La course à la transition climatique

Salima Barragan

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Chaque gouvernement cherchera à promouvoir certains de ses secteurs, estime Marina Iodice de NN IP.

L’Europe se rêve en premier continent neutre carbone d’ici 2050. Mais elle n’est pas la seule. Les Etats-Unis et la Chine briguent également la première marche du podium. Reste que l’Europe vient de présenter son paquet Fit for 55 qui ambitionne de réduire les émissions nettes de 55% d’ici 2030. Plus ambitieux que le précédent NextGenerationEU, ce plan pourrait déboucher sur une guerre climatique avec les Etats-Unis et la Chine, susceptibles d’introduire leurs propres contre-mesures protectionnistes. Le point avec Marina Iodice, gérante de fonds actions à impact chez NN IP, en marge du GSFI.

Revenons sur le cadre du paquet Fit for 55 présenté par l’Union Européenne. Que représente-il en termes d’investissement?

Le marché qui supporte la transition climatique devrait doubler d'ici 2025 pour atteindre 2 milliards de dollars par an, dans des domaines tels que les énergies propres, les biocarburants, l'efficacité énergétique et l'électrification des transports. Ce marché devrait atteindre 4 milliards de dollars par an pour parvenir à des émissions nettes nulles, estime le IPCC. Le paquet Fit for 55 est plus ambitieux que les deux précédents fonds européens, le NextGenerationEU et le Green Deal, car il inclut aussi des secteurs pollueurs comme le ciment et le fret. Il est également bien plus ambitieux que le plan américain.

«Les Etats-Unis ne s’intéressent pas encore à des secteurs très polluants comme le ciment.»
Quelles sont les principales différences entre le paquet européen et le plan de Joe Biden?

Les Etats-Unis se concentrent sur les aspects les plus simples à améliorer comme l’électricité et le transport terrestre. Ils ne s’intéressent ainsi pas encore à des secteurs très polluants comme le ciment. Le président Biden s’appuie sur des technologies comme l’hydrogène vert qui n’ont pas encore été validées, ce qui demandera des financements considérables afin d’en assurer la viabilité économique. Il a aussi occulté les secteurs de l’aviation et du fret. La phase Donald Trump explique le retard du plan américain, au moins en partie.

Les Etats-Unis et la Chine pourraient introduire des contre-mesures protectionnistes qui pourraient déboucher sur «une guerre climatique»?

Il y a effectivement un risque de scénario pessimisme qui pourrait s’apparenter à une guerre tarifaire comme nous l’avions déjà vu entre la Chine et les Etats-Unis. La Chine a également son propre plan ambitieux. Le plus simple serait évidemment que tous les pays s’accordent sur des mesures similaires, mais en réalité, chaque gouvernement promeut différents secteurs qui seront le socle des discordes. Au niveau européen, le plan n’a même pas encore été négocié entre les Etats membres, tout comme celui de Biden n’a pas été validé. Certaines industries polluantes seront probablement protégées du dumping chinois et de la problématique du permis du CO2.

«En Europe, nous continuons d’investir dans les industries gagnantes, c'est-à-dire l'énergie éolienne avec Vestas et Siemens Gamesa Renewable Energy.»
Quelle myriade de secteurs profiteront des retombées économiques du Fit for 55?

Nous prévoyons un rythme deux fois plus rapide de l’utilisation des énergies renouvelables pour atteindre une part de 55%, qui profiteront principalement au solaire et l'éolien. Mais ce paquet aura également des retombées sur les fournisseurs de solutions bio-environnementales dans la construction et le bâtiment, les entreprises qui fabriquent des matériaux isolants, des ciments moins polluants et des emballages durables. Il y a naturellement les sociétés dans le domaine des transports durables, ainsi que les secteurs qui alimentent ces industries, comme les développeurs de points de charges pour véhicules électriques. Il y a tout un réseau d’acteurs impliqués dans l’électrification de l’énergie. D’autres secteurs moins médiatisés, comme la bioénergie, les bâtiments et les matériaux durables sont également concernées par ce paquet.

Source: IPCC
Dans quels secteurs investissez-vous et à travers quelles entreprises?

En Europe, nous continuons d’investir dans les industries gagnantes, c'est-à-dire l'énergie éolienne avec Vestas et Siemens Gamesa Renewable Energy. Nous nous intéressons également à d'autres solutions qui suscitent un intérêt croissant, comme l'hydrogène vert ou le CCS (carbon capture and storage), mais nous n'avons pas encore trouvé d'opportunités d'investissement appropriées, car cette activité comporte de nombreuses petites entreprises encore déficitaires. Nous pensons également qu'avec l'électrification des transports, la recharge des VE et les réseaux électriques intégrés qui permettent de connecter les énergies renouvelables au réseau seront de plus en plus importants, et nous avons à cet effet investi dans la société néerlandaise Alfen. Nous sommes également investis dans les infrastructures intelligentes et les matériaux d'isolation dans le secteur du bâtiment avec la société Kingspan. Malgré le battage médiatique, nous restons prudents dans la sélection des idées d'investissement, qui doivent toujours répondre à des critères financiers et d'impact. 

On parle beaucoup des métaux qui pourraient bénéficier de la transition du fait de leur intégration dans les batteries et les VE, mais les sociétés minières apportent d’autres préoccupations ESG…

Nous n’investissons pas dans les métaux. Non seulement parce qu’il est difficile de sélectionner une mine produisant uniquement le métal qui nous intéresse, mais aussi à cause de certaines de leur pratiques ESG. Cependant, la transition de la décarbonisation demandera certains métaux comme le cuivre et l’argent dans les véhicules électriques et les énergies renouvelables, et le cobalt dans les batteries. Il y a un risque du côté de la chaîne d’approvisionnement des entreprises productrices. Nous pratiquons beaucoup l’engagement avec ces entreprises pour regarder où et avec qui elles travaillent. 

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