L’espérance de vie a doublé dans le monde en un siècle. Et elle continue d’augmenter. Le vieillissement démographique représentera le principal changement sociétal du 21e siècle, affirme Simon Fössmeier, analyste financier auprès de Vontobel dans un rapport approfondi sur ce thème. Les principaux bénéficiaires sont à chercher dans les secteurs de l’assurance vie, de l’assurance maladie, de la gestion d’actifs et de la gestion de fortune, des pharmas et des medtechs. Si l’investisseur ne doit surtout pas ignorer ce sujet, la question consiste à savoir comment s’y préparer et comment constituer un portefeuille. Simon Fössmeier répond aux questions d’Allnews:
Les 65 ans et plus verront leur nombre multiplié par six dans le monde d’ici la fin du siècle. Cet effet du vieillissement démographique provoquera-t-il une crise ou est-ce une opportunité?
L’une des particularités de ce problème réside dans la certitude des prévisions statistiques couplée à l’énorme difficulté à motiver les gens à agir en conséquence. Les faits ne sauteront aux yeux que dans plusieurs années. Il est facile de savoir combien de personnes d’un pays sont en âge de formation, de travailler ou à la retraite. Mais les statistiques se modifieront massivement à l’avenir, par exemple en Chine, en Inde ou en Suisse.
L’évolution démographique provoquera une crise que les Allemands appellent «Altersarmut» (pauvreté chez les personnes âgées) si l’on continue à financer les retraites par des cotisations sociales des personnes actives. Si les actifs diminuent et les retraités augmentent, la conclusion est aisée et elle n’est pas positive: Les actifs devraient payer beaucoup plus et les retraités recevront beaucoup moins.
Le vieillissement est donc un risque, mais un risque s’accompagne d’opportunités à condition que les individus le comprennent et décident d’investir bien davantage pour maintenir leur train de vie à la retraite.
Le débat politique doit gagner en importance sur ce sujet. Est-ce bien raisonnable d’avoir un départ à la retraite fixe, vers 65 ans, si on peut espérer vivre encore 30 ans en bonne santé à la retraite? Le temps à la retraite doit-il vraiment être égal à celui de la vie active?
C’est un problème mais aussi une chance par exemple pour les acteurs des services financiers s’ils disposent d’une plus grande partie du gâteau de la prévoyance vieillesse.
«La question de la pertinence future d’un ETF sur l’indice MSCI Monde se pose effectivement dans un monde en profond changement.»
Les chiffres sont indiscutables, mais les réformes politiques sont quasi impossibles. Est-ce que les systèmes de retraite vont tout de même s’ajuster?
Le cas de la France souligne à quel point un changement de l’âge de la retraite est difficile dans une démocratie. L’horizon des hommes politiques se limite aux prochaines élections et, sur ce sujet, ils n’ont que des mauvaises nouvelles à présenter: travailler plus longtemps, payer davantage pour les cotisations sociales, épargner soi-même davantage. La situation est plus favorable à Singapour qu’ici, mais le système politique n’est pas le même. En dépit des difficultés, il faudra bien imposer des décisions impopulaires.
Les hommes politiques avouent eux-mêmes que les individus sont des personnes responsables de leur propre avenir. Mais ils ne devraient pas sous-estimer les citoyens et croire que le peuple ne comprenne pas la situation. Chacun sait qu’il faudra davantage épargner pour soi-même.
Si d’ici 10 ans nous assisterons à des modifications ponctuelles, d’ici 20 ans les changements seront profonds et dans 30 ans d’autant plus. Mais on peine à prendre aujourd’hui des mesures pour des événements attendus dans 30 ans.
Votre étude analyse la situation d’ici l’an 2100 ans. Est-ce pertinent?
L’année 2100 est un objectif pertinent. Si vous êtes père de famille, il est quasi certain que vos enfants vivront au-delà de 2100 et probablement de 2125.
Je me base aussi sur les perspectives pour 2100 parce que les données des Nations Unies sont de très bonne qualité à ce sujet. D’ici 2050 les chiffres sont quasi certains et pour les années 2050 à 2100 j’ai utilisé un scénario central réaliste lorsque plusieurs scénarios étaient disponibles. L’année 2050 arrivera plus vite que vous le pensez.
Avec des retraites d’Etat plus basses, des taux d’intérêt très bas, des prix de l’immobilier très élevés, comment investir idéalement aujourd’hui pour affronter ces défis?
L’immobilier comporte deux aspects. L’augmentation de la population exerce un impact positif par l’augmentation de la demande de logements, mais la population européenne devrait diminuer d’ici 2050 si bien que certains projets immobiliers risquent de ne pas être rentables. Plutôt que des logements de 5 pièces pour deux adultes et trois enfants, la priorité se déplacera vers des logements plus petits et mieux adaptés aux besoins des personnes âgées.
En termes d’investissement, le principe d’une bonne diversification restera pertinent. Il faut investir non seulement en actions et en obligations mais aussi en private equity et dans des classes d’actifs non dépendantes des taux d’intérêt et en or. L’important sera d’augmenter la part des investissements et de diversifier.
Est-ce que la situation n’est pas différente en Suisse au vu du poids significatif du 2e piler?
Oui, absolument. La situation est nettement plus favorable en Suisse en raison de la répartition de la prévoyance en trois piliers. Seuls les Pays-Bas profitent d’une aussi bonne répartition sur trois piliers. En Allemagne et en Italie, 80% du financement est étatique et 20% privé et les cotisations par les entreprises jouent un rôle négligeable.
Malgré tout, l’évolution démographique n’est pas positive en Suisse en raison du faible taux de natalité.
L’investisseur qui place son argent à long terme se voit proposer des investissements indiciels. Au moment où les Etats-Unis représentent plus de 60% de la capitalisation et où nous entrons dans un système protectionniste, est-ce que la tendance à l’investissement passif est encore adapté?
Chez Vontobel, nous sommes depuis longtemps persuadé par les mérites de la gestion active. La question de la pertinence future d’un ETF sur l’indice MSCI Monde se pose effectivement dans un monde en profond changement. Il est possible que la part des Etats-Unis pourrait diminuer. En réalité, je pense que des classes d’actifs comme le private equity profitera de la tendance actuelle à sa démocratisation. Il en va de même d’autres classes d’actifs.
«Il faut oublier le modèle selon lequel un investisseur de 60 ans n’a plus que des obligations.»
Vous analysez les branches d’activités les plus touchées par l’évolution démographique, des assurances vie à la pharma ou à la medtech. Est-ce que les assurances appartiendront aux gagnants?
Il faut distinguer entre deux phénomènes, celui de l’accumulation et celui de la diminution de l’épargne. Les banques et les gérants de fortune répondent bien au besoin de placement de l’épargne dans la phase d’accumulation. Les gérants d’actifs et les banques sont connus pour leur capacité à générer un rendement sur les placements. Par contre, les assurances vie peuvent gérer le risque de longévité.
Si les assurances vie parviennent à changer de profil et à montrer qu’elles peuvent présenter de bonnes performances de placements, d’apparaître comme des sociétés d’investissement, elles ont une opportunité à saisir.
Habituellement, les banques proposent à l’investisseur de réduire nettement la part en actions à 65 ans. Si les retraités ont encore 30 ans devant eux, les banques ne devraient-elles pas changer leurs modèles de conseils?
Effectivement. Les conseils doivent s’adapter aux nouvelles réalités. Des sexagénaires deviennent père et des octogénaires courent le marathon. Les solutions doivent être personnalisées. Il faut oublier le modèle selon lequel un investisseur de 60 ans n’a plus que des obligations dont le rendement dépasse à peine 1%. Pour préserver son patrimoine, il faut le diversifier, y compris avec la dette privée et le private equity, des classes d’actifs qui se sont démocratisées récemment.
Au sein de l’industrie pharma, le thème a longtemps été celui d’une médecine personnalisée. Avec le vieillissement démographique, l’accent est mis sur les maladies neurodégénératives. Quelles sociétés sont les mieux placées?
L’analyse des principales causes de mortalité place les maladies cardio-vasculaires au premier rang devant les formes de cancer. La recherche pharma sur les maladies cardio-vasculaire ne progresse plus guère. La recherche met plutôt l’accent sur les changements de comportement (alimentation, sport). En oncologie, l’innovation est en train de s’accélérer. La démographie profite aux groupes pharmaceutiques et à la medtech mais aucune société n’en profite spécialement. C’est différent en assurance ou en finance. Dans l’assurance, les assureurs-vie profitent du vieillissement démographique davantage que les groupes d’assurance-accident ou d’assurance choses. Et en finance, VZ Holding qui se concentre sur les plus de 50 ans profite significativement de cette évolution démographique.
En quoi la hausse des droits de douane modifient les perspectives de ces secteurs?
Personnellement, je pense que le débat sur les droits de douane n’est que temporaire et qu’il disparaîtra assez rapidement de l’actualité. C’est un instrument utilisé par Donald Trump pour faire avancer ses dossiers.
Beaucoup de sociétés pharmas et medtechs ont déjà créé des sites de production sur le marché américain. En revanche, la situation est différente pour les banques et les assurances parce que, si elles veulent être iplantées aux Etats-Unis, elles doivent être enregistrées dans chacun des Etats.
Les assureurs vie profitent du vieillissement démographique. Les plus grands au monde sont Allianz, Ping An en Chine et Nippon Life. Est-ce que ce sont des actions attractives?
Ces sociétés sont aussi pénalisées par les discussions sur les droits de douane puisqu’elles subissent les baisses des marchés financiers. Si l’on prend l’exemple de la Chine ou du Japon, la démographie s’y développera très négativement ces prochaines décennies.
Le problème de la recherche de sociétés en dehors de l’assurance est liée au fait que les pays les plus attractifs d’ici 30 ou 50 ans sous l’angle démographique sont difficiles à investir. En Afrique, la plus forte croissance se situe dans des pays tels que le Congo ou le Nigeria. En Asie, je citerais le Pakistan. Comment y investir? En Inde, un pays à la démographie positive, le marché de l’assurance est très régulé et le leader est étatique. Les perspectives démographiques sont aisées à décrire, mais il est difficile d’y prendre pied. La stratégie pour un assureur consisterait à commencer modestement dans un pays africain, profiter de l’avantage d’y être le premier et espérer qu’il se développe d’ici 30 ans. Mais il serait présomptueux de croire qu’un investissement aujourd’hui au Congo, au Nigeria ou au Pakistan garantisse un bon rendement d’ici 5 ans.
Les futurs gagnants du développement démographique sont presque exclus de l’univers d’investissement actuellement.
Quelles opportunités existent plus près de nous?
En Suisse, je citerais l’assurance Helvetia, qui gère des hôpitaux en Espagne ainsi que des résidences pour personnes âgées. Des sociétés immobilières peuvent aussi étendre leurs activités à ce type de résidences. Pour l’instant ce secteur est dominé par des sociétés non-cotées et des organisations caritatives. Dans la finance, je citerais VZ.
Pourquoi, dans le sillage de votre étude, ne lancez-vous pas un fonds de placement thématique sur la démographie?
C’est l’un des thèmes les plus importants de ce siècle. Mais il est extrêmement difficile de désigner précisément les sociétés qui en profiteront le plus. J’ai déjà cité la difficulté à investir au Pakistan ou au Congo. Le marché indien est probablement l’un des candidats que je pourrais citer sur 10 ans. Mon étude permet avant tout une sensibilisation à ce thème.
A vos enfants, quelle recommandation feriez-vous dans une optique à 10 ans?
Je recommanderais dans une optique à long terme par exemple les marchés émergents ou les «frontier markets» comme le Vietnam ou le Nigeria, actuellement très peu représentés dans les indices. Et je recommanderais une bonne diversification.
La démographie exerce une influence sur la demande de tous les biens et services, y compris les services de santé ou la microfinance. La question est aussi celle de l’évolution des marges des sociétés. Dans une optique à 5 ans, je privilégierais les assureurs vie et les secteurs de la pharma et de la medtech.