Deux décennies sur les small et mid caps européennes

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Philip Best de Quaero Capital: les investisseurs sont des papillons de nuit attirés par les idées excitantes.

Philip Best (à gauche), co-fondateur de Quaero Capital, et Marc Saint John Webb (à droite), gestionnaire de fonds.

Le fonds Argonaut investi sur les petites et moyennes capitalisations européennes fête ses 20 ans. L’occasion de faire le point sur l’évolution de la classe d’actifs avec Philip Best, co-fondateur de Quaero Capital, et Marc Saint John Webb, gestionnaire du fonds. Du 31.05.2003 au 30.04.2023, l’Euro Stoxx 600 a progressé de 308%. En comparaison, l’indice EMIX (small caps européennes) a grimpé de 515% et le portefeuille a bondi de 741%. Le segment offre aujourd’hui une décote historique par rapport aux grandes capitalisations. La chance de deux décennies? Entretien.

Les investisseurs se sont détournés des petites et moyennes capitalisations. Comment la classe d’actifs a-t-elle évolué sur ces 20 dernières années?

Marc: Depuis le lancement du fonds jusqu’en 2007, les small et mid caps ont bien progressé, jusqu’à l’éclatement de la grande crise financière. Le portefeuille a bien résisté à la correction grâce aux bilans solides des sociétés détenues. Les années 2011 et 2012 correspondent au redressement de l’univers. Il est ensuite entré dans une phase euphorique jusqu’en 2018, lorsque la guerre commerciale initiée par Donald Trump a commencé à favoriser les entreprises américaines. Lors du Covid, les investisseurs ont craint une récession. Ils pensaient (à tort) que les small et mid caps étaient illiquides et risquées. Cette croyance a accentué la sous-performance du segment.

Revenons sur le comportement de la classe d’actifs durant les cinq dernières années. Notamment l’année passée, où les small caps ont reculé de 23%.

Marc: L’univers se divise en différentes parties. Au sein de secteurs attractifs, certaines entreprises sont apparues à un moment de sur demande après 3 années de croissance. Nous avons vu beaucoup de candidats décevants, à l’instar d’une société allemande fabriquant des bornes de recharge électrique.

Les investisseurs ont oublié pourquoi ils s'engagent dans les small et mid caps; elles surperforment les grandes capitalisations sur le long terme.

L’année dernière correspond à celle du retour aux fondamentaux et les indices sur les small caps ont reculé sous le poids de ce mouvement. Notre fonds a mieux résisté avec une perte limitée à -13%. Durant ses 20 ans d’existence, on note qu'il a surtout surperformé grâce à une meilleure résistance dans les périodes de baisse.

Philip: Les investisseurs sont comme les papillons de nuit: ils sont attirés par les idées excitantes et les nouvelles technologies. Ils achèteront des sociétés surévaluées qui finiront par chuter.

Qu’attendez-vous de cette classe d’actifs qui offre aujourd’hui une décote historique par rapport aux grandes capitalisations?

Marc: Un retournement de tendance s’amorce, mais il est difficile de prédire son plein effet avec exactitude. Les allocateurs de fonds ont vendu les plus petits segments de leur portefeuille: plus les structures sont modestes, plus les performances sont faibles. Depuis le début de l’année, les small caps ont progressé de 7% et les mid caps de 13%. En termes de valorisation, les entreprises ont bien tenu: nous attendons une croissance de leurs résultats cette année. Les cours de bourse sont bas. Les titres se traitent à 11x les bénéfices de cette année, et à 9,5x ceux de l’année prochaine: nous n’avons jamais vu ces niveaux en 20 ans. Il y a toujours un retour à la moyenne qui s’opère sur les actions.

Philip: Les investisseurs ont oublié pourquoi ils s'engagent dans les small et mid caps; elles surperforment les grandes capitalisations sur le long terme. En changeant constamment son fusil d’épaule, il est impossible de faire du timing efficace.

Pourquoi les petites sociétés ont-elles moins bonne réputation que les grandes?

Philip: Les investisseurs s’imaginent que les small caps sont plus volatiles que les larges caps. La volatilité dépend en réalité du type d’investissement. Il existe une couche de petites sociétés moins fluctuantes et moins risquées. L’univers englobe différents écosystèmes. Il faut différencier une entreprise multigénérationnelle non endettée et gérée à long terme d’une jeune pousse dans les chiffres rouges cotée en bourse depuis 3 ans. Cette dernière reste spéculative.

Pourquoi les petits acteurs sont-ils tentés de sortir de la cote?

Philip: Nous voyons des familles fondatrices profiter des valorisations basses pour racheter les parts minoritaires avec une prime souvent conséquente. Elles sont prêtes à payer une «real world value», que la bourse n’offre pas toujours en raison de ses fluctuations. Cette tendance conduira inéluctablement à une cote moins fournie d’ici 10 à 15 ans.

Marc: En dehors des exigences de transparence, de plus en plus d’entreprises, comme la suisse Bobst, se rendent compte que les fond de private equity «mid market» ont levé beaucoup d’argent. Les multiples EBITDA qu’ils offrent sont passés de 7 à 13. C’est-à-dire que ces fonds offrent une prime d’illiquidité par rapport aux bourses dont les multiples sont plus bas. Ce paradoxe incite les sociétés à ne plus rester en mains publiques.

Quels sont les meilleurs secteurs et régions pour s’exposer à cet univers?

Philip: L’Allemagne, l’Italie, la Suisse et la France forment le cœur de nos investissements parce que nous y trouvons un gisement riche de sociétés bien capitalisées et peu endettées. Il est plus difficile de dénicher des candidats attractifs au Nord, car la ruée des investisseurs institutionnels sur les marchés scandinaves avait renchéri les prix.  Au Royaume-Uni, les compagnies sont très endettées et le problème des fonds de retraite s’agrège à la dette. De plus, ces dernières sont tournées vers l’économie locale mise à mal par le Brexit, contrairement aux entreprises suisses exportant à l’étranger.

Marc: En tant qu’investisseurs contrariants, nous aimons un secteur pas à la mode: machines de production de haute technologie. Leurs cours avaient bien baissé en perspective d’une récession qui n'est pas arrivée. Après le recul des commandes, les valorisations ont ridiculement faibli malgré une bonne activité en termes de ventes. Nous anticipons un mouvement de reshoring au cours des 5 à 6 prochaines années. La production sera composée avec davantage de machines et moins de main-d’œuvre.

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