L’un des meurtres les plus coûteux de l’histoire

Nicolette de Joncaire

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«La mort de Jamal Khashoggi coûte 100 millions de dollars par jour à l’Arabie Saoudite» estime Ole Hansen de Saxo Bank.

Jamal Khashoggi, assassiné le 2 octobre 2018 au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. ©Keystone

Les sanctions US contre l’Iran auraient dû renforcer le cours du pétrole. Fin septembre, des représentants de Trafigura et de Mercuria déclaraient à Reuters qu’ils envisageaient un prix du baril autour de 100 dollars en fin d’année. L’inverse semble se produire. Le prix n’en finit plus de glisser: le WTI passait jeudi au-dessous de la barre des 50 dollars le baril. La lecture des évènements d’Ole Hansen, responsable des matières premières chez Saxo Bank.

Les sanctions américaines contre l’Iran devaient faire monter les cours. Ce n’est pas le cas. Que se passe-t-il?

En prévision d’un déficit d’offre dû aux sanctions et à la demande des USA, les producteurs pétroliers ont augmenté l’approvisionnement. Hors Etats-Unis, c’est en particulier le cas de la Russie et de l’Arabie Saoudite. Sans qu’ait été prévu un rebondissement qui a changé la donne. Début novembre, les Etats-Unis, tout en renouvelant les sanctions envers l’Iran, ont consenti des exceptions à l’exportation vers huit pays1 dont le Japon, la Corée du Sud et l’Inde.

Cet été, en livre turque, le pétrole
avait augmenté de 175%. En roupie, de 50%.

En parallèle, la montée du dollar a renchéri le coût du pétrole dans les pays émergents provoquant un affaissement de la demande. La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine n’arrange rien. Résultat: en huit semaines, la moitié des gains des 33 derniers mois s’est évaporée.

Quel impact la hausse du dollar a-t-elle eu sur le coût du pétrole dans les pays émergents?

Assez dramatique. Cet été, en livre turque, le pétrole avait augmenté de 175%. En roupie, de 50%. La pression devrait s’amoindrir si l’on en croit les récentes déclarations de Jerome Powell qui estime maintenant que les taux d’intérêt US sont proches d’un niveau «neutre» pour l’économie.

De quoi dépendra maintenant la demande?

Du G20 – ou plutôt devrais-je dire de deux G2 – qui déterminera en très grande partie l’évolution des flux commerciaux et l’avenir de la demande.

Qu’attendre de la réunion de l’OPEP cette semaine?

Les décisions – plafonner ou libérer la production – sont entièrement entre les mains de la Russie et de l’Arabie Saoudite. Ou plus exactement entre les mains de la Troïka formée par les trois plus grands producteurs de pétrole: les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie, qui, à eux trois, représentent 40% de la production mondiale. Car même si le premier de ces trois n’est pas membre de l’OPEP son avis pèse lourd.

La production américaine
a dépassé les rêves les plus fous.

Avec le meurtre de Jamal Khashoggi, l’Arabie s’est affaiblie et a perdu de sa liberté de décision. Elle a plus que jamais besoin du soutien américain. C’est l’un des meurtres les plus coûteux de l’histoire. En estimant qu’il a fait perdre 10 dollars par baril à l’Arabie sur 10,5 millions de barils exportés quotidiennement, son coût dépasse 100 millions de dollars par jour. Si l’OPEP ne réussit pas à plafonner sa production, le prix du pétrole s’effondrera encore davantage.

L’Arabie peut-elle se permettre une baisse supplémentaire des cours?

Non. La Russie peut se le permettre car elle a basé son budget sur un prix de 43 dollars le baril. Mais l’Arabie a besoin d’un prix autour de 90 dollars pour l’équilibrer.

Quels sont les poids relatifs de la Troïka?

La production américaine a dépassé les rêves les plus fous. A 11,3 millions de barils/jour, en août, elle a éclipsé celle de la Russie et celle de l’Arabie. En un an les US ont accru leur output de 2,1 millions de baril/jour.

La pétrochimie représentera un tiers de la consommation
d’ici 2030 et la moitié d’ici 2050.

Quant aux Russes, ils se rapprochent de leur record post-soviet avec 11,4 millions de barils/jour. Difficile toutefois d’anticiper la production américaine avec un prix au-dessous de 50 dollars.

En dépit de la transition énergétique, la demande séculaire de pétrole ne fait que croitre.

C’est effectivement le cas. Car si le carburant pour les véhicules devrait atteindre son pic au milieu des années 2020, la demande de l’industrie pétrochimique continuera de croitre. Elle deviendra sans aucun doute le plus grand consommateur – pour représenter un tiers de la consommation d’ici 2030 et la moitié d’ici 2050. Plastiques, engrais, emballages, habillement, pneus, équipements médicaux, et paradoxalement panneaux solaires et éoliennes: la pétrochimie sert à tout.

Où voyez-vous le pétrole en fin d’année?

Plutôt en hausse, autour de 70 dollars. N’oubliez pas que les raffineries, en fermeture saisonnière jusqu’à mi-novembre, rouvrent et que la demande de brut va redécoller. Quant à la dérogation consentie aux huit pays sur l’achat de pétrole iranien, elle devrait se terminer mi-décembre.

 

1 Le 2 novembre, Bloomberg annonçait que le secrétaire d’Etat américain Michael Pompeo accordait des dérogations à huit pays. Vers l’article.