L'attrait des fournisseurs de technologies pour les services financiers

Yves Hulmann

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Guy de Blonay, gérant chez Jupiter AM, préfère investir dans les sociétés de solutions de paiement plutôt que dans les banques elles-mêmes.

En mars, les valeurs financières avaient été frappées de plein fouet par la chute des marchés, avant de pouvoir ensuite effacer une partie de leurs pertes. A fin mai, l’indice MSCI World Financials affichait néanmoins encore une baisse d’environ 25% depuis début janvier, comparé à un recul limité à 8% pour l’indice élargi MSCI World. Si les actions de beaucoup de banques et d’assurances évoluent toujours en territoire négatif, les titres plusieurs autres sociétés qui ont une activité en lien avec le secteur financier, par exemple les fournisseurs de solutions de paiement ou les exploitants des bourses, sont en hausse depuis janvier. Quels segments sont les plus attrayants actuellement? Le point avec Guy de Blonay, gérant de fonds chez Jupiter Asset Management et spécialiste du secteur financier.

«Nous sommes entrés dans la crise avec une exposition très réduite
et sélective aux actions des banques et des assurances.»
Avez-vous été surpris par l’ampleur de la correction qui a affecté les valeurs financières entre fin février et la mi-mars?

Non, je n’ai pas vraiment été surpris par le mouvement de panique qui a affecté les valeurs du secteur financier, tout comme cela a du reste été le cas dans plusieurs autres branches. Bien sûr, nous n’avions pas prévu l’ampleur qu’allait prendre cette crise en raison d’un virus entièrement inconnu quelques mois auparavant. Néanmoins, le mouvement de panique survenu début mars s’explique aussi par des prises de bénéfices qui ont fait suite à une longue phase de forte hausse des marchés. Il faut aussi se rappeler que ce n’est pas la première fois que les marchés ont corrigé sévèrement durant les dernières années. Les marchés avaient lourdement chuté en décembre 2018, avant de se ressaisir à partir de janvier 2019 lorsque la Fed a changé de rhétorique. Dès janvier 2020, nous avions observé des signaux mixtes sur les marchés qui nous ont incité à la prudence. Nous sommes ainsi entrés dans la crise avec une exposition très réduite et sélective aux actions des banques et des assurances. Nous étions alors davantage investis dans des firmes actives dans les nouvelles technologies en lien avec le secteur financier.

Qu’en est-il des banques suisses comparé au reste du secteur?

Dans la crise récente, je pense que les banques suisses disposent, en tant qu’investissement, d’un avantage important par rapport aux autres établissements bancaires européens. Les deux grandes banques suisses, tout comme la BCV, n’ont par exemple pas annoncé d’annulation du versement de leurs dividendes durant l’année en cours. C’est un avantage important par rapport aux autres valeurs européennes qui pourraient ne plus payer aucun dividende jusqu’au 1er janvier 2021 si une directive à ce sujet est validée par les autorités européennes d’ici à fin juin.

«Il y a de bonnes chances que les marchés continueront
à être enthousiastes à propos de la reprise à venir.»
A l’inverse, le net rebond des valeurs financières entre avril et début juin vous a-t-il surpris?

Comme pour d’autres secteurs, cette remontée est intervenue dans le contexte des interventions très importantes annoncées par les banques centrales depuis mars. Les banques centrales ont clairement fait part de leur volonté d’éviter une crise de liquidités, telle qu’elle était survenue en 2008 suite à leur réaction trop tardive. La capacité d’action des banques centrales, renforcée par d’autres mesures budgétaires ou fiscales, a permis ce rebond. La forte remontée des marchés des actions en avril et mai s’explique ainsi à la fois par l’importance de ces mesures, à quoi sont venues s’ajouter, ensuite, des données plus positives concernant le confinement.

Le rebond des marchés n’a-t-il pas été un peu trop rapide à partir du mois de mai?

Ce fort rebond s’explique par le fait qu’il y a un enthousiasme pour une reprise en forme de «V» plutôt qu’en forme de «U». La situation meilleure que prévue sur le marché du travail aux Etats-Unis, avec la création de 2,5 millions d’emplois en mai, y a aussi contribué. Bien entendu, il faut rester prudent et personne ne peut prédire aujourd’hui s’il y aura ou non une deuxième vague, ni où. Néanmoins, on dispose maintenant d’une certaine visibilité sur la façon avec laquelle on doit se comporter et comment les autorités peuvent réagir. Je pense ainsi qu’il y a de bonnes chances que les marchés continueront à être enthousiastes à propos de la reprise à venir.

«LSE n’est plus une cible mais agit plutôt
comme consolidateur dans la branche.»
S’agissant des titres qui figurent dans vos différents fonds, on peut remarquer que la London Stock Exchange (LSE), l’exploitant de la bourse de Londres, et Deutsche Boerse figurent parmi les cinq premières positions de vos stratégies dans le secteur financier. Est-un simple hasard?

Ce n’est évidemment pas un hasard. Concernant LSE, ce groupe avait été pendant longtemps été considéré comme un candidat à une fusion ou à une acquisition, que ce soit dans le cadre de rapprochement envisagé avec Deutsche Boerse ou avec la Hong Kong Stock Exchange (HKSE). Maintenant, ce n’est plus le cas. En outre, aujourd’hui, le groupe LSE n’est plus seulement vu comme un opérateur boursier mais il est présent dans trois domaines d’activités clés pour les services financiers. Premièrement, il y a les solutions de paiement qui sont essentielles pour accompagner l’essor du commerce électronique. Deuxièmement, il y a les aspects liés à la sécurité en lien avec le secteur financier. Troisièmement, l’analyse des données. Dans ce dernier domaine, LSE Group contrôle la société Refinitiv spécialisée dans ce segment. Auparavant, la HKSE, lorsqu’elle ambitionnait de reprendre la LSE, voulait que cette dernière se sépare de Refinitiv. Désormais, LSE n’est plus une cible mais agit plutôt comme consolidateur dans la branche. Quant à Deutsche Boerse, c’est une société qui profite du fait que les volumes des échanges tendent à augmenter.

Vous investissez aussi dans des sociétés spécialisées dans les solutions de paiement comme Paypal et Global Payments. N’est-ce pas un domaine où les marges s’amenuisent constamment?

Les solutions de paiement constituent un rouage essentiel dans le contexte du passage d’une économie basée sur le cash à une économie numérique. La crise du coronavirus a largement contribué à accélérer cette transition comme on l’a vu. Bien sûr, c’est un peu de la chance si nous avions déjà une position importante dans Paypal avant la pandémie. Nous avions acheté ce titre car nous anticipions que la demande pour les solutions de paiement allait de toute façon s’accélérer. Aujourd’hui, ce titre vaut nettement plus qu’en début d’année. La société italienne Nexi, spécialisée dans les systèmes de paiement, profite aussi de cette tendance.

«Si je peux estimer ce que la BCV générera comme résultat dans trois ans,
alors oui, je suis prêt à payer plus cher pour pouvoir profiter de cette certitude.»
Dans vos stratégies portant sur le secteur financier, on trouve un seul établissement suisse parmi les dix plus grandes positions, à savoir la Banque Cantonale Vaudoise (BCV). Pourquoi détenez-vous une position aussi importante dans ce titre parfois jugé cher par certains analystes?

En fonction de certains critères d’évaluation ou «metrics», le titre de la Banque Cantonale Vaudoise peut paraître cher à prime abord. Mais, pour nous en tant que gérant de fonds, l’aspect le plus important qui plaide en facteur de l’action BCV est l’élément de certitude. Si je peux estimer ce que la BCV générera comme résultat dans trois ans, alors oui, je suis prêt à payer plus cher pour pouvoir profiter de cette certitude. L’action BCV réunit trois critères essentiels: la qualité de la société, son niveau de capitalisation qui lui permet de pouvoir absorber des pertes à moyen et à long terme et sa consistance par rapport à ses concurrents. Grâce à ces caractéristiques, l’action BCV affiche aujourd’hui une hausse de l’ordre de 16% depuis janvier alors que les indices regroupant les valeurs bancaires reculent, eux, d’environ 15 à 20% durant la même période.

S’il fallait mentionner un autre établissement qui présente une qualité comparable à cette banque mais dont l’action est un peu moins chère, je citerais l’action de la Banque Cantonale Bernoise qui offre aussi un dividende attrayant ainsi qu’une certitude élevée sur les activités de son cœur de métier. Ce niveau de certitude justifie une prime en termes de valorisation par rapport au reste du secteur.

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