La remontée du secteur de la défense a été très rapide, probablement trop rapide

Yves Hulmann

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Expert des petites et moyennes capitalisations, Daniel Dourmap de DNCA Investments évite les équipementiers mais rehausse son exposition aux actions des pays DACH.

 

Malgré les turbulences sur les marchés, les petites et moyennes capitalisations restent attrayantes en tant qu’élément de diversification pour les investisseurs, estime Daniel Dourmap, gérant-analyste actions, spécialiste des petites capitalisations, chez DNCA Investments. La société gère un fonds pan-européen dédié aux petites et moyennes capitalisations qui investit aussi dans des sociétés basées au Royaume-Uni, dans les pays nordiques et en Suisse, en plus de la zone euro. S’y ajoute un autre véhicule qui est lui exclusivement consacré aux petites et moyennes capitalisations d’entreprise de la zone euro.

L’évolution récente des marchés, caractérisée par une très forte volatilité au début du mois d’avril, a-t-elle modifié la perception des investisseurs envers les placements dans les petites et moyennes capitalisations en comparaison de l’an dernier?

En fin d’année dernière et au début de cette année, les placements dans les petites et moyennes capitalisations étaient portés par trois tendances. On partait du principe qu’une phase de rattrapage allait avoir lieu en faveur des petites et moyennes capitalisations par rapport aux grandes capitalisations, notamment parce que les premières étaient encore nettement meilleur marché en termes de valorisation que les secondes. La poursuite de la baisse des taux devait continuer à soutenir les marchés des actions. L’arrivée prochaine de Donald Trump était perçue positivement par les marchés, le président américain étant alors considéré comme «pro business». 

Les semaines qui ont suivi son entrée en fonction ont ensuite été marqué par des chocs successifs pour les marchés à plusieurs égards. D’une part, en raison de la volonté de Donald Trump d’arrêter au plus vite la guerre en Ukraine - quelles qu’en soient les conséquences pour ce pays et l’Europe. Les gouvernements européens ont alors réalisé que l’Europe devait se ressaisir et réinvestir davantage dans la défense. D’un seul coup, les investissements dans la défense, jugés indispensables pour défendre la démocratie, ont à nouveau été considérés comme acceptables, et même compatibles avec les principes de durabilité. 

Ensuite, les tensions exacerbées autour des droits de douane ont créé un deuxième choc qui a atteint son pic début avril, et qui n’est pas encore terminé. Le fait que certaines annonces faites par Donald Trump aient ensuite été suivies de reculades a certes apporté des phases de soulagement sur les marchés mais cela ne réduit pas l’incertitude sur les marchés.

«Nous évitons actuellement tous les équipementiers automobiles ou les sociétés qui en dépendent.»

De quelle manière ce contexte général affecte-t-il vos choix lorsqu’il s’agit d’investir dans les petites et moyennes capitalisations européennes?

S’agissant des droits de douane, la difficulté est d’évaluer dans quelle mesure leur application va affecter telle ou telle entreprise. De manière générale, on part du principe que les petites et moyennes capitalisations européennes sont moins exposées au marché des Etats-Unis que les très grandes sociétés. L’équation est toutefois plus compliquée qu’elle n’y paraît au premier abord: en effet, même des entreprises qui n’exportent pas directement aux Etats-Unis peuvent être impactées par l’imposition des droits de douane. Parfois aussi parce qu’il s’agit de sous-traitants d’autres plus grandes entreprises qui sont, elles, davantage actives aux Etats-Unis.

Y a-t-il des secteurs qui sont actuellement trop exposés au marché américain et qu’il vaut mieux éviter?

De manière générale, nous évitons actuellement tous les équipementiers automobiles ou les sociétés qui en dépendent. Beaucoup d’entreprises avaient implanté des sites de production au Mexique pour réduire leurs coûts et pouvoir exporter des produits sur le marché des Etats-Unis depuis là. Or, il n’est pas possible pour des entreprises de taille moyenne de déplacer leur production rapidement aux Etats-Unis pour échapper aux droits de douane. 

En outre, le marché automobile traverse d’importantes difficultés. Il fait face à la compétition sur les véhicules électriques, un marché toujours plus dominé par les constructeurs chinois. Il faut aussi tenir compte de la concurrence des sous-traitants chinois qui offrent toujours plus souvent des produits de qualité, même pour d’autres catégories de véhicules.

A l’inverse, y a-t-il des secteurs qui vous paraissent plus attrayants actuellement ou dont les valorisations ont été excessivement mises sous pression?

Je citerais les secteurs qui disposent d’une capacité à fixer les prix, ou «pricing power», susceptible de compenser l’impact de la hausse de droits de douane, par exemple le secteur du luxe. Les Etats-Unis sont un très gros marché pour le luxe. Toutefois, l’impact des droits de douane sur les produits de luxe n’est pas comparable à celui d’autres biens de consommation. La notion de prix de transfert est très importante dans ce domaine. On ne peut donc pas simplement ajouter les droits de douane au prix initial et obtenir ainsi le prix final. En outre, les produits de luxe sont moins sensibles aux seules variations des prix.

«Après l’annonce du plan de relance sur la Défense et les infrastructures, nous avons remonté légèrement notre exposition sur les actions de la zone DACH.»

Avec le recul de l’inflation ces derniers mois, le scénario d’une poursuite de la baisse des taux par les banques centrales en ressort renforcé. Cela ne devrait-il pas apporter un soutien significatif aux marchés des actions durant le reste de l’année?

C’est un facteur de soutien presque plus important qu’en début d’année. S’y ajoutera encore l’appui apporté par les plans d’investissement, notamment ceux liés à la défense en Allemagne, qui déploieront peu à peu leurs effets.

Votre fonds compte une faible proportion de titres d’entreprises provenant des pays dits DACH (Allemagne, Autriche, Suisse), avec environ 14% comparé à 30% pour l’indice de référence: pourquoi votre fonds détient-il si peu d’actions de sociétés issues des pays germanophones alors que beaucoup d’experts anticipent une dynamique accrue outre-Rhin grâce aux plans d’investissement (infrastructures, défense) annoncés en mars?

Cela s’explique par le fait qu’auparavant le moteur de croissance en Allemagne était à l’arrêt. Le PIB allemand n’a pratiquement pas crû pendant deux ans et est attendu stable cette année. Le moteur de l’économie allemande est l’exportation et la faiblesse de la conjoncture mondiale ne militait pour une surpondération. Les entreprises allemandes ont perdu des parts de marché, en particulier dans l’automobile au détriment de la Chine. Les entreprises chinoises sont beaucoup plus rapides à lancer de nouveaux modèles – le temps de développement d’un véhicule est d’un an en Chine contre environ trois ans en Europe. Il y a aussi eu le choc créé par VW qui a annoncé la fermeture d’usines. Tout cela n’a pas créé un environnement favorable pour investir dans les petites et moyennes capitalisations en Allemagne. Après l’annonce du plan de relance sur la Défense et les infrastructures, nous avons remonté légèrement notre exposition sur les actions de la zone DACH.

Compte tenu des programmes d’investissement annoncés par différents pays dans les infrastructures, quelles les opportunités pour les small and mid caps dans ce domaine, notamment dans les énergies renouvelables?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous sommes extrêmement prudents. Il y a certes d’importants projets qui continuent d’être développés. Toutefois, les prix du pétrole et de l’électricité évoluent à la baisse actuellement. Il y a aussi la question de la stabilité des sources d’approvisionnement - la panne d’électricité survenue en Espagne a posé à nouveau cette question. Nous sommes donc très prudents en ce qui concerne les investissements dans le photovoltaïque, l’éolien compte tenu des   prix bas de l’électricité. L’effet de baisse de subvention dans le solaire ou dans les pompes à chaleurs induit des effets pervers sur la chaîne de fabrication et de distribution et des problèmes d’écoulement des stocks.

Pouvez-vous commenter les positions les plus importantes dans votre fonds, à l’exemple de la société allemande Renk Group, l’entreprise suédoise Modern Times et Gaz Transport et Technigaz en France? Quelles sont les points forts spécifiques de ces sociétés?

Renk Group est le leader mondial de la motorisation et des systèmes de transmissions utilisés notamment dans les chars de combat, les navires de guerre ainsi que d’autres types de véhicules. La société vend ses équipements dans le monde entier, à l’exception des pays problématiques sur le plan politique et dispose d’un réel leadership dans ce domaine. Le cours de l’action a fortement progressé suite aux annonces faites par les gouvernements européens d’augmenter les dépenses dans la défense. On observe d’ailleurs la même tendance pour différents titres qui fournissent des équipements de défense tels que le groupe d’armement Dassault ou le fabricant d’équipements de vision nocturne Exosens en France ou encore Hensoldt en Allemagne. La progression du secteur a été très rapide, probablement trop rapide car les projets s’inscrivent dans un plan industriel qui prend du temps à s’exécuter.

«Renk Group Renk est le leader mondial de la motorisation et des systèmes de transmissions utilisés notamment dans les chars de combat, les navires de guerre ainsi que d’autres types de véhicules.»

Gaz Transport et Technigaz, l’une de vos principales positions, est active dans l’énergie. N’est-il pas risqué d’investir dans ce domaine alors que les cours du pétrole et du gaz sont en repli?

Le gaz naturel liquéfié est censé suppléer la rupture d’approvisionnement du gaz russe depuis la guerre en Ukraine. Gaz Transport et Technigaz est une société leader dans la technologie du confinement du gaz liquéfier pour son transport dans les méthaniers. La société bénéficie d’une bonne visibilité, d’une forte rentabilité avec un bilan solide. Le prix ponctuel sur pétrole n’influe peu sur des décisions d’investissement à long terme qui touchent la sécurité des approvisionnements.

Il n’y a pas d’entreprises suisses parmi les principales positions du fonds pan-européen dédié aux petites et moyennes capitalisations chez DNCA Invest. 

Pourquoi?

Cela s’explique principalement pour des raisons liées à la valorisation. La Suisse compte beaucoup de petites et moyennes capitalisations de très grande qualité – mais dont les titres affichent toutefois souvent des valorisations déjà très élevées. Or, nos investissements sont guidés par une approche blend avec une exigence de valorisation modérée.

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