Deux décennies exceptionnelles pour la Suisse romande. Tel était intitulé le communiqué de l’étude sur le PIB romand présentée mercredi par les six banques cantonales romandes à l’occasion du 20e Forum des 100. Le point avec Jean-Pascal Baechler, conseiller économique à la Banque Cantonale Vaudoise (BCV).
Si l’on considère l’évolution du produit intérieur brut (PIB) romand entre 2005 et 2024, la progression a atteint 49,5%, soit davantage que la moyenne suisse (+43%) et nettement plus que la moyenne des pays industrialisés (+36,5%). Seuls des pays comme le Luxembourg et la Corée du Sud ou encore la Suisse centrale, d’un point de vue régional, ont vu leur PIB croître plus rapidement que celui de la Suisse romande. Quels sont les facteurs qui expliquent la forte croissance observée en Suisse romande durant les deux dernières décennies?
Plusieurs facteurs y ont contribué. D’un point de vue sectoriel, la très forte croissance de la chimie-pharma, qui a affiché une progression de plus de 250% sur vingt ans, a aussi largement bénéficié à la croissance du PIB romand. La fabrication de machines, de montres et d’instruments de précision a aussi contribué à la croissance. Dans le tertiaire, les services aux entreprises et activités immobilières se détachent également. Même si ces activités ont crû de manière un peu moins forte, le fait qu’il s’agisse d’un groupe de branches de grande taille a conduit à ce que sa contribution a été importante pour le PIB romand. Enfin, les services publics et parapublics ont également fortement progressé au cours des deux dernières décennies, notamment en termes d’emplois créés pour répondre aux besoins d’une population en forte hausse. Tous ces éléments expliquent la forte croissance de l’économie en Suisse romande depuis 2005.
Il n’y a donc pas eu un seul facteur spécifique à la Suisse romande qui peut à lui seul expliquer cette croissance supérieure à la moyenne helvétique sur vingt ans.
Non. Et on peut même dire que c’est très bien ainsi; il est très positif que l’on ait une économie largement diversifiée sur l’ensemble de la Suisse romande. Quand une branche va bien, cela a des effets positifs pour les autres branches. Quand une branche va moins bien, les autres secteurs prennent le relais.
Si l’on revient sur l’évolution plus récente, l’étude montre que le PIB, exprimé en termes réels, a progressé plus fortement en Suisse romande au sortir de la pandémie, avec une hausse de 7,7% en 2021 (contre +5,3% en Suisse), puis de 3,2% en 2022 (+2,9% pour la Suisse). En revanche, en 2023, la croissance du PIB romand a été plus faible (+0,6%) que celle du PIB suisse (+1,2%). Y a-t-il une raison spécifique qui explique ce passage à vide de l’économie romande l’an dernier comparé au reste de la Suisse?
«En ce qui concerne 2024, le taux de croissance attendu pour le PIB romand (+1,1%) est pratiquement similaire à celui de l’économie suisse dans son ensemble (+1,2%).»
Cette différence reflète les nuances dans la structure de l’économie des cantons romands par rapport au reste de la Suisse. La baisse des activités manufacturières a été plus prononcée l’an dernier, tout comme il y a eu aussi un certain tassement de la croissance dans les activités liées aux services. Cela ne signifie toutefois pas que l’écart de croissance constaté en 2023 persistera. D’ailleurs, en ce qui concerne 2024, le taux de croissance attendu pour le PIB romand (+1,1%) est pratiquement similaire à celui de l’économie suisse dans son ensemble (+1,2%).
Le secteur secondaire est à la peine depuis 2023. Alors que l’évolution de la valeur ajoutée, en termes réels, du secteur secondaire, avait été supérieure à la croissance du PIB romand en 2021 et 2022, c’est l’inverse qui prévaut en 2023 et 2024. Les prévisions de croissance pour le secteur secondaire sont à nouveau plus optimistes pour l’an prochain. 2025 sera-t-elle l’année de la reprise pour le secteur secondaire?
Les branches manufacturières sont globalement sensibles à la conjoncture mondiale, et particulièrement européennes. Or, l’activité a fortement ralenti dans la zone euro, qui reste le principal client pour nos exportations. L’OCDE ou le FMI attendent une amélioration de la conjoncture chez nos voisins pour 2025. Il faut néanmoins rester prudent, l’amélioration qui se dessine est relativement timide et elle avait déjà été attendue pour 2024. Cette amélioration l’an prochain aurait toutefois des effets positifs pour les branches manufacturières, en particulier les machines, l’horlogerie et les instruments de précision.
Une nette reprise est également attendue dans la construction l’an prochain, qui contraste avec le repli observé en 2022 et 2023. Est-ce en raison de la baisse anticipée des taux d’intérêt?
Ce n’est pas le facteur décisif ici. Au sortir de la pandémie, différents facteurs ont pénalisé ce secteur: les coûts de construction étaient en hausse. Il y a eu la hausse des prix de certains matériaux de construction et des problèmes d’approvisionnement. Tout cela s’est traduit par une pression sur les marges, une augmentation des prix de revient et un allongement des délais de réalisation. Ces problèmes tendent à se résorber, ce qui contribue aussi à une normalisation de la croissance dans le secteur de la construction.
Si l’on se projette dans le futur, l’étude sur le PIB romand estime qu’après vingt années exceptionnelles, les défis ne manqueront pas pour la Suisse romande dans les années à venir. A quels aspects faudra-t-il être particulièrement attentif ces prochaines années?
La démographie et le vieillissement de la population, le développement et l’adaptation des infrastructures, la transition énergétique ainsi que la numérisation seront des défis importants pour la Suisse romande, tout comme ce sera le cas ailleurs en Suisse.
Si l’on considère les aspects qui sont susceptibles d’affecter la Suisse romande plus spécifiquement, l’évolution de la situation géopolitique revêtira une importance particulière compte tenu de la forte orientation de notre région vers les exportations. Plus une économie est ouverte, plus elle est sensible à l’évolution de la conjoncture internationale et aux questions liées à l’ouverture des marchés, que ce soit en lien avec les enjeux liés au protectionnisme ou aux relations entre la Suisse et l’UE. C’est pourquoi ces questions concerneront peut-être la Suisse romande à un degré plus marqué.