
Lors de la conférence téléphonique des résultats annuels de LVMH, son PDG Bernard Arnault a donné son sentiment sur sa participation à l'investiture de Donald Trump: il a «vu le vent d'optimisme qui régnait dans ce pays». Il semble que deux mois et demi après le vent a tourné, vers une incertitude économique extrême en réaction à la mise en place de droits de douane «réciproques». Pas vraiment de quoi déboucher une bouteille de Dom Pérignon, une des marques phares du géant du luxe français.
A sa décharge, cet optimisme était largement partagé par le consensus, même à l’approche de la date fatidique du 2 avril: dans un sondage réalisé par Goldman Sachs en amont des annonces, les attentes de relèvement tarifaire étaient en moyenne de 9%, contre un taux moyen pondéré de +22,5% finalement annoncé par l'administration américaine. Cela implique une multiplication par 10 du tarif douanier moyen des Etats-Unis en trois mois pour atteindre un niveau proche de ce qui avait été instauré aux Etats-Unis en 1930, sous le coup de la loi Smoot-Hawley.
Un choc de marché historique
De la même manière, la courbe de volatilité forward du S&P500 la semaine précédant les annonces ne présentait pas de pic le 2 avril. On connaît la suite: un S&P 500 en baisse de 4,84% le jour de l’annonce, soit 2,7 trillions de capitalisation boursière évaporée (le 2e montant le plus important de l’histoire après le 16 mars 2020, lors de la pandémie), le rendement de l’obligation du Trésor américain à 10 ans passant momentanément sous les 4% et une baisse du dollar.
Au-delà de la méthode de calcul1 assez simpliste, il faut rappeler que le déficit américain est le reflet de l’écart entre l’épargne domestique et l'investissement. Et si l’on en croit la littérature académique, Il est peu probable que la mise en place de droits de douane supplémentaires permette de résorber ce déséquilibre.
Malgré ce constat, les entreprises sont confrontées à la realpolitik américaine et doivent s'adapter, comme l'armateur français CMA CGM. A grand renfort de caméras dans le bureau ovale, son PDG Rodolphe Saadé a annoncé son intention d'investir 20 milliards de dollars dans le pays pour renforcer sa présence.
Pour les Etats, ces tensions commerciales auront un coût inéluctable : moins de croissance et plus d'inflation. A titre d’exemple, le Budget Lab de l’université de Yale2 estime que ce choc d’offre pourrait coûter 90bp au PIB américain en 2025 et devrait donner lieu à une hausse de 130bp du prix des biens pour les consommateurs.
Le message envoyé par les marchés de taux va dans le même sens: le taux de swap d’inflation américain à un an a bondi de 13bp le jour de l’annonce et de +80bp depuis le début de l’année, à 3,3%, son plus haut niveau en deux ans. De plus, les marchés anticipent désormais une baisse des taux en juin et 120bp de baisse des taux sur les douze prochains mois. Quand libération rime avec stagflation.
Vers un nouvel équilibre économique mondial?
L’Europe n’est malheureusement pas épargnée avec des révisions de croissance à venir mais d’ampleur moindre, impactée par le ralentissement mondial, le resserrement des conditions financières et le renforcement de l’euro. Les conséquences inflationnistes sont plus ambiguës compte tenu des effets contraires du réacheminement probable des échanges commerciaux hors des États-Unis et des conséquences négatives d’une moindre croissance mondiale (notamment via des prix plus bas des matières premières).
Le déficit de la balance commerciale américaine donne évidemment un avantage aux Etats-Unis: comme le pays importe davantage qu'il n'exporte, l’administration peut taxer plus de biens étrangers que leurs «partenaires» ne peuvent le faire avec les biens américains. Mais cet avantage n’est pas décisif vis-à-vis de l’Europe: rien ne la contraint à limiter sa riposte au commerce des biens, et elle pourrait viser les services importés des Etats-Unis ou fournis par les entreprises américaines établies sur son territoire. En effet, contrairement à la balance des biens, celle des services américains est largement excédentaire et la «rente» des Google et autres Netflix est une cible évidente.
Dans un revirement tactique, et peut-être aussi en raison de l’évolution des marchés de taux américains, le président Trump a décidé de suspendre pour 90 jours les extensions de tarifs (sauf pour la Chine). Cette décision est évidemment saluée par les investisseurs, avec un début de normalisation de la volatilité.
Mais au-delà des mouvements de court terme, la question légitime est de savoir comment positionner les portefeuilles face à la fin du multilatéralisme. Le modèle de «diversification efficiente»3 développé par Harry Markowitz peut nous servir de boussole (en l’espèce avec des TIPS, des métaux précieux, des défensives). En effet, l’économiste américain a décrit la diversification comme the only free lunch investment, ce qui semble indispensable dans un monde où tout devient plus onéreux en raison des barrières douanières.
1 Rapport de l’excédent commercial de chaque pays aux importations américaines de ce pays, puis division le pourcentage obtenu par deux.
2 Where We Stand: The Fiscal, Economic, and Distributional Effects of All U.S. Tariffs Enacted in 2025 Through April 2 | The Budget Lab at Yale
3 La théorie du portefeuille, développée par Harry Markowitz, vise à optimiser la diversification et la gestion des actifs financiers pour maximiser le retour sur investissement tout en minimisant le risque.