Thomas Jordan se retire de la présidence de la direction générale de la Banque nationale suisse à la fin septembre. L’heure est au bilan aux termes de son mandat de douze ans. Malheureusement, les médias personnalisent à l’extrême les informations, observe, sur son blog (Klarsicht), Adriel Jost, chercheur à l’Institut für Schweizer Wirtschaftspolitik (IWP) de l’Université de Lucerne.
Ce dernier estime qu’il est encore trop tôt pour tirer un bilan de la politique monétaire suisse des dernières années. Il souligne que, comme l’a écrit le FT, en termes d’expérimentations, la politique monétaire suisse a parfois été «sauvage» dans ses expérimentations. La forte expansion du bilan n’est pas seulement une conséquence inévitable de la politique monétaire. A l’avenir, la BNS devrait, à son avis, progressivement renoncer à effectuer des interventions sur le marché des changes. Adriel Jost répond aux questions d’Allnews.
Le bilan de Thomas Jordan est-il aussi positif qu’on ne le dit?
Il n’est pas correct de dresser un bilan déjà aujourd’hui. La politique monétaire exerce ses effets sur de longues périodes, par exemple sur l’augmentation significative du bilan de la BNS. Par ailleurs, il n’est pas correct de se concentrer sur une seule personne. La politique monétaire n’est pas l’affaire de son seul président de la direction.
L’inflation s’est moins accrue qu’à l’étranger et la BNS a été la première à baisser ses taux. Ne s’agit-il pas de succès?
On ne peut en effet pas reprocher à la BNS de ne pas avoir atteint son objectif en matières d’inflation. La question consiste à préciser les raisons du faible niveau de l’inflation en Suisse.
Les facteurs qui expliquent le bas taux d’inflation ne sont pas, en grande partie, du ressort de la BNS. La politique monétaire suisse aurait difficilement pu être plus expansive durant de nombreuses années. Les taux d’intérêt étaient longtemps très bas et le bilan de la BNS s’est vivement accru.
«La BNS ne pourra plus poursuivre la même politique monétaire».
L’argument de la force du franc suisse pour justifier le moindre niveau d’inflation que dans la zone euro et aux Etats-Unis n’est pas suffisant. Le FMI a également montré ce printemps que l’inflation suisse n’était que de 0,5 à 0,8 point de pour-cent plus basse que dans les autres principaux pays durant la pandémie, en raison du franc. La fermeté du franc a joué un rôle plus modeste qu’on ne le dit.
Qu’adviendra-t-il du niveau du bilan de la BNS?
Les achats de devises ont conduit à l’expansion du bilan de la BNS. Il aurait été apprécié que le bilan redescende plus vite à un bas niveau avant que n’éclate une nouvelle possible crise, sachant que le temps qui sépare les crises a plutôt tendance à diminuer. On risque en effet qu’à long terme le bilan devienne sans cesse plus étoffé.
L’une des principales tâches d’un directeur consiste à préparer sa succession. La nomination de Martin Schlegel n’est-elle pas un succès, une garantie de continuité de la politique monétaire?
Il ne m’appartient pas de m’exprimer sur les personnalités elles-mêmes, mais de juger la politique monétaire. A mon avis, la BNS ne pourra plus poursuivre la même politique monétaire. Elle ne pourra plus se concentrer sur le taux de change dans la même mesure et en même temps atteindre la stabilité des prix. Cette combinaison idéale appartient au passé. Ce sera le défi principal de la nouvelle direction.
«Il est crucial de distinguer entre la valeur nominale et la valeur réelle d’une monnaie».
Le cours du franc ajusté de l’inflation par rapport à un panier de devises est resté stable durant les 12 ans du mandat de Thomas Jordan. Comment est-ce possible compte tenu de l’image de hausse continue du franc suisse?
Il est crucial de distinguer entre la valeur nominale et la valeur réelle d’une monnaie. La valeur nominale correspond au taux de change que chacun peut lire chaque jour au bureau de change par rapport à l’euro ou au dollar. Ce taux de change est toutefois fortement influencé par les taux d’inflation des différents pays. Ces dernières années, les écarts d’inflation ont été très sensibles et ont poussé le franc à la hausse. Mais le franc n’est pas plus fort pour autant. Le taux de change du franc n’est que le reflet de la plus forte hausse des prix d’autres pays. La valeur réelle du franc par rapport à l’ensemble des monnaies importantes pour la Suisse indique que le franc est resté globalement au même niveau durant le mandat de Thomas Jordan, malgré certaines fluctuations.