Le cash n’est pas une solution

Anne Barrat

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Pourquoi faut-il résister à la tentation du cash même en temps d’incertitudes? Réponse de Gerald Moser, Chief Market Strategist chez Barclays.

Les incertitudes que prévoyaient fin 2019 la filiale helvétique de l’une des plus anciennes institutions financières britanniques ont pesé sur les marchés en 2020, sans être à ce jour levées. Qu’elles soient liées aux résultats de l’élection américaine du 3 novembre prochain, au plan de sortie du Royaume-Uni de l’UE, aux tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, ou encore aux avatars du coronavirus et à leurs impacts économiques, elles rendent les investisseurs hésitants à prendre des positions sur les marchés. Le point avec Gerald Moser, Chief Market Strategist chez Barclays.

Incertitudes et excès de liquidités dominent les marchés. Quelle stratégie adopter pour les investisseurs dans ce contexte?

S’il est impossible de prédire d’une part l’issue des incertitudes que vous avez rappelées, d’autre part la politique des banques centrales, donc quand précisément les taux et l’inflation remonteront (à horizon de 2 à 3 ans), il est en revanche clair pour nous que les investisseurs doivent rester, sinon entrer, sur les marchés en suivant deux maitres-mots: diversification et sélection. Le temps du 60/40 (60% actions, 40% obligations) a vécu, les obligations ne jouent plus leur rôle de diversification positive du portefeuille, leur contribution est au mieux quasi-nulle – rendement annuel de 1% en Grèce ou en Italie –, souvent négative – en Suisse ou en Allemagne. La sélection est primordiale: sélection entre classes d’actifs d’une part, sélection au sein d’une même classe d’autre part – en privilégiant le prisme ESG pour la sélection des sociétés tant il est avéré que ce sont celles qui performent le mieux car elles ont identifié les opportunités pérennes ainsi que les risques. 

Ces deux convictions fortes sont à nos yeux les meilleurs outils de protection du portefeuille, là où rester investi en cash n’est pas une solution. 

«Après dix années difficiles, les hedge funds profitent
de la volatilité des marchés pour faire leur retour.»
Quelles alternatives pensez-vous pertinentes?

La diversification passe aujourd’hui par d’autres classes d’actif que par le crédit, l’or notamment mais pas seulement. L’objectif de cette diversification étant une stratégie d’allocation d’actifs non corrélée, les pistes comprennent les hedge funds, les marchés privés, dette et equity, les actifs réels. Après dix années difficiles, les hedge funds profitent de la volatilité des marchés pour faire leur retour et afficher de belles performances pour certains d’entre eux. Quant aux marchés privés, le moment est propice pour y entrer, pour peu que l’on applique une sélection rigoureuse, tant l’éventail des performances est grand. Une double exposition s’impose. Au private equity d’une part, à travers soit des fonds soit des investissements directs dans des start-ups au business model prometteur et durable – de plus en plus de sociétés lèvent 2, 3, 4 fois des fonds sur les marchés privés avant leur entrée en bourse. A la dette d’autre part, en particulier au marché secondaire de la distressed debt, qui offre des opportunités de forts rendements et de décorrélation. Les actifs réels enfin, doivent être présents dans un portefeuille diversifié en 2020, que ce soit à travers des fonds immobiliers ou des fonds en infrastructures.

Les marchés actions sont chers, faut-il quand même rentrer?

C’est une question classique que posent les investisseurs, qui ont tendance à attendre une baisse des marchés pour entrer. L’expérience prouve qu’il est difficile de choisir le bon moment. Il est en fait toujours intéressant de rentrer sur les marchés, pour la raison que je viens de donner, mais aussi parce que la cherté des actions est affaire de perception relative et non absolue. Ainsi, si l’on compare les actions aux obligations: le PER des actions atteint certes des niveaux comparables à ceux de la bulle technologique de 2000, mais la prime de risque est plus élevée aujourd’hui (3 à 4%) qu’alors, autrement dit, la rémunération de l’investissement en actions vs obligations est meilleure. Il en va de même de la comparaison entre actions et cash: détenir du cash avec des rémunérations nulles ou même négatives et un niveau d’inflation proche de 2% coûte de l’argent. La valorisation d’un actif à un instant t est un bon indicateur de sa performance à long terme, mais à court-terme, une action dite «chère» aujourd’hui peut l’être plus encore dans 3 mois. La valorisation n’est pas un indicateur de court-terme mais un ancrage à long-terme.

«Il paraît probable que le niveau de performance moyen actuelle
des indices actions sera difficile à conserver dans les dix prochaines années.»

Cela étant rappelé, force est de reconnaître que la situation est délicate aujourd’hui, où toutes les classes d’actifs sont «chères», et qu’il paraît probable que le niveau de performance moyen actuelle des indices actions (8 à 9%) sera difficile à conserver dans les dix prochaines années. Ce qui est certain, c’est que seule une gestion active fait sens, au détriment de la détention d’ETF qui ont été si populaires cette dernière décennie. Une gestion fondée sur une sélection de valeurs en fonction de quatre thèmes disruptifs: changement climatique et monde durable; digitalisation et société connectée; changements démographiques; local versus global. Toutes les sociétés qui offrent une exposition à l’un sinon plusieurs de ces thèmes sont celles qui feront la différence, et connaîtront une croissance réelle et pas seulement de leur valorisation.

Quid des crypto-monnaies?

Elles pourraient être un outil de diversification dans l’absolu, dans un environnement où la crédibilité des monnaies émises par les banques centrales a perdu de sa force, mais leur dépendance au bon vouloir des régulateurs pose problème. Même si nous croyons dans l’avenir de la blockchain, la technologie sous-jacente aux cryptomonnaies, tant que la question de leur encadrement par les régulateurs n’aura pas été réglée, leur inclusion dans la liste des classes d’actifs que l’on peut proposer sera entravée.