pouvions baisser la charge d’intérêts. Nous pouvons ainsi accroître notre flexibilité et saisir les opportunités qui se présentent sur le marché.
Les ventes ont concerné non pas nécessairement les bâtiments les plus chers mais ceux qui s’inscrivaient le moins bien dans notre stratégie, soit en raison de leur situation, soit de leur moins bonne qualité et de leur besoin de rénovation. Nos ventes ont davantage porté sur l’immobilier commercial simplement du fait que ce fonds gère davantage d’actifs que les autres.
Notre force réside dans notre évaluation du marché, dans notre capacité à acheter à un bon prix au bon moment, et dans notre proximité avec les besoins des locataires.
Pourquoi estimez-vous que les opportunités se situent dans les banlieues?
Le rendement est trop bas dans les centre-villes. Dans les banlieues, les familles restent souvent plus de dix ans dans un bâtiment qui comprend des espaces de loisirs et des places de jeux. Ils s’y créent de vraies communautés, en réponse au processus de socialisation et d’éducation des enfants. Le rendement est plus élevé dans les agglomérations que dans les centre-villes. Il oscille entre 2 et 4% net.
Le rendement sera différent pour Helvetica Life, où nous avons prévu d’avoir deux types de bâtiments, le premier avec des notes ESG élevées (GEAK a, b ou c), le second, que nous appelons «impact» avec des bâtiments qui ont besoin de rénovation.
Nous nous concentrons sur les banlieues aussi bien dans l’immobilier résidentiel que dans le commercial.
Que pensez-vous des difficultés à augmenter les loyers après les rénovations?
La question se pose différemment selon les régions. La situation est plus compliquée en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. C’est un réel problème mais nous ne cherchons pas à maximiser le rendement à court terme.
Dans les banlieues, les rénovations à des fins énergétiques, qui touchent le chauffage, les fenêtres et les façades, sont plus faciles à entreprendre que dans les centre-villes.
«A plus long terme, je ne serais pas étonné que nous disposions d'un bureau en Suisse romande».
Dans certains pays, le niveau ESG recherché par les autorités est parfois si élevé qu’il en devient problématique, car trop coûteux pour certains fonds immobiliers. Même en Suisse, il est parfois coûteux de rénover pour augmenter le rating GEAK, à moins de supprimer deux ou trois appartements par bâtiment.
Est-ce que la baisse des taux d’intérêt vous amène à accroître votre endettement?
La performance du marché immobilier profite évidemment de la baisse des taux d’intérêt. Mais nous n’augmentons pas notre taux d’endettement. La Finma nous oblige d’ailleurs à ne pas dépasser 33% de taux d’endettement. Nous visons un taux de 25 à 28% afin de disposer d’une marge de manœuvre optimale pour saisir les opportunités.
Quelle est votre analyse du sentiment du marché?
Le sentiment du marché est très positif et il le sera encore davantage après la prochaine baisse des taux d’intérêt de la Banque nationale. Le marché profite aussi de la hausse structurelle de la demande. Naturellement, nous en profiterons pour lever de nouveaux fonds dès que nous observerons suffisamment d’opportunités. Les levées de fonds nous permettent aussi de baisser notre taux d’endettement.
Les fonds immobiliers s’adressent souvent aux investisseurs en leur présentant une liste des bâtiments qu’ils entendent acquérir. Les vendeurs le savent aussi et ajustent leurs prix.
Est-ce que vous qualifieriez la valorisation de chère mais correcte?
La valorisation des bâtiments est très saine en Suisse, comparativement à la volatilité d’autres marchés tels que les Etats-Unis, le Royaume Uni ou le reste de l’Europe. Il en résulte un marché immobilier très stable et une économie en bonne santé. Ces facteurs permettent de conserver ou même de renforcer la confiance des investisseurs. Cela signifie aussi que la monnaie suisse est très forte, ce qui, aux côtés de la Lex Koller, complique l’accès des investisseurs étrangers.
Quel rendement à trois ans peut-on espérer?
Je m’attends à une hausse modeste, et avant tout liée à la baisse des taux d’intérêt, sur le marché immobilier suisse d’ici trois ans. La stabilité est de mise en Suisse. Cele en fait un formidable atout auprès des institutionnels. Les caisses de pension ne cherchent pas la volatilité.
Comment collaborez-vous avec les investisseurs immobiliers individuels?
Les investisseurs individuels ont une approche différente. Cela pourrait nous amener à créer des coentreprises. Face aux difficultés qu’ils rencontreront lorsqu’il s’agira d’améliorer la qualité ESG de leurs immeubles, les privés pourraient nous apporter leurs bâtiments tandis que nous apporterions notre savoir pour améliorer la note ESG. Il s’agit naturellement de prendre garde aux conflits d’intérêts possibles entre notre gestion des bâtiments et nos fonds.
Entre les actions immobilières et les fonds, quel est l’instrument le plus adéquat aujourd’hui pour investir dans l’immobilier suisse?
L’investisseur qui privilégie la stabilité doit privilégier les fonds. Le rendement est inférieur, mais l’investisseur profite de la garantie d’être réglementé par la Finma.
Que représente la Suisse romande dans vos fonds et dans votre stratégie?
Nous n’avons qu’une poignée d’immeubles en Suisse romande. C’est un marché et une culture très différents. Or dans l’immobilier, la connaissance des particularismes de chaque ville est très importante. L’un des objectifs stratégiques à moyen terme consiste à être plus présent en Suisse romande. La première étape passe par l’engagement de professionnels romands et la création de partenariats. A plus long terme, je ne serais pas étonné que nous disposions d'un bureau en Suisse romande.