L’accord avec l’Allemagne peut servir pour d’autres pays

Yves Hulmann

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Claude-Alain Margelisch, directeur de l’ASB, n’anticipe pas d’avancée rapide des négociations sur l’accès au marché avec l'UE.

©Keystone

Deux jours avant la Journée des banquiers 2018 qui se tiendra jeudi à Genève, l’Association suisse des banquiers (ASB) a tenu mardi une conférence de presse à Zurich. Claude-Alain Margelisch, le directeur (CEO) de l’ASB, revient sur quelques-uns des sujets actuels jugés prioritaires par l’organisation. 

La réglementation est un sujet récurrent lors de chaque Journée des banquiers. Herbert Scheidt, le président de l’ASB, a déclaré mardi, lors de la conférence de presse qui la précède, que les autorités ne doivent pas seulement «entendre ce que leur disent les banquiers mais aussi les écouter». Dans quels domaines espérez-vous obtenir une oreille plus attentive de la part des autorités réglementaires? 

Cela dépend bien entendu des sujets. De manière générale, l’important, de mon point de vue, est que nous soyons constamment en dialogue avec les autorités en charge de la réglementation, avec la Finma en particulier. Il est important que les banques soient impliquées dès le début lors de chaque nouveau processus réglementaire, puis ensuite au cours des différentes phases de celui-ci. Cela peut aller de la phase de consultation d’un projet de loi à la mise en œuvre détaillée d’une réglementation.

«Il y a pour les banques suisses une importance stratégique
à pouvoir avoir accès au marché européen.»
La question de l’accès au marché européen pour les prestataires de services financiers n’est toujours pas résolue. Quelle peut être la contribution de l’ASB dans ce dossier, à côté du travail effectué par les instances politiques?

Il y a pour les banques suisses une importance stratégique à pouvoir avoir accès au marché européen. Le développement de ce dossier dépend toutefois de l’évolution générale des relations entre la Suisse et l’UE. Avant de pouvoir négocier l’accès au marché européen proprement dit, il faudra d’abord résoudre deux questions : premièrement, il faut trouver une solution pour l’accord institutionnel entre la Suisse et l’UE. Deuxièmement, il faudra aussi régler la question de l’équivalence de la bourse suisse. Le second point ne porte pas seulement sur la bourse suisse SIX proprement dite mais il concerne aussi d’autres directives telles que AIFM sur la gestion alternative ou encore le règlement européen EMIR au sujet des infrastructures de marché.

Faute d’obtenir un accès au marché de l’UE pour les services financiers, la Suisse ne devrait-elle pas miser davantage sur d’autres accords bilatéraux - comme elle le fait déjà avec l’Allemagne?

Au sein de l’UE, il existe deux systèmes qui permettent aux banques de proposer des services dans un autre pays: le premier est d’ouvrir une succursale dans le pays souhaité – ce qui coûte cher et qui n’est souvent pas à la portée des petits établissements. Le second système consiste à pouvoir proposer des services financiers dans un pays tiers sans y avoir une présence physique. C’est le modèle allemand. Cette autorisation –appelée aussi «Freistellung» - accordée par l’Allemagne à certaines banques étrangères, y compris suisses, qui leur permet de proposer des services financiers outre-Rhin en respectant certaines conditions ne pourra pas être reproduite telle quelle ailleurs. Néanmoins, je suis convaincu que cette approche peut servir de modèle pour négocier l’accès au marché avec d’autres pays. 

«Notre priorité est d’alléger la charge administrative pour les petites banques.»
Pour tout ce qui concerne les négociations avec l’UE, le Brexit est actuellement placé au cœur de l’attention. Lorsque la question de la sortie du Royaume-Uni de l’UE sera réglée, pensez-vous qu’il sera plus facile pour la Suisse de négocier avec Bruxelles? 

Cela dépend des conditions qui seront appliquées et la manière avec laquelle le Brexit se fera. Il y a toutefois une grande différence à relever entre la Suisse et le Royaume-Uni en ce qui concerne leurs relations avec Bruxelles. La Suisse part d’une situation totalement différente : notre pays a en effet déjà conclu une centaine d’accord avec l’UE dans toutes sortes de domaines et continue d’en négocier de nouveaux avec Bruxelles. A l’inverse, le Royaume-Uni est en train de faire marche arrière et cherche à sortir de l’UE. Dans l’immédiat, ce qui est certain, c’est que le Brexit va continuer de mobiliser beaucoup de ressources auprès de l’UE. Quant à savoir si cela aura à terme un impact positif ou négatif sur les relations entre la Suisse et Bruxelles, je n’ai pas de pronostic à ce sujet. En tout cas, je ne crois pas que cela nous aidera.

Sur le plan intérieur, l’ASB revendique une plus grande marge de manœuvre pour les petites et moyennes banques sur le plan réglementaire. Que souhaitez-vous - des exigences plus souples en termes de fonds propres pour celles-ci? 

En aucun cas. Ce que nous demandons pour les petites banques des catégories 4 et 5 – et c’est même ce qui est prévu par les accords de Bâle III -, c’est que les établissements disposant de fonds propres déjà significativement supérieurs aux exigences réglementaires puissent bénéficier d’une plus grande souplesse sur le plan administratif.
Si une petite ou moyenne banque a déjà des fonds propres qui vont bien au-delà des exigences minimales, pourquoi lui demande-t-on encore de remplir toutes sortes de formulaires à propos de sa situation? Cela d’autant plus que le reporting auprès de la Finma s’effectue via un système informatique très complexe que les banques doivent mettre en place, gourmand en ressources et très coûteux. Notre priorité est d’alléger la charge administrative pour les petites banques.

Parmi trois thématiques considérées comme prioritaires pour l’avenir, l’ASB plaide en faveur de la suppression des droits de timbre et la réforme de l’impôt anticipé, jugées indispensables pour augmenter l’émission de produits de placement en Suisse. L’ASB évoque à cet égard «plusieurs milliards de francs» de recettes fiscales supplémentaires à obtenir pour la Suisse. Sur quoi repose cette estimation? 

Contrairement à ceux qui craignent des pertes fiscales en raison de ces mesures qui sont prévues dans le cadre du Projet fiscal 17, nous sommes convaincus qu’elles auront une incidence positive sur les recettes fiscales en Suisse. D’une part, elles permettront de ramener vers la Suisse certaines activités d’émission qui étaient parties vers l’étranger en raison de ce désavantage. D’autre part, en améliorant l’attrait de la place financière, vous augmentez automatiquement les rentrées fiscales pour les cantons et la Confédération. C’est une évaluation globale qui rejoint les estimations effectuées par l’institut BAK BASEL à ce sujet. 

«En Suisse, la crise financière n’a eu aucune conséquence
sur l’octroi de crédits par les banques aux entreprises.»
Autre thème jugé prioritaire, la cybersécurité. Quelle peut être la contribution de l’ASB et des banques suisses à ce sujet?

Le Swiss Cyber Competence Center, déjà créé par la Confédération, répond au besoin de coordination à l’échelon national. Nous soutenons ce projet car il est extrêmement important pour le secteur financier de pouvoir faire face aux menaces existantes liées à la cybersécurité. Les banques peuvent aussi apporter le savoir-faire qu’elles ont acquis dans ce domaine.

Vous êtes directeur depuis huit ans de l’ASB. Quelles leçons tirez-vous de la crise financière qui avait atteint son pic suite à la faillite de la banque Lehman Brothers il y a tout juste dix ans? 

J’observe premièrement que la Suisse – et c’est valable aussi bien pour les banques que les autorités - a bien maîtrisé cette situation très difficile. C’est le cas en particulier pour les fonctions économiques des banques. La crise financière n’a eu aucune conséquence sur l’octroi de crédits par les banques aux entreprises – au contraire de ce qui s’est passé dans beaucoup de pays européens.
Deuxièmement, cette crise a démontré à quel point la diversité du système bancaire suisse était extrêmement importante pour stabiliser le système financier dans son ensemble. C’est pourquoi, il est à mon avis indispensable de préserver cette diversité d’acteurs.
Troisièmement, sur un plan plus global, la crise a été traitée de manière très différente par les autorités des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, on a résolu le problème en considérant avant tout les intérêts économiques, sans tergiverser longtemps. En Europe, on a tenté de résoudre la crise en agissant d’abord sur le plan politique, avant de le faire sur le plan économique, ce qui a pris beaucoup plus de temps. C’est un constat.