L’Europe? Ce n’est pas que la France et l’Allemagne

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

La croissance irlandaise, très technologique, fait penser aux Etats-Unis. Les opportunités abondent dans les small & mid caps européennes, selon Hywel Franklin, de Mirabaud AM.

 

Malgré les appels répétés de nombreux stratégistes, les petites et moyennes capitalisations européennes continuent de sous-performer les grandes capitalisations, surtout américains. Hywel Franklin, responsable des actions européennes auprès de Mirabaud Asset Management, gère les fonds Mirabaud Discovery Europe et Mirabaud Discovery Europe ex-UK qui se concentrent sur des small & mid caps européennes peu couvertes par les fonds classiques. Il répond aux questions d’Allnews sur les perspectives de cette classe d’actifs:

De nombreux experts recommandent les petites et moyennes capitalisations en vertu de leur faible valorisation et de leur forte sous-performance. Est-ce que vous observez un retour des investisseurs vers cette classe d’actifs?

Oui. Mes journées sont maintenant très chargées, précisément en raison d’innombrables demandes d’informations d’investisseurs intéressés par les small & mid caps européennes. Les clients s’interrogent sur le moment le plus approprié pour faire le pas dans l’anticipation d’un possible changement de sentiment. Ils n’aimeraient surtout pas rater le train de la hausse. 

Les investisseurs semblent être bien informés de la sous-évaluation des entreprises européennes, mais ils se tournent vers les grandes capitalisations, notamment parce qu'ils croient en la nouvelle vague technologique de l'IA. Or, il faut garder à l’esprit que les innovations et les nouvelles technologies profitent généralement beaucoup moins aux grandes entreprises qu'aux petites, car celles-ci sont plus agiles et moins susceptibles d'avoir bâti leur succès historique sur une approche traditionnelle remise en cause par la nouvelle technologie. 

Les grandes entreprises n’ont-elles pas l’avantage de pouvoir racheter les petites sociétés innovantes du fait de leur valeur boursière?

Oui, mais en général, la valeur revient davantage à l'entreprise ciblée qu'à l'acquéreur. L’Europe regorge de très bonnes sociétés très peu valorisées et qui pourraient être rachetées. D’ailleurs, une de nos grandes participations, un éditeur de logiciels, vient de recevoir une offre de reprise, avec une prime de 62% sur la moyenne des cours sur 12 mois. Ses perspectives de croissance sont si considérables que l’on pourrait regretter que cette société quitte la bourse. D’autres sociétés pourraient aussi faire l’objet de rachats avec des primes encore plus élèves. Actuellement, le rachat de grandes entreprises européennes s’impose comme une opportunité d'investissement à long terme exceptionnelle. De nombreuses sociétés étrangères et fonds de capital-investissement profitent de la faiblesse actuelle des prix pour saisir cette occasion.

«Si l’on analyse les secteurs de croissance en Irlande, on a parfois l’impression de décrire l’économie américaine».

Est-ce que cette prime peut rebondir très rapidement?

Le rebond pourrait, en effet, être assez rapide. Les investisseurs connaissent bien cette classe d’actifs et ils savent que l’Europe est restée, pour de bonnes raisons, délaissée depuis quelques années. De l’avis général, ces entreprises sont bon marché alors que l’environnement politico-économique est difficile en Europe.  Il suffirait alors d’un début de rebond pour que le sentiment change rapidement. 

Normalement, nous observons une sous-performance de 6 à 9% par rapport aux grandes capitalisations pendant les récessions et une surperformance à deux chiffres par la suite; après une sous-performance de plus de 20%, nous pourrions nous attendre à une reprise plus vigoureuse cette fois-ci.

Faut-il attendre que Warren Buffett ou qu’un autre grand acteur investisse dans cette classe d’actifs pour déclencher la hausse?

Je ne pense pas, non. Le terrain semble être bien préparé pour une reprise. La prochaine présentation des perspectives financières 2025 des grandes banques, qui anticiperont les gagnants de l’année prochaine, pourrait bien mettre en exergue les perspectives des small & mid caps.
Sans doute, les small caps européennes ont fait face à de forts vents contraires, mais ces handicaps diminuent progressivement. La hausse des taux d’intérêt, rapide et forte, a pénalisé davantage les small & mid caps que les grandes capitalisations. Le changement de tendance des taux s’avère positif pour les petites capitalisations. Et après une hausse des salaires de plus de 10% dans certains pays, les augmentations sont plus modestes et pénalisent de moins en moins les marges d’exploitation. Ce qui me rend positif, c’est la disparition progressive des récents handicaps de l’Europe. En mathématique, nous dirions que la dérivée seconde est plus positive. Il suffit d’associer la valorisation intéressante à ce constat pour que le sentiment s’améliore.

Ces handicaps ne sont-ils pas structurels, à l’image d’un coût de l’énergie deux ou trois fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, des problèmes des sous-traitants d’une industrie automobile qui perd en compétitivité, des hausses d’impôts en France? Comment trouver des sociétés qui ne sont pas pénalisées par ces tendances?

L’Europe comprend plus de 2000 small & mid caps. Je ne nie pas l’existence des problèmes que vous citez. Mais on peut trouver des pays et des entreprises plus performants que la moyenne. 

Nous investissons par exemple dans plusieurs sociétés irlandaises. Ce pays est peu présent dans les médias ou dans les commentaires financiers. Mais son taux de croissance économique et démographique dépasse largement la moyenne européenne. Si l’on analyse les secteurs de croissance en Irlande, on a parfois l’impression de décrire l’économie américaine tant abondent les groupes technologiques et la santé. En évoquant l’Europe, on aurait tort de ne penser qu’à la France ou à l’Allemagne et à leurs problèmes. Pour un gérant de fonds, cela crée des opportunités.

Un ETF sur l’Irlande serait-il approprié?

Si l’on se concentre sur les small & mid caps, l’on n’achète pas une économie mais les perspectives de niches de marché de certaines entreprises, de leur modèle d’affaires et de leur management. Nous sommes convaincus que la gestion active permet de mieux cibler ces opportunités. Nos portefeuilles se limitent à 25 à 40 sociétés au sein d’un univers de plus de 2000 titres. 

«L’Europe regorge de très bonnes sociétés très peu valorisées et qui pourraient être rachetées».

Il est bon de se rappeler que le management des petites entreprises est beaucoup plus impliqué dans la gestion et plus agile que celui des grands groupes. Ces dirigeants ont souffert ces dernières années, mais ils ont fait leurs devoirs. Ils ont réduit les coûts, modifié leur chaîne d’approvisionnement, automatisé leurs processus. Certaines entreprises enregistrent une baisse du chiffre d’affaires mais les marges s’améliorent déjà. Dès qu’elles stabiliseront les ventes, l’impact positif sera très intéressant sur les bénéfices. Plutôt que macroéconomiques, les opportunités sont individuelles.

Quels changements de portefeuilles avez-vous effectué ces derniers mois? Avez-vous découvert de nouvelles perles?

Nous découvrons beaucoup d’opportunités à long terme en ce moment. une entreprise qui tire profit du manque de places de formation à travers Europe. Sa croissance est significative et elle génère beaucoup de cash. Nous l’avons acheté avec un rendement du free cash-flow de 10%, soit à un niveau très supérieur à la moyenne du marché. Ce n’est pas un pari sur la croissance économique en Europe en 2025 mais sur une opportunité structurelle, la valorisation et le niveau de free cash-flow.

Est-ce que vous cherchez des entreprises qui ne seraient pas soumises aux nouveaux de droit de douane américains?

Le risque de droits de douane américains existe depuis quelques mois et il freine les achats boursiers en Europe. Nous pourrons évaluer ce risque plus précisément dans quelques semaines. Il y a des entreprises qui ne seront pas du tout pénalisées et d’autres dans lesquelles le risque est déjà intégré dans les cours. Il faut bien définir ses cibles.

Il est vrai que ces craintes ont tiré les cours à la baisse en Europe, mais cela crée aussi des opportunités. Nous sommes dans une phase d’attente et d’incertitude que le marché n’aime guère.  À mesure que nous obtenons des certitudes sur les risques, l'incertitude diminue, ce qui est positif. C'est ainsi que le sentiment devrait s'améliorer progressivement.

Comment évoluent les actifs sous gestion de votre fonds?

Nous enregistrons une hausse des actifs sous gestion cette année. Les investisseurs savent qu’il est difficile de trouver le moment le plus approprié et ils avancent à pas comptés.

Pourquoi la performance de votre fonds, qui se limite à 25 à 40 titres, est-elle proche de celle de l’indice MSCI small & mid caps Europe qui intègre 2000 titres?

Ce n'est pas le cas. Nos performances à court et à long terme surpassent celles de l'indice de référence. Les cinq dernières années ont été marquées par un jeu en deux temps. Nous avons surperformé l'indice de 9 à 10% en 2020 et en 2021, mais nous avons ensuite perdu une partie de cette surperformance au cours des deux dernières années, en raison des vents contraires dont ont souffert les petites entreprises et de notre exposition à ces dernières dans notre univers d'investissement. Alors que le retour des petites entreprises n'en est qu'à ses débuts, nous constatons déjà que nos performances se redressent. Discovery Europe affiche un rendement de 15,31% en 2024 par rapport à un rendement de l'indice de 7,71%. Cela représente une avance de 7,60% par rapport à l'indice de référence, et non un rendement qui suit l'indice de référence. N'oublions pas que notre part active est supérieure à 95% et que nous sommes donc très différents de l'indice de référence, à l'opposé d'un fonds passif. Nous voyons donc les premiers signes d'un changement en cours, mais nous pensons que ce n'est que le début.

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