La baisse des taux ne peut être infinie

Nicolette de Joncaire

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«La rigueur vis-à-vis de l’inflation n’est plus de mise. L’atmosphère est nettement moins crispée» estime Richard Woolnough de M&G.

Toutes les crises offrent plusieurs phases de potentiel: durant les turbulences et une fois les turbulences calmées. Selon un gérant obligataire tel Richard Woolnough de M&G, la dislocation observée au cours des étapes les plus difficiles de 2020 permettaient d’acquérir des obligations émises par des entreprises de toute première qualité avec un fort rabais. Quant à la chute des taux, elle ne sera pas, à ses yeux, infinie. Il existe une limite au-delà de laquelle les investisseurs se tournent vers le cash. Ce qu’il appelle le «zero bound». Entretien. 

Si l’économie ne rebondit pas, quelle reste la marge d’intervention des banques centrales?

Contrairement à d’autres crises, la récession actuelle n’a pas pour origine une quelconque action des banques centrales. C’est une crise sanitaire au cours de laquelle les banques centrales sont venues au secours des Etats. Les taux bas permettent au crédit de continuer à affluer et de rendre supportable le service des dettes souveraines. L’assistance médicale et la vaccination devraient éventuellement venir à bout de cette crise qui ne se caractérise pas, comme d’autres dans le passé, par un retournement des tendances économiques structurelles. La crise des années 1930 s’associait à une révolution agricole et a touché les emplois des fermiers, une tranche de population qui a dû se réorienter entièrement. 

«Si les aspects négatifs disparaissent rapidement, grâce au soutien fiscal
et monétaire, l’économie devrait redémarrer en flèche.»

De même, dans les années 1980, ce sont les mines et les industries qui ont été touchées et donc les mineurs et les ouvriers dont l’emploi et la réinsertion ont été remis en cause. Cette fois-ci, il n’y aura pas nécessité à re-former la force de travail car il s’agit pour l’essentiel d’emplois sans qualifications et qui, de toute manière, restent à disposition des entreprises dès que le système redémarrera. Donc, pas de révolution structurelle même si certaines tendances à plus long terme ont été accélérées. Si les aspects négatifs disparaissent rapidement, grâce au soutien fiscal et monétaire, l’économie devrait redémarrer en flèche. 

Mais que peuvent faire les banques centrales en cas de tensions?

Elles ont déjà tous les outils en main; elles peuvent, selon les circonstances, moduler leurs achats d’actifs à la hausse ou à la baisse ou en étendre le périmètre. Et elles seront beaucoup plus souples que par le passé sur l’évolution de l’inflation. Quant aux Etats européens, ils ont aussi changé d’orientation. L’austérité nordique n’est plus de mise. Il me parait que soutenir les Etats plus fragiles du Sud est la bonne voie pour pérenniser l’Union.

Une erreur de politique des banques centrales – telle le taper de 2013 – est-elle envisageable?

Il est peu plausible que les banques centrales paniquent. Contrairement à 2011 ou à 2013, elles ont compris dorénavant que les politiques de taux bas prennent du temps à opérer et sont prêtes à faire face au risque d’inflation dans un cadre différent. Leurs objectifs se sont également modifiés: la Fed a clairement établi que la défense de l’emploi était l’un de ses objectifs prioritaires. Il en est même qui s’intéressent à la résolution des inégalités. En Europe, les taux d’inflation ne sont plus aussi rigoureusement suivis non plus; plutôt qu’avancer des taux fermes, on parle de moyenne des dernières années. L’atmosphère est nettement moins crispée. Si bien sûr, les marchés action donnaient des résultats exceptionnels et que l’on subodorait des signes de spéculation, alors les banques centrales interviendraient. Ce n’est en l’espèce pas le cas en Europe.

Les Etats et les banques centrales travaillent désormais «main dans la main». Ces dernières sont-elles encore indépendantes?

Quand la relation est univoque (un Etat, une banque centrale), les deux travaillent toujours de concert en période de détresse. Le mandat d’une banque centrale est dicté par son Etat et elles n’ont acquis une relative indépendance qu’au cours des 30 dernières années. A l’heure qu’il est, les banques centrales facilitent les programmes de relance et s’alignent encore plus étroitement avec les politiques gouvernementales. Le cas de l’Europe est particulier puisqu’il n’existe qu’une unique banque centrale pour les 19 pays de la zone euro. Dans ce cas, l’alignement entre Etats et banque centrale n’est pas de même nature.

«Le crédit est devenu très intéressant l'année dernière
et nous en avons ajouté beaucoup dans nos portefeuilles.»
Avec le déclin des rendements obligataires, le cash est-il une alternative?

La baisse des taux ne peut être infinie. Si l’on considère le cash comme une obligation à courte maturité, son rendement est extrêmement faible mais limité à la baisse: il ne produit pas de rendements négatifs. Le cash peut donc être préféré aux obligations à taux négatif; ce que les autorités savent très bien et qui est l’une des raisons pour lesquelles elles ne forcent pas davantage les taux à la baisse. C’est ce que j’appelle le «zero bound», la limite que les banques centrales ne peuvent dépasser.

De quel type d’opportunités avez-vous tiré parti récemment?

Le crédit est devenu très intéressant l'année dernière et nous en avons ajouté beaucoup dans nos portefeuilles. Conséquence de la dislocation du marché, il s’est créé un écart entre la demande à court terme et l'offre à long terme. Prenez l’exemple de Boeing, une société d’excellente qualité qui s'est soudainement retrouvée avec une pénurie de liquidités et a dû emprunter à un prix élevé correspondant au stress du moment.

Mais cette situation peut-elle se pérenniser?

Certains aspects vont certainement changer. Dans le secteur des déplacements, la pandémie a favorisé les transports privés au détriment des transports publics. Les voyages reviendront mais vraisemblablement avec une optique différente. Les voyages d’affaires seront amenés à décliner au bénéfice des conférences en ligne même si la présence face au client peut présenter un avantage concurrentiel. Le voyage – aérien en particulier - deviendra donc davantage une industrie de loisirs. Cette évolution peut être accompagnée d’une reconfiguration des espaces intérieurs de transport, permettant une certaine distanciation sociale, assortie d’une hausse des tarifs.

Comment se présentent la dette les devises émergentes?

Au cours des derniers mois, nous avons ajouté de la dette émergente en devises de référence (USD, EUR) dans le portefeuille car, selon nous, elle peut avantageusement remplacer les obligations de type Investment Grade. Je pense en particulier à la dette émise par des pays comme la Colombie, Oman, les Bahamas ou le Mexique. Quant aux devises, nous y sommes agnostiques. Toutes nos positions sont couvertes dans la devise de la classe. 

Et l’Asie du Sud-Est?

C’est plus délicat car la Chine, par exemple, applique des règles très différentes des nôtres en cas de faillite, règles avec lesquelles il est parfois difficile de se sentir confortable. Et puis les pays forts d’Asie du Sud-est n'ont pas besoin de notre argent. Ils gèrent déjà très bien d'énormes financements.

Et 2021?

Il faut toujours identifier le flux de revenus le plus prometteur et, en raison de la croissance attendue qui devrait être spectaculaire, ce sera le crédit. Il est donc inutile d’ajouter du risque de duration. Il faudra rester agile et ne pas sous-estimer les bonnes nouvelles. Ce qui ne signifie pas être déraisonnablement optimiste mais voir le positif. A l’heure actuelle, la duration de nos portefeuilles est courte et sans exposition au risque de taux; ce qui devrait être un avantage significatif en période de reprise. 

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