La renaissance industrielle peut entraîner un super-cycle pour les dépenses d’investissement

Yves Hulmann

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Selon David Polak de Capital Group, la croissance des bénéfices des entreprises aux Etats-Unis devrait encore s’accélérer, passant de 10,8% en 2024 à 14,3% en 2025.

Garder une perspective de long terme est l’un des principes clés de l’approche d’investissement de Capital Group. Alors que la croissance des bénéfices estimés pour les Magnificent 7 tend à ralentir depuis le début de 2024, celle des autres sociétés du S&P 500 tend au contraire à augmenter depuis le début de cette année. C’est pourquoi, on peut s’attendre à un élargissement de la performance du marché. Que faut-il attendre concernant l’évolution des bénéfices des entreprises aux Etats-Unis et en Europe à l’horizon de 2025? Le point sur les perspectives pour les marchés des actions avec David Polak, Equity Investment Director chez Capital Group à Londres.

Au sujet des perspectives pour les investissements sur les marchés des actions, vous estimez que l’on est entré dans un «nouveau régime». En quoi se caractérise-t-il?

Ce nouveau régime s’observe dans plusieurs domaines, où l’on constate un contraste important entre ce qui s’est passé au cours des 40 dernières années et les développements depuis 2020. Cela s’observe d’après plusieurs critères sur le plan macroéconomique. On est passé d’une croissance convergente à une croissance plus divergente. Concernant l’inflation, l’évolution des prix était auparavant proche des objectifs et stable. Depuis 2020, l’inflation est plus élevée et se caractérise par des variations volatiles. Si l’inflation est en recul depuis un an dans la plupart des économies développées, il se peut qu’elle ne soit pas entièrement hors du jeu. Auparavant, les taux d’intérêt ont évolué à la baisse et se situaient à un faible niveau. Maintenant, ils évoluent de manière plus divergente. Sur le plan géopolitique, on est passé d’un arrière-plan relativement stable à des tensions plus marquées. Dans la technologie, on est passé d’une phase de croissance à une phase d’accélération. 

Des changements importants concernent aussi le commerce international. Pendant 40 ans, la globalisation a progressé, tandis qu’on est dans un processus de déglobalisation depuis 2020. Il en va de même pour les chaînes d’approvisionnement : elles étaient organisées de manière globale, avec des coûts faibles. On assiste à une relocalisation des chaînes d’approvisionnement, ce qui se traduit par des coûts plus élevés.

Malgré toutes ces difficultés et le pic d’inflation survenu en 2023, cela n’a pas entraîné de difficultés majeures pour l’économie mondiale. Le scénario de récession, tant annoncé l’an dernier, ne s’est pas vérifié.

C’est vrai mais il ne faut pas oublier que des mini-récessions se sont produites. Par exemple, dans le domaine des voyages en raison de la pandémie en 2020. Cela a aussi été le cas dans l’industrie manufacturière. Le secteur des semi-conducteurs a également connu une récession en 2022. Des phases de ralentissement peuvent affecter certains secteurs, même lorsqu’elles ne concernent pas l’économie dans son ensemble.

«Les entreprises européennes sont certes meilleur marché avec un ratio P/E de 13,3x mais la croissance de leurs bénéfices est aussi beaucoup plus modérée qu’outre-Atlantique.»

Que pensez-vous du fait que la performance du marché des actions aux Etats-Unis soit essentiellement influencée par une poignée de sociétés technologiques? Quelles sont les implications de cette situation pour les investisseurs?

En termes de valorisation, cela s’observe par un écart très marqué entre les multiples des bénéfices des sociétés appelées les «Magnificent 7» qui dépasse les 30x, contrastant avec les titres du S&P 500 si l’on exclut ces titres (S&P 500 ex-Mag 7) qui se traitent aux environs de 19x. 
Sur une base trimestrielle, on peut aussi observer que la croissance des bénéfices estimés pour les Magnificent 7 tend à ralentir depuis le début de 2024, tout en se maintenant à des niveaux élevés, tandis que celle des autres sociétés du S&P 500 tend au contraire à augmenter depuis le début de cette année. C’est pourquoi, on peut s’attendre à un élargissement de la performance du marché compte tenu du phénomène de rattrapage qui s’observe pour les autres valeurs du S&P 500.

Evitez-vous d’investir dans les Magnificent 7 actuellement – ou certaines des sociétés qui les constituent vous paraissent-elles néanmoins intéressantes?

Sans entrer dans les détails de chacune des Magnificent 7, je dirais que l’on préfère actuellement une entreprise comme Microsoft à Apple actuellement. Microsoft a l’avantage de pouvoir se targuer de revenus plus récurrents et ses résultats sont plus prévisibles. Encore une fois, nous nous intéressons chez Capital Group avant tout au potentiel des entreprises dans une perspective de long terme. Si nous investissons dans Nvidia, c’est en raison de son potentiel de croissance à long terme – non pas sur la base de ses derniers chiffres au 3ème trimestre par exemple.

Qu’attendez pour 2025 en matière d’évolution des bénéfices des entreprises aux Etats-Unis?

Aux Etats-Unis, la croissance des bénéfices des entreprises devrait encore s’accélérer, passant de 10,8% en 2024 à 14,3% en 2025. Cela relativise aussi le fait que le ratio P/E moyen actuel situé à un multiple de 21 soit supérieur à la moyenne sur 10 ans (17,8x). On peut observer que c’est nettement plus qu’en Europe, où ces taux de croissance devraient atteindre 4,3% en 2024 et 9,9% en 2025. Les entreprises européennes sont certes meilleur marché avec un ratio P/E de 13,3x mais la croissance de leurs bénéfices est aussi beaucoup plus modérée qu’outre-Atlantique.

«La renaissance industrielle ne concerne pas uniquement des entreprises américaines ou basées aux Etats-Unis. Au contraire, de nombreuses sociétés européennes ou asiatiques peuvent aussi bénéficier de cette renaissance industrielle, notamment en raison des dépenses d’investissement qu’elle entraîne.»

Vous insistez aussi sur le fait que la période actuelle se caractérise par la confluence de plusieurs changements transformationels clés. Vous citez à la fois la disruption numérique continue, l’innovation dans les sciences de la vie mais aussi ce que vous appelez la «renaissance industrielle». De quoi s’agit-il?

Cette renaissance industrielle concerne plusieurs secteurs ou activité et pourrait se traduire par un super-cycle en matière de dépenses d’investissement. Elle concerne à la fois la transition énergétique, les dépenses consacrées à la défense, la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement ou l’infrastructure pour les centres de données.

Est-ce un phénomène qui concerne avant tout les Etats-Unis ou qui peut aussi bénéficier à des entreprises issues d’autres régions du monde?

Ce phénomène de renaissance industrielle résulte de différentes initiatives nées aux Etats-Unis, à l’exemple de l’Inflation Reduction Act mis en place sous la présidence de Joe Biden. Elle est aussi renforcée par la tendance à la relocalisation aux Etats-Unis de certaines activités qui avaient été auparavant transférées vers des pays émergents ou qui s’étaient développées dans ceux-ci. Maintenant, cela ne signifie de loin pas que la renaissance industrielle concerne uniquement des entreprises américaines ou basées aux Etats-Unis. Au contraire, de nombreuses sociétés européennes ou asiatiques peuvent aussi bénéficier de cette renaissance industrielle, notamment en raison des dépenses d’investissement qu’elle entraîne. On peut citer les activités de sociétés comme celles de Caterpillar au Royaume-Uni. Le groupe industriel français Schneider en est un autre exemple. 

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