La volatilité actuelle est élevée, mais elle ne découle pas de problèmes structurels ni d’un risque systémique. En novembre 2026, les élections de mi-mandat pourraient entraîner un bouleversement des pouvoirs au Congrès, mettant ainsi un terme à la politique économique en vigueur du gouvernement américain. Pas de crise du crédit non plus à envisager sauf récession profonde. Le maintien de Jerome Powell à la tête de la Réserve fédérale (Fed) souligne les limites du pouvoir présidentiel aux Etats-Unis. Son remplacement hypothétique sur le plan légal irait à l’encontre d’une jurisprudence établie depuis plus de 90 ans. Dans ce contexte, il n’est pas justifié de réviser l’allocation stratégique, car aucun modèle à long terme ne se dessine clairement. Bien que le dollar subisse une érosion depuis plusieurs années, il conserve sa position dominante, faute de véritables alternatives. Responsable des investissements en Europe chez LGT Bank, Gérald Moser se montre relativement attentiste tout en ajustant régulièrement ses allocations tactiques. Entretien
Malgré un espoir de rebond, le marché boursier est en berne depuis Liberation Day et le dollar s’est effondré. Quelle attitude adopter ? Faire le dos rond ou modifier les allocations stratégiques?
Liberation Day n’est pas un évènement qui justifie de changer l’allocation stratégique car pour construire une telle allocation, il faut un modèle avec des bases solides ce que les changements constants de direction du gouvernement américain n’autorisent pas. L’approche de long terme pourra commencer à être définie lorsque les choses se solidifieront. Pour l’instant, il nous faut naviguer de façon tactique un peu comme au début de la crise de 2008.
Quelles ont été les modifications à vos allocations stratégiques?
Avant le 2 avril 2025, en fait dès le 16 janvier avant l’investiture de Donal Trump, et malgré certains aspects positifs qui pouvaient apparaitre alors – en matière de taxation ou d’allègement de la bureaucratie -, nous avions passé notre poche actions de «surpondérée» à «neutre» en surpondérant légèrement les actions européennes par rapport aux actions américaines. A partir du 3 avril, nous avons encore accentué cette stratégie de sous-pondération en actions US ainsi qu’une réduction du crédit à risque de type high yield. Estimant un risque de récession modérée entre 40 et 45%, il est tout naturel de prêter une attention particulière au risque de crédit. Cette prudence vient de l’incertitude quant à l’application des tarifs douaniers annoncés par Trump. Même s’il change d’avis, ils ne reviendront pas au niveau précédent ce qui ne manquera pas de causer de l’inflation et une faiblesse du crédit. N’oublions pas que l’impact des mesures n’est pas encore reflété dans les indicateurs. Il ne l’est que dans le sentiment et le prix des actifs financiers. Alors que l’ancien scenario de croissance US – pré-Trump – était de l’ordre de 2% accompagné d’une croissance du profit des entreprises entre 10 et 15%, ces croissances sont désormais proches de 0%. Le marché ne reflète pas encore une récession avec des profits en contraction mais ce scenario est tout à fait possible.
Y-a-t-il des facteurs aggravants?
Le consensus n’est pas clair non plus sur la politique monétaire. L’inflation sera-t-elle trop forte pour être jugulée par la Fed? Pour les dirigeants d’entreprises, l’incertitude est encore plus forte que pour les acteurs financiers. Ils se trouvent dans la situation la plus difficile qu’ils aient eu à affronter depuis l’an 2000. Plus difficile que celle de 2008. Car que faire de leur cash? Comment l’investir? Aucune direction claire ne se dessine.
Quel élément pourrait déterminer un potentiel rebond des bourses?
La levée à long terme des incertitudes. Tant que chaque décision peut être remise en cause le lendemain, il n’y aura pas de rebond durable. Si Trump se montre plus raisonnable, si le Congrès reprend la main, ou si dans trois ou six mois les tarifs douaniers reviennent à la base, on peut espérer une amélioration du sentiment. Mais sur ces trois ou six mois, les entreprises auront reporté leurs investissements et un certain niveau de stagnation économique est à anticiper. Nous jugerons mieux des dommages et du futur au fur et à mesure de la parution des données économiques réelles (dont une révision à la baisse des profits plus que probable).
Il existe toutefois des zones moins directement touchées et plus faciles à évaluer?
Certes mais compte tenu du poids de l’économie américaine, l’ensemble des pays sera affecté. Prenez les entreprises européennes, elles seront vulnérables aux attaques d’entreprises asiatiques qui vont se chercher de nouveaux marchés dès lors que les Etats-Unis ne sont plus leur principale cible d’exportation. Certes l’inflation pourrait baisser en Europe et donc la BCE baisserait les taux d’intérêt ce qui bénéficiera aux entreprises domestiques (utilities, immobilier) mais il s’agirait de petits secteurs sans réel impact indiciel). Attention donc aux nouveaux entrants.
Le dollar est-il en train de perdre sa place de devise de réserve mondiale? Quelle est sa valeur par rapport aux autres devises? Sommes-nous réellement en face d’un bouleversement fondamental de la structure du commerce international?
La fin du dollar est un peu un serpent de mer. Mais son affaiblissement avait déjà commencé avec les sanctions contre la Russie qui a trouvé des alternatives pour se faire payer. Les transactions internationales (par exemple avec la Chine) ne se feront plus systématiquement en dollar. Beaucoup de pays cherchent à réduire leur dépendance à la devise américaine mais il n’existe pas de vraie alternative au dollar pour l’instant.
Que pensez-vous d’un remplacement éventuel de Jerome Powell, même si ce n’est plus d’actualité?
Ce remplacement est très hypothétique sur le plan légal et irait à l’encontre d’une jurisprudence de plus de 90 ans. Il est très difficile – voire impossible - pour le président américain de remplacer le président de la Fed. Cela remettrait en cause la légitimité des institutions américaines et même la crédibilité des obligations US, ce qui serait reflété par leur prix sur le marché.
En augmentant les droits de douane, Trump cherche à attirer la production sur le sol américain. Roche vient d’annoncer un investissement de 50 milliards aux Etats-Unis. La stratégie Trump est-elle en train de porter ses fruits?
Il faudrait déjà savoir combien de ces 50 milliards étaient déjà prévus bien avant l’effet Trump. En outre, pour qu’une entreprise puisse s’installer aux Etats-Unis (dans le secteur automobile par exemple), il faut compter au moins trois ans. Certes les stratégies de frein accompagnées d’encouragement à la production locale peuvent porter leur fruit. On l’a vu en Corée du Sud dans les années 70. Tout dépend aussi du marché ciblé. Si les produits sont destinés au marché US, pourquoi pas. Si l’objectif est d’exporter, le scenario est très différent.
Quelles autres problématiques poserait la politique actuelle du gouvernement américain dans ce domaine?
Dispose-t-on réellement des bonnes compétences sur le terrain? Une chaîne de montage automobile, par exemple, est une structure complexe qui requiert une main-d’œuvre hautement qualifiée. Or, la production exige également, dans certains cas, une main-d’œuvre à coût abordable. La fermeture des écoles publiques ou les tensions avec des universités de renom nuisent à la formation des premiers, tandis que la menace de déportation des travailleurs immigrés illégaux impacte fortement les seconds. Ces deux dynamiques risquent de compromettre, à terme, la productivité des Etats-Unis.
Envisagez-vous une crise du crédit?
Sans doute pas sauf si l’escalade des tarifs douaniers entraine une récession très forte. La volatilité est élevée mais elle est liée à un évènement et n’a pas d’origine structurelle. Incertitude certes mais sans problème systémique. On est très loin d’une récession profonde. Surtout si les élections de mi-mandat entrainent un changement de pouvoir au Congrès et que la politique économique actuelle du gouvernement américain est stoppée.