Echec de la Fed face à l’inflation

Nicolette de Joncaire

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Masse monétaire, stimulus budgétaire, essor de la fortune privée: la politique monétaire face à des vents contraires. Avec James Perry.

Il est encore possible que Jerome Powell relève les taux même si la moitié des membres du FOMC le jugent prématuré. Mais si la question est d’actualité, est-elle fondamentalement pertinente?  L’objectif du relèvement des taux est de juguler l’inflation or l’efficacité de la politique monétaire menée par la Fed reste incertaine dans le paysage brossé par James Perry de Perry International Capital Partners. L’ampleur de la masse monétaire disponible, le considérable stimulus budgétaire et l’extraordinaire essor de la richesse privée viennent entraver tous bénéfices d’une politique monétaire au fond assez peu restrictive.

Quelles conclusions attendez-vous du FOMC?

Il est encore possible que Jerome Powell relève les taux mais la probabilité qu’il le fasse est extrêmement faible. On entend même dire que nous serions arrivés au bout de la stratégie de relèvement. La rumeur veut qu’après deux rapports relativement modérés sur l'inflation de l'indice des prix à la consommation et certains signes indiquant que la situation de l'emploi pourrait s'assouplir, la Réserve fédérale ne devrait pas relever ses taux lors de cette réunion. Plusieurs membres du FOMC estiment que les hausses précédentes auront un effet différé et qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir pour l’instant.

Qu’en pensez-vous?

Que ces membres du FOMC ont tort. Depuis le début de l'année, les économistes ont été pris au dépourvu par l’ampleur des dépenses de consommation et des dépenses publiques. Les bénéfices des entreprises ont surpris au deuxième trimestre et les analystes augmentent les estimations de bénéfices pour le troisième. On attend près de 6% de croissance du PIB cette année. La croissance est en train de dépasser les attentes malgré des coûts plus élevés du travail, des capitaux et des services. La politique monétaire menée à ce jour ne réussit pas à juguler l’inflation et ce pour trois raisons principales : la taille de la masse monétaire, le stimulus budgétaire et l’essor de la richesse privée qui contribuent, à tour de rôle, à renforcer la hausse des prix.

La masse monétaire a été multipliée par 5 an vingt ans. De 4'000 milliards à 20'000 milliards de dollars.
Parlez-nous d’abord de la masse monétaire?

En raison des assouplissements quantitatifs successifs menés depuis plus de quinze ans, elle a été multipliée par 5 en vingt ans, de 4'000 milliards à 20'000 milliards de dollars. Plus récemment, on peut observer que le bilan de la Fed a doublé par rapport au niveau où il se situait avant le Covid, passant de 4'000 à 8'000 milliards en trois ans. La croissance économique (PIB) est simplement définie comme la masse monétaire (M) multipliée par la vitesse (V) de l’argent dans l'économie. (PIB = M x V.) Les mesures de relance budgétaire ont entraîné une augmentation de la vitesse. Les dépôts directs dans les entreprises réelles accélèrent la vitesse. C'est la relance budgétaire qui a permis au PIB de surprendre à la hausse. Elle est aussi directement responsable de la poussée de l'inflation. En outre, la vitesse de circulation de cette augmentation massive a été amplifiée par toutes les subventions liées à la pandémie.

Qu’en est-il du rôle du stimulus budgétaire?

Les mesures de relance budgétaire donnent à l'économie un élan supplémentaire significatif. Les dépenses publiques en matière d'infrastructures et les nouvelles initiatives de politique économique gonflent les salaires dans tout le pays. En parcourant les différents Etats, on observe des travaux de rénovation partout, dans les aéroports, sur les routes, dans les écoles. Par ailleurs, le secteur public paie bien mieux que le secteur privé. Or il ne peut y avoir d'inflation sans hausse des salaires, et ceux-ci augmentent actuellement dans tous les secteurs de l'économie. Et ce n’est pas fini. La grève du secteur automobile démarrée la semaine dernière laisse présager des augmentations de salaires supplémentaires significatives, 30% peut-être pour un nombre important de salariés. Ces mesures de relance budgétaire, qui se montent en milliers de milliards, compensent largement le resserrement de la politique monétaire et devraient soutenir la rentabilité des entreprises jusqu'aux élections de 2024. Les dépenses publiques continuent donc à alimenter l’inflation.

La fortune privée atteint 154,3 mille milliards de dollars. Pour un PIB de l'ordre de 29 mille milliards. 
S’y ajoute selon vous une consommation qui ne ralentit pas en raison de l’essor de la fortune privée.

La consommation, soit environ 70% de la production économique, est en augmentation de 8,4%. Cette hausse n’est pas le fait des 50% les plus défavorisés qui survivent tout juste, ni des 25% de la classe moyenne qui voient le coût de leurs dépenses les plus essentielles prendre l’ascenseur. Ce sont les 25% les plus riches – qui n'ont pas nécessairement besoin d'un revenu pour consommer –, qui stimulent la consommation parce que la valeur nette de leur fortune est en croissance constante. Selon les dernières données de la Fed publiées la semaine dernière, la richesse privée a augmenté de 5,5 mille milliards de dollars pour atteindre 154,3 mille milliards de dollars au cours de l'année. Oui, 154,3 mille milliards de dollars de fortune privée alors que le PIB est de l’ordre de 29 mille milliards.

Qu’en concluez-vous?

Que les taux des fonds fédéraux pourraient bien atteindre 7% dans un avenir pas si lointain.

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