Fin du plus long cycle haussier

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Crise sanitaire, guerre du pétrole, menaces sur les denrées: quels scénarios de reprise? Avec Stéphane Monier de Lombard Odier.

La crise du coronavirus se double d’une crise du pétrole où s’affrontent l’Arabie Saoudite et la Russie. En toile de fond se dessinent des risques sur l’approvisionnement vital, en particulier de denrées. De quoi sera fait le futur? Quelques questions à Stéphane Monier, Chief Investment Officer de Lombard Odier.

Le coronavirus a pris tout le monde par surprise. Pouvez-vous revenir sur le contexte?

Sur le plan économique, cette crise se produit alors que nous constations le cycle économique haussier le plus long de l’histoire. On s’attendait certes que ce cycle se termine mais sous forme d’une remontée de l’inflation et non d’une pandémie. Depuis mi-mars, il règne une incertitude complète en particulier à propos des statistiques sanitaires publiées qui ne paraissent pas cohérentes. L’impact des mesures est très sévère. Instaurées pour courber la contamination – et de ce fait réduire la pression sur les systèmes de soin et sur les décès -, elles détruisent les circuits économiques. La diversité des mesures sanitaires d’un pays à l’autre ne fait rien pour soulager la confusion. Quant au moment et aux modalités du déconfinement, ils restent nébuleux. Dépendra-t-il de l’existence de tests sérologiques qui permettraient d’identifier la véritable ampleur de l’épidémie, sa contagiosité et sa mortalité? Prendrons-nous exemple sur la Corée du Sud dont les méthodes paraissent plus efficaces que les nôtres ? En tout état de cause, le redémarrage pourrait être beaucoup plus lent qu’on ne l’imaginait initialement. Et l’incertitude est encore plus grande en ce qui concerne le type de reprise économique. Reprise en V, en U, en L, en W? Nous serons bientôt à court de lettre de l’alphabet! Notre équipe envisage plutôt une reprise en forme de «coche» ( √ ) avec une remontée assez longue.

«Cette situation n’est pas soutenable
pour les producteurs de gaz de schiste.»
La crise du coronavirus se double d’un conflit entre deux des principaux producteurs de pétrole, la Russie et l’Arabie saoudite. Avec pour conséquence un effondrement du cours. Quel impact?

La destruction de la demande est sans précédent, se situant autour de 20 à 30 millions de barils par jour. L’origine du conflit vient du refus de la Russie de réduire sa production pour maintenir les cours, alors qu’elle l’avait consenti depuis plusieurs années. Pourquoi? Parce qu’elle s’est rendue compte que ce contrôle de sa production ne lui bénéficiait pas mais profitait surtout aux producteurs de pétrole de schiste américains, en maintenant le prix de l’or noir au-dessus de leur seuil de rentabilité (environ 45-50 dollars le baril), en filigrane, le président Putin attend également la levée des sanctions américaines à l’égard d’individus et de sociétés russes, ce revirement de posture pourrait pousser les Etats-Unis à adopter un ton plus conciliant. En réplique au refus russe, l’Arabie Saoudite s’est mise à produire à tout va. Ce qui, à mon sens, fera plus de tort à l’Arabie qui a besoin d’un prix autour de 80 dollars le baril pour maintenir sont équilibre budgétaire qu’à la Russie dont la balance est plus robuste et qui bénéficie d’une dette faible et de réserves de change importantes. Cette situation n’est pas soutenable pour les producteurs de gaz de schiste. Il est attendu de l’Opep+ et des Etats-Unis des actions coordonnées pour retirer de l’offre jusqu’à 10 millions de barils par jour. Quoiqu’il advienne, les stocks vont se constituer de façon significative jusqu’en mai, avec pour conséquence un prix spot très volatile. La partie longue de la courbe (maturité au-delà de 2021), devrait quant à elle s’apprécier. De manière plus globale, l’effondrement des cours du pétrole est un désastre pour les autres pays producteurs comme le Nigeria ou le Kazakhstan.

Mais n’est-ce pas une bénédiction pour les pays importateurs comme l’Inde ou la Chine?

Ce le serait si les mesures attachées au coronavirus n’avaient pas considérablement réduit les transports et une partie de la production industrielle, limitant de ce fait les effets bénéfiques.

Il est question de graves problèmes possibles sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Qu’en est-il?

Il est certain qu’il va falloir arbitrer entre mesures sanitaires et approvisionnement vital. C’est autant de logistique que d’agriculture qu’il va falloir se préoccuper. Jusqu’à présent, les ébauches de réponse sont un peu «amatrices» et il importera de trouver un point d’équilibre plus raisonnable, plus efficace. A plus long terme, je pense que nous verrons s’affirmer un mouvement de fond vers des productions plus locales, des chaines d’approvisionnement plus courte, un fonctionnement moins en flux tendus. Qui permettra aussi d’aborder la réparation des dommages faits aux sols dans les plaines céréalières par exemple. En cela, la crise du coronavirus servira d’accélérateur de tendances existantes.

«Si le scénario optimiste se confirme, il faut acheter des actions.
En cas de scénario noir, de l’or et du cash.»
Quelles sont vos prévisions économiques et financières?

A ce jour, notons que les marchés actions ont perdu 28% en Europe et 22% aux Etats-Unis. Nous avons défini deux scénarios. Un premier assez optimiste et un second pessimiste. Le scénario favorable envisage une chute du PIB européen de 7% et du PIB américain de 2% en 2020 avec une reprise de croissance de 4 à 4,5% en 2021. Ce scénario estime un potentiel de hausse du S&P500 de 17% pour la fin de l’année à 2’900 points. Ce serait la plus grande récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, si les mesures sanitaires se montraient inefficaces et qu’advenait une seconde vague d’épidémie accompagnée de faillites massives, le scénario pourrait être bien plus noir encore car nous sommes entrés dans cette crise considérablement plus endettés qu’en 2008. Dans ce second scénario, la chute du PIB européen pourrait atteindre 12,5% en 2020 et celle du PIB américain 7%. Les reprises de 2021 seraient respectivement de 0,5% et 1,5%. Le S&P500 continuerait à s’effondrer toute l’année pour atteindre 1’800 points fin 2020.

Comment gérez-vous les portefeuilles dans ces conditions?

Il est difficile d’attribuer des probabilités à ces scénarios. Si le scénario optimiste se confirme, il faut acheter des actions. En cas de scénario noir, de l’or et du cash. A l’heure actuelle, notre portefeuille balancé comporte environ 43% d’actions, 7% de cash, 27% d’obligations et 23% d’alternatif donc 6% d’or. En outre nous sommes longs sur le yen. Nous avons aussi mis en place une stratégie de protection des portefeuilles par put spread pour protéger d’une baisse des marchés actions entre 5 et 20%. Cette couverture dynamique ne porte que sur 10% des positions actions. Pour les obligations, nous évitons les marchés peu liquides (la dette émergente ou le High Yield) et nous concentrons sur la dette souveraine de qualité et l’investment grade.

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