La hausse des actions est plus durable qu’on ne le dit

Emmanuel Garessus

3 minutes de lecture

Beat Wittmann, de Porta Advisors, s’attend à un élargissement du nombre de participants aux gains boursiers en 2024.

Les marchés financiers se sont sensiblement appréciés ces dernières semaines. Beat Wittmann, associé et président du conseil d’administration de Porta Advisors, s’exprime sur ses attentes pour 2024:

Les actifs risqués sont en nette hausse depuis un mois. Est-ce que la tendance se prolongera en 2024?

Oui. De nombreux stratégistes pensent que la hausse ne dépassera pas le début de l’année. A leur avis, nous n’assisterions qu’à un rallye de fin d’année. J’estime au contraire que la tendance haussière est durable et se prolongera au cours des 6 ou 9 prochains mois.

Il y a trois mois, nous avons recommandé d’accumuler les obligations souveraines du G7 et nous avons récemment accru la part des actions.

Pour quelles raisons?

La performance des Bons du Trésor à 10 ans s’est révélée négative en 2021 et en 2022 ainsi que de longs mois cette année. Une baisse de deux ans est extrêmement rare pour cette classe d’actifs.  Elle résulte naturellement de la hausse des taux d’intérêt de la Fed.

«Les élections présidentielles américaines ne devraient pas créer de drame sur les marchés.»

En 2024, les obligations devraient surperformer le cash et sous-performer les actions. Mais la sélectivité sera cruciale. C’est pourquoi j’insiste sur la dette du G7 et suis très prudent à l’égard des obligations d’entreprises dans un contexte de faiblesse de l’économie, d’un taux de défaut élevé et d’un élargissement des spreads. La crise de Signa a facteur d’indicateur avancé des effets secondaires de la hausse des taux des banques centrales.

Les marchés se concentrent sur une idée forte par année, soit l’intelligence artificielle en 2023 à travers les 7 grands noms de la tech américaine. Est-ce que les gagnants seront plus nombreux en 2024?

De plus en plus de secteurs de la bourse participent à la hausse depuis quelques semaines. Nous devrions assister à un élargissement du mouvement haussier. Les small & mid caps, qui ont beaucoup souffert, sont probablement à un niveau plancher et devraient rebondir. La hausse ne devrait pas se limiter à la Big Tech américaine.

Pouvez-vous préciser les principaux gagnants possibles en 2024?

Les meilleurs gains se trouveront sans doute dans les actions d’entreprises cycliques, comme l’énergie et la consommation discrétionnaire, ainsi que, progressivement, la finance.

Les secteurs défensifs participeront à la hausse, comme les actions suisses avec leur forte composante alimentaire ou pharma, ou les titres à haut dividende, mais dans une moindre mesure.

Les émergents et le Japon sont souvent cités parmi les favoris, mais la baisse de leur monnaie par rapport au franc réduit leur attractivité. Que conseillez-vous?

L’investisseur devrait privilégier les titres dans sa monnaie de référence. Au Japon, les gains de l’indice Nikkei ont été effectivement annihilés par la baisse du yen.

En 2024, le thème monétaire principal sera celui de l’affaiblissement du dollar, ce qui devrait soutenir les marchés dits émergents et en particulier l’Asie du Sud-Est, de Hong Kong, à Taïwan, Singapour, la Corée du Sud et l’Indonésie. La probable accalmie des relations entre les Etats-Unis et la Chine devrait réduire le risque d’un conflit avec Taïwan.

Vous suivez de près l’industrie du luxe, dont les actions ont peiné ces derniers mois. Qu’en attendez-vous?

Les actions du luxe ont souffert à cause de l’incertitude sur la conjoncture asiatique et en particulier chinoise après le covid et à la suite des problèmes géopolitiques. Les grandes valeurs européennes du luxe ont nettement baissé. Au niveau actuel, je suis positif pour ces sociétés, mais les gains devraient être modérés dans le contexte d’un net affaiblissement conjoncturel américain.

Vous recommandez les obligations souveraines. La qualité de la dette des pays du G7, de la France à celle des Etats-Unis et de l’Italie, n’est-elle pas de nature à inquiéter et à préférer d’autres titres?

En cas d’abaissement du rating de la France, j’achèterais la dette française. Mon conseil est identique pour l’Italie. Je les conseille à l’achat simplement parce que la tendance générale des taux directeurs de la Fed est à la baisse. Si le rating de ces Etats est abaissé, cela signifie que le rendement sera supérieur, donc qu’il sera plus attractif. J’accepte volontiers de courir le risque d’un défaut de la France ou de l’Italie.

Pourquoi proposez-vous d’éviter le private equity, malgré la mauvaise performance des portefeuilles 60/40 depuis deux ans? La décorrélation des marchés privés ne plaide-t-elle pas en leur faveur?

Pour des raisons de liquidité et de valorisation, les marchés privés réagissent toujours avec retard à l’évolution des marchés cotés. Les marchés cotés sont en hausse aujourd’hui parce qu’ils anticipent les taux d’intérêt et d’inflation de l’été ou de l’automne 2024 et non pas à cause de la situation de l’économie de ce début décembre 2023. Les marchés ne reflètent pas la situation présente de l’économie réelle.

«Un portefeuille équilibré surperformera le cash avec une marge significative l’année prochaine.»

Quant aux portefeuilles 60/40, soit 60% d’actions et 40% d’obligations, leur performance devrait être positive en 2024. Un portefeuille équilibré surperformera le cash avec une marge significative l’année prochaine.

Pourquoi le dollar baisserait-il en 2024?

Le dollar devrait baisser l’année prochaine face à l’euro en raison d’une baisse des taux de la Fed qui sera plus marquée que celle de la BCE. Dans ce contexte, le franc devrait s’affaiblir contre l’euro. Le dollar devrait perdre de sa valeur en réponse au changement de régime monétaire. Les Etats-Unis sont les leaders du cycle. Ce seront les premiers à baisser les taux, ce qui pénalisera le billet vert.

Est-ce que les élections présidentielles américaines constitueront un non-événement pour les marchés?

Cela pourrait bien être un non-événement sur le plan boursier. Les élections présidentielles américaines ne devraient pas créer de drame sur les marchés. Même si Donald Trump devait être élu, contrairement à nos voeux, il n’est pas sûr que cela soit désastreux pour la bourse.

L’incertitude est totale. Qui gagnera en novembre? J’accorderais une probabilité d’un tiers à la réélection de Joe Biden, d’un tiers à Donald Trump et d’un tiers à un autre candidat.

Quelles sont les surprises qui pourraient mettre à mal votre scénario sur les marchés financiers?

Les surprises peuvent être positives ou négatives. Je peux sous-estimer l’ampleur de la hausse des marchés, comme peut sous-estimer les risques. Au plan des risques baissiers, le principal concerne sans doute celui d’une utilisation du pétrole comme moyen de pression géopolitique ou militaire. Le risque serait alors celui d’une hausse du cours du baril qui provoquerait une forte récession aux Etats-Unis et en Europe.

A lire aussi...