Une nouvelle conception des rapports entre hommes et machines est-elle inévitable? Conversation avec Xavier Oberson.
Taxer les robots. Depuis des années, Xavier Oberson se passionne et écrit sur ce thème avec un premier ouvrage paru en 2019 en anglais et une traduction française désormais disponible aux éditions Larcier. Il a été critiqué, et même moqué, mais aujourd’hui son nom figure aux côtés de ceux de Bill Gates, d’Elon Musk, de Stephen Hawking et de Robert Shiller parmi les précurseurs d’une nouvelle conception des rapports entre hommes et machines comme en témoigne l’article consacré au sujet sur Wikipedia. Et avec la vague de chômage qui accompagne l’actuelle récession, identifier une alternative aux impôts sur le revenu du travail n’est peut-être pas superflu.
Avec l’évolution fulgurante de l’intelligence artificielle, les robots pourront se substituer aux humains dans les tâches les plus complexes1. Dans ces conditions, et si contrairement à ce qui a été observé dans le passé, l’innovation n’est pas créatrice mais destructrice d’emplois, il faudra compenser les revenus générés par l’actuelle taxation du travail humain pour permettre aux Etats de continuer à fonctionner. Il conviendra aussi d’assurer un revenu à une vaste portion de la population qui se retrouverait inactive - ce que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de « revenu universel ». En bref, il s’agit d’équilibrer la perte fiscale sur les revenus du travail due au remplacement des humains par des robots, d’une part, et de financer le revenu universel, de l’autre, alors qu’une augmentation du bénéfice imposable des sociétés serait insuffisante à y parvenir. Cela d'autant plus que l’imposition des sociétés reste un objet de concurrence fiscale entre pays.
car il faut des années pour parvenir à un consensus en matière fiscale.»
Parce qu’il s’agit de substituer des fonctions beaucoup plus élaborées qu’autrefois. Les opinions sur les conséquences de cette révolution sont partagées, avec des optimistes et des pessimistes. Je ne prends pas parti mais si les pessimistes l’emportent, nous serons confrontés à un immense problème. Rechercher une solution dès à présent me parait nécessaire car il faut des années pour parvenir à un consensus en matière fiscale.
J’imagine deux phases. Dans une première étape, on taxerait l’usage des robots sur un principe similaire à celui appliqué aux personnes résidant dans des logements dont ils sont propriétaires. Dans la seconde étape, on envisagerait d’attribuer aux robots une personnalité juridique et fiscale. En devenant des «personnes» à part entière, les robots pourraient être imposés comme le sont d’autres entités fiscales, selon le principe de la personne morale applicable aux sociétés ou aux associations.
Certes. Dans ce contexte, un robot assujetti devra être doué d’autonomie et d’une capacité décisionnelle indépendante. En dehors de tout aspect physique car qui dit intelligence artificielle ne dit pas humanoïde.
de leur présence numérique et non physique.»
Les définitions devront être évolutives. En fonction des avancées de la technologie.
Ces points sont loin d’être aussi problématique qu’il apparait à première vue. Les sociétés anonymes ont des droits, sont représentées auprès des tiers et les sanctions leur sont applicables. Le principe est identique même si la pratique reste à développer. Et puis, pourquoi les robots ne se défendraient-ils pas eux-mêmes? Il existe bien déjà des robots-juges qui, soit dit en passant, peuvent montrer autant de subjectivité que les juges humains.
On peut imaginer une première approche basée sur sa capacité contributive en «équivalent humain». C’est évidemment limité car les robots pourront (et peuvent déjà) exécuter des tâches impossibles à réaliser par des humains. C’est le cas, par exemple, des robots dépisteurs de radioactivité utilisés à Fukushima.
Les robots devront être taxés en fonction de leur présence numérique et non physique. Sur le même principe que celui qu’on essaie aujourd’hui d’imposer aux géants du numérique. La présence numérique remplacera la présence physique sur laquelle est fondée notre système fiscal conçu au début du XXe siècle.