Interview d’un président destitué

Anna Aznaour

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«Je continue à être le président élu par le Parlement catalan, parce qu'il ne m’a pas retiré sa confiance», déclare Carles Puigdemont.

De gauche à droite : Micheline Calmy-Rey, Carles Puigdemont, Darius Rochebin, Xavier Vidal-Folch, Nicolas Levrat. © Anna Aznaour

«Je continue à être le président élu par le Parlement catalan, parce que le Parlement catalan ne m’a pas retiré sa confiance. Bien au contraire. Et il y a deux semaines, ce même Parlement a encore ratifié sa confiance, à la majorité absolue, en ma présidence», déclare Carles Puigdemont.

De passage à Genève à l’invitation du FIFDH*, cet ancien journaliste, élu président de la Région de Catalogne en 2016, a été destitué de sa fonction une année plus tard par Mariano Rajoy, le Premier ministre du gouvernement espagnol. Son référendum d’indépendance plébiscité par 90% des votants (43% de taux de participation) a ravivé la tension larvée qui oppose cette région le plus riche du pays (20% du PIB) à son gouvernement central. Ainsi, la renaissance de la contrée de plus de 7 millions d’habitants aura duré moins de quarante ans.

Antifasciste, la Catalogne vit une période de martyre durant le règne du dictateur Franco, et renaît à partir de 1978 grâce à la nouvelle Constitution, qui lui accorde une large autonomie. Une transition démocratique à l’origine de la prospérité de la région jusqu’en 2010, l’année où le gouvernement espagnol restreint sa souveraineté. Éprouvée par cette décision unilatérale, suivie du régime d’austérité économique et des scandales de corruption qui secouent tout le pays, la population voit l’indépendance – proclamée le 27 octobre 2017 – comme une panacée à sa situation qui se dégrade. Mais ce référendum, contrairement aux espoirs, plonge la région dans le chaos: parlement dissous par Madrid, ministres emprisonnés, président en exil en Belgique, 6 millions d’euros retirés des banques en quelques jours, départ de plus de 2000 entreprises, etc.

«Carles Puigdemont réitère la volonté de la majorité à être autonome
malgré l'absence de soutien international.»

Déjà passablement contrariée par le Brexit, l’Union européenne reste de marbre vis-à-vis de l’envie d’autodétermination des Catalans, craignant la propagation des velléités indépendantistes sur tout son territoire. Malgré l’absence de reconnaissance et de soutien international, Carles Puigdemont, le président destitué de Catalogne, réitère la volonté de la majorité de sa population à être autonome.

D’après le gouvernement espagnol, la Catalogne jouit déjà d’une grande autonomie. Est-ce vrai ?

Oui, mais sur le papier seulement. Dans la réalité, le Parlement catalan a une très faible marge de manœuvre en ce qui concerne aussi bien sa politique énergétique, que sa promotion de l’égalité entre hommes et femmes, ses impôts sur les dépôts bancaires ou encore la régulation des horaires de ses commerces, entre autres.

Quel était votre programme économique pour la Catalogne indépendante ?

Continuer à améliorer le fort potentiel économique de cette région ouverte et très dynamique avec un intérêt soutenu pour toutes les activités apportant une valeur ajoutée.

Comment la situation économique de la Catalogne a-t-elle évolué après son référendum d’indépendance ?

Pour l’année 2017, la Catalogne a enregistré un pic de 3,4% de croissance économique, c'est-à-dire supérieure à celle de l’Espagne, mais aussi de la moyenne de l’Union européenne. Ce succès est dû, en grande partie, aux exportations de sa production locale. Par ailleurs, le taux de chômage, déjà le plus bas de l’Espagne, s’est réduit encore plus.

«Il est évident que nous n’aurons pas les mêmes outils
pour continuer d’attirer les investissements chez nous.»
Que faire pour rassurer les investisseurs, dont une partie a fui la région en raison de son instabilité politique ?

Les sociétés qui ont quitté la région ont pour la plupart délocalisé seulement leur siège sous la pression du gouvernement espagnol. Cependant, leur production demeure sur place. D’ailleurs, jusqu’en octobre 2017, la Catalogne totalisait un tiers des investissements étrangers en Espagne et la moitié des investissements de l’Asie-Pacifique dans le pays. Ces capitaux ne sont pas arrivés chez nous du jour au lendemain. Nous avons beaucoup travaillé, durant des années, pour les attirer. Actuellement, s’il y a l’interdiction de rouvrir des bureaux commerciaux dans la région, il est évident que nous n’aurons pas les mêmes outils pour continuer d’attirer les investissements chez nous.

Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?

À l’origine, je suis journaliste. Mais en ce moment, je n’ai pas un grand avenir comme journaliste. Aujourd’hui, si je vais en Belgique, au Danemark ou si je viens en Suisse, c’est pour agir en tant que politicien, servir la Catalogne pour trouver une solution. Et ce, en m’appuyant sur notre revendication légitime d’autonomie.

En cas de reprise des négociations entre l’Espagne et la Catalogne, pensez-vous être choisi comme interlocuteur par le gouvernement espagnol ?

C’est tout de même incroyable qu’un État comme l’Espagne, qui a été capable de discuter avec des assassins et des terroristes à l’origine de la perte de centaines de milliers de vies, ne soit pas capable de parler avec nous, Catalans. D’autant plus que notre démarche a été parfaitement démocratique et pacifique. Je suis donc prêt, toujours, à encourager le dialogue. C’est également mon devoir en tant que responsable politique, qui prône la non-violence.

*FIFDH - Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains