Les actions chinoises présentent l’une des meilleures performances cette année (+15% pour l’indice MSCI Chine). La hausse est portée par la technologie, notamment par les valeurs cotées à Hong Kong comme le montre l’indice Hang Seng Tech, lequel comprend les 30 plus grandes valeurs technologiques (+23% en dollars). Bing Yuan, co-gérante du EdR Fund China dédié aux actions chinoises, répond aux questions d’Allnews:
Est-ce que la hausse des actions chinoises est durable?
Oui. Le marché boursier chinois a rencontré plusieurs faux départs depuis le covid. Le retournement semble durable pour plusieurs raisons. La première raison est liée à l’effet DeepSeek sur les perspectives de l’intelligence artificielle chinoise. Nous ne pensons pas qu’il ne s’agisse que d’un effet spéculatif. Un vrai changement de perception à l’égard de la Chine s’est produit dans la course mondiale à l’intelligence artificielle. L’accès limité aux GPU utilisés pour l’IA avait réduit les perspectives de l’industrie chinoises en la matière. Malgré des ressources limitées en termes de semi-conducteurs, la Chine fait une démonstration de son savoir.
Deuxièmement, on assiste à la reconnaissance de la capacité d’innovation chinoise, laquelle ne se limite pas à DeepSeek mais s’étend aussi aux progrès de géants tels qu’Alibaba, qui collabore avec Apple sur l’IA d’iPhone en Chine, ou BYD, qui parvient à démocratiser les véhicules électriques avec la conduite autonome.
La Chine n’est plus perçue comme un pays qui exporte ses surcapacités industrielles lourdement subventionnées. C’est un pays leader dans la course à l’innovation industrielle mondiale.
Et tout cela est basé sur une valorisation du marché attractive: MSCI China est en décote de plus de 50% par rapport à MSCI World, les valeurs tech chinoises sont parfois 1/3 du prix en termes de valorisation par rapport aux valeurs tech US.
Pourquoi la hausse ne s’est-elle pas élargie aux valeurs domestiques comprises dans l’indice CSI?
Les grandes sociétés internet et technologiques sont plutôt cotées à Hong Kong alors que les valeurs domestiques liées à des segments traditionnels tels que la consommation, les banques, l’industrie manufacturière traditionnelle sont présentes sur les autres marchés chinois.
«La valorisation reste attractive: Le PER est de seulement 11 fois pour l’indice MSCI Chine, soit encore en-dessous de la moyenne historique.»
L’écart de valorisation entre les valeurs technologiques chinoise et américaine est-il encore très important?
Oui, l’écart reste important même si, en dépit des perceptions des investisseurs internationaux, la performance des actions chinoises a déjà été meilleure que celle de la plupart des autres marchés en 2024, et que la bourse américaine.
La valorisation reste attractive: Le PER est de seulement 11 fois pour l’indice MSCI Chine, soit encore en-dessous de la moyenne historique. La décote est de 10 à 20% par rapport aux autres marchés émergents. Je ne parle pas de la comparaison avec l’indice MSCI Monde, qui comprend le marché américain, qui a un PER de 20 fois.
La Chine dispose d’un autre atout. Elle peut présenter une croissance bénéficiaire à deux chiffres ces trois prochaines années. Les bénéfices des entreprises ont été décevants au cours des 13 derniers trimestres, en raison de la déflation, de la crise immobilière et de l’environnement géopolitique défavorable, sans parler du durcissement des réglementations chinoises. Mais dans les résultats du quatrième trimestre 2024, nous commençons à enregistrer davantage d’indications positives. Un tournant positif est donc possible dans l’évolution des fondamentaux des entreprises.
On parle souvent de la concentration de la tech américaine. Il convient de souligner que la concentration est nettement plus faible en Chine. Sous cet angle, la Chine offre une opportunité de diversification très intéressante.
Vous parlez d’un changement de perception des investisseurs. Quelle est l’origine des acheteurs de ce début d’année?
Le rallye est alimenté principalement par les investisseurs de Chine continentale et par quelques hedge funds. Par contre, les investisseurs étrangers «long only» sont restés très discrets cette année. Même les gérants de fonds émergents sous-pondèrent le plus souvent les actions chinoises. Quant aux mandats globaux, ils restent encore absents du marché chinois.
Quelle est la pondération de la Chine chez EdR?
Nous gérons le mandat Chine et un mandat «Global émergents», dans lequel nous surpondérons la Chine, ainsi que des mandats thématiques et globaux où la Chine est peu présent, surtout par rapport à la période pré-Covid . Nous sommes d’autant plus confiants sur la poursuite de la hausse des valeurs chinoises.
Le gouvernement chinois pousse-t-il le marché à la hausse?
Le gouvernement avait longtemps des objectifs avant tout idéologiques, tels qu’une prospérité commune, et il se désintéressait du marché des capitaux. Aujourd’hui, il envoie un message plus positif à cet égard. Le gouvernement ne vise pas un rallye boursier à court terme mais il tente d’adopter un modèle proche des Etats-Unis et qui se baserait sur une hausse lente et régulière des cours des actions afin d’augmenter la richesse des investisseurs chinois et étrangers.
Les actions bancaires ont bien performé dès l’an dernier. Est-ce que cela signifie que les crédits immobiliers sont moins problématiques?
Le secteur bancaire a profité depuis deux ans de ses caractéristiques «Value», donc de son profil de valeur refuge offrant un rendement élevé du dividende.
Nous ne cherchons pas vraiment les valeurs refuge parce que la force de la Chine est à chercher dans le secteur privé. C’est aussi pourquoi nous sommes d’avis que la hausse est structurelle et non pas cyclique.
La rencontre récente entre Xi Jinping et des entrepreneurs privés, y compris Jack Ma, l’ancien fondateur d’Alibaba, envoie un message fort, celui d’une fin du cycle de réglementation en Chine. Il faut savoir que la compression du multiple chinois a commencé en 2021 quand avait débuté l’enquête anti-trust contre Alibaba. Une phrase de Xi Jinping adressée aux entrepreneurs m’a frappé: «It’s your time to shine again» (Il est temps que vous brilliez à nouveau). Ce message accroît notre confiance.
«Le gouvernement ne vise pas un rallye boursier à court terme mais il tente d’adopter un modèle proche des Etats-Unis.»
Les investisseurs chinois achètent, mais leur approche est à court terme et orientée «momentum». Est-ce que cela signifie qu’il faut attendre une correction avant d’entrer?
Effectivement, les investisseurs domestiques sont assez orientés à court terme. Nous prévoyons d’ailleurs qu’une correction se produise à court terme. Nous ne sommes pas euphoriques et nous ne croyons pas que les risques sont inexistants. Les défis ne font pas défaut: La macroéconomie ne s’est pas encore reprise. La Chine se situe encore dans un cycle de déflation. Le marché immobilier reste en difficultés même si l’on observe une stabilisation des prix. Par ailleurs la politique de Donald Trump est imprévisible. Le marché a digéré la hausse supplémentaire de 10% des droits de douane, mais de nombreuses inconnues demeurent.
Une incertitude accompagne aussi les réunions politiques du début mars. Deux-Sessions sont au programme des autorités centrales chinoises, lesquelles présenteront les objectifs de croissance et le plan budgétaire. Une déception et une correction du marché est donc possible à court terme, laissant une porte d’entrée plus intéressante.
La hausse de l’indice n’a pas touché que la Tech. BYD, sur un marché automobile très concurrentiel, s’est aussi beaucoup apprécié. Pour quelle raison? Préférez-vous d’autres valeurs de la consommation locale?
BYD est le «Toyota de demain». le leader de véhicule électrique en Chine, pas uniquement dans le processus de fabrication, mais aussi dans sa capacité à démocratiser la conduite autonome.
Dans les autres secteurs, il existe aussi des opportunités, mais la prudence est de mise parce que l’économie n’est pas encore sortie de la déflation. Dans le secteur consommation, nous favorisons les acteurs qui parviennent à capturer les nouveaux comportements des consommateurs, avec un fort pricing power, ainsi les bénéficaires de politique de soutient tel que l’électroménager.
Vous avez parlé d’Alibaba dans les plateformes de eCommerce. Qu’en est-il d’autres moins connues comme VIPshop?
Alibaba n’est pas seulement une plateforme de eCommerce mais aussi intéressante pour ses perspectives dans l’IA et Cloud. VIPshop n’a pas cet atout et elle est très dépendante. du sentiment consommateurs chinois, qui est encore en difficulté.
Est-ce que vous cherchez à éviter les risques de possibles mesures protectionnistes des Etats-Unis?
Nous ne croyons pas à des droits de douane supplémentaires de 60%. Donald Trump cherche surtout à faire pression dans la perspective de négociations. Notre scenario de basse est que les tarifs vont monter, mais progressivement. La Chine est toutefois mieux préparée qu’en 2018. Les chaînes d’approvisionnement ont été modifiées et sont moins exposées au risque américain.
Est-ce que l’investisseur international risque de voir la valeur de ses placements chinois baisser à la suite d’une dépréciation de la monnaie chinoise?
Un recul est certes possible pour compenser l’impact. Mais nous ne prévoyons pas une baisse de la monnaie chinoise significatif. Donald Trump n’en a guère envie et ni le gouvernement chinois, car cela déclencherait un cercle vicieux dans la mesure où plus le yuan baisserait et plus les capitaux sortiraient du pays.
Est-ce que vous pensez que la croissance économique dépassera les attentes?
Nous pensons que l’économie chinoise se situe à un point d’inflexion, mais la reprise ne sera pas rapide et forte. Le pire est derrière nous parce que la politique économique et les cycles monétaires et budgétaires sont plus favorables.
Est-ce que votre fonds profite de l’arrivée de nouveaux capitaux?
Nous enregistrons quelques flux entrants mais la perception des investisseurs étrangers demeure négative à l’égard de la Chine. Nous sommes au début du d’un changement de perception.
Quelles sont vos principales positions et surpondérations?
Nous surpondérons les secteurs privés par rapport aux secteurs publique par exemple les banques étatiques, et sommes bien présents dans les grandes valeurs tech comme Tencent et Alibaba, ainsi que dans les leaders industriels tels que BYD et CATL.
Nous restons exposés au secteur de la consommation, malgré les défis posés par la déflation, en adoptant une approche très sélective, et privilégiant des entreprises comme PopMart, qui bénéficient d’un fort pricing power.
Nous aimons aussi les valeurs biotechnologie, par exemple Akeso et Beigene, qui démontrent leur capacité d’innovation pharmaceutique à l’échelle mondiales.