
Septembre 2016, à la Silicon Valley, dans une salle remplie de Venture Capitalist, une petite douzaine de start-up est présente pour pitcher leur projet en quelques minutes. Parmi elles, les trois quarts sont là pour présenter leur nouvelle app, dont la majorité est orientée sur la même thématique: le dating. A cette époque, il n’est plus si honteux de déclarer avoir rencontré sa douce moitié sur Meetic ou Tinder, et pour le secteur, l’horizon s’annonce flamboyant.
Près d’une décennie plus tard, la musique est toute autre. L’aspect éphémère de ces applications, la superficialité des rencontres et la multiplication des mauvaises expériences sont à l’origine d’un retour en arrière et d’une quête de vraies rencontres. «Aujourd’hui, les chiffres ne font pas semblant: selon une étude réalisée par YouGov pour l’application Once, qui prône le slow dating et le retour aux véritables rencontres, 83% des utilisateurs d’applications de rencontre sont insatisfaits de leur expérience. En d’autres mots, ils en ont ras-le-bol», peut-on lire sur le site du magazine «Elle».
Dans ce contexte, le verdict en bourse est vite tombé. Il est sans appel, avec un effondrement des sociétés cotées. Au cours des cinq dernières années, après un pic historique à la hausse en 2021, le leader du marché Match Group s’est effondré, atteignant actuellement un plafond autour de 30-35 dollars. Une évolution similaire est observée pour son principal concurrent, Bumble. Rien ne va plus dans le monde du dating en ligne, Jérôme Schupp, responsable des investissements chez Prime Partners nous explique les raisons de ce désamour flagrant.
«Dans le cas de Match Group, l’attention des investisseurs se porte désormais sur le nombre d’abonnés payants de Tinder, leur croissance et le montant moyen dépensé par utilisateurs.»
Pourquoi le secteur du dating ne fait plus recette à Wall Street?
Qu’elles soient liées aux réseaux sociaux, aux plateformes de streaming ou au monde du dating, ces sociétés ont toutes un point commun: quel que soit leur valeur réelle et leur modèle d’affaires, leurs titres ont explosé en 2020 et 2021, profitant de la bulle techno liée au Covid. Coincées chez eux, les gens se sont encore mis plus facilement aux rencontres en ligne. Cette tendance à fini par convaincre les marchés que le secteur allait se diriger vers une forte croissance tant des revenus que des marges bénéficiaires.
Mais dès la seconde moitié de 2021, le retour à la réalité a été brutal pour toutes ces valeurs, largement surévaluées. La bulle s’est rapidement dégonflée, ramenant le marché à certains principes fondamentaux. Dans le cas de Match Group, l’attention des investisseurs se porte désormais sur le nombre d’abonnés payants de Tinder, leur croissance et le montant moyen dépensé par utilisateurs. Cette dynamique est également observée dans le secteur du streaming vidéo avec Netflix et Disney ou audio avec Spotify. Pour ces entreprises, ce sont des indicateurs cruciaux, tout comme un portefeuille de produits en développement l’est pour un groupe pharmaceutique.
Les derniers chiffres publiés en novembre et février par Match Group ont déçu, avec un recul du nombre d’abonnés payants, et ce malgré une hausse des revenus par abonné. Cette contre-performance a même conduit à un changement de CEO.
Le problème du dating est-il lié à la difficulté de monétiser ses utilisateurs et cela malgré le fait qu’ils vieillissent et auraient plus de moyens financiers à disposition de telles applications?
La monétisation du modèle d’affaires est loin d’être évidente, que ce soit pour les applications de rencontre, les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, la musique avec Spotify, ou encore la presse en ligne payante. L’accès gratuit à Internet fait désormais partie des habitudes des consommateurs. Il faut souvent du temps et une offre solide pour les convaincre de payer.
La plus grande réussite dans ce domaine reste Netflix. Spotify, après des années de difficultés, est également sur la bonne voie, comme en témoigne la forte hausse de son titre depuis un an, et plus particulièrement ces derniers mois, avec des résultats enfin dans le vert. Disney, de son côté, semble également progresser en matière de rentabilité, mais il doit encore assurer la croissance de son nombre d’abonnés.
«Tout est une question d’équilibre, et dans le secteur du dating, c’est précisément ce qui fait défaut.»
Dans le secteur des réseaux sociaux, l’action Pinterest reste logiquement très sensible à l’évolution du nombre d’utilisateurs. Une fois de plus, cet indicateur a joué un rôle clé, cette fois en faveur de l’entreprise, en faisant grimper le cours de l’action. Toutefois, il est encore trop tôt pour dire si cette tendance est durable.
Tout est une question d’équilibre, et dans le secteur du dating, c’est précisément ce qui fait défaut. Prenez Bumble, dont les marchés anticipent une stagnation des revenus couplée à une perte nette en 2024. Tout cela s’inscrit dans un contexte de désaffection croissante pour les applications de rencontre, un signal clairement négatif.
L’intelligence artificielle pourrait-elle être la planche de salut du secteur en optimisant le match des profils et en affinant la sélection des correspondances potentielles?
Match Group affirme déjà utiliser l’intelligence artificielle, et cette tendance devrait encore s’accélérer. Pour ces entreprises, il est essentiel de proposer une offre plus performante, mieux ciblée et différenciée afin de fidéliser les utilisateurs, d’augmenter leurs dépenses tout en continuant d’en attirer de nouveaux.
Sinon, que faudrait-il pour redresser la barre et permettre au secteur de reprendre du poil de la bête en bourse?
Difficile de dire si le secteur retrouvera l’intérêt des investisseurs. Cela prend du temps… Il faudra clairement plusieurs trimestres consécutifs de croissance du nombre d’utilisateurs et d’abonnés payants, ainsi qu’une hausse du revenu moyen par utilisateur, pour ramener durablement les investisseurs, et non pas seulement sur un trimestre isolé.
A long terme, le secteur du dating en ligne conserve-t-il un potentiel en bourse à vos yeux, ou, à l’instar d’autres tendances éphémères, comme le marché du cannabis, assiste-t-on à son déclin programmé?
Pour l’instant, le secteur suscite peu d’intérêt, en partie en raison du désintérêt croissant de la jeune génération pour les rencontres en ligne. A long terme, ces entreprises ont encore un long chemin à parcourir pour rassurer les investisseurs et capter à nouveau leur attention.