Cryptodevises: le grand nettoyage

Salima Barragan

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Pour Arnaud Masset, stratégiste marché chez Swissquote, il faut bien différencier les différents types de cryptodevises.

Après la folie qui s’est emparée des cryptodevises en 2017, année où certains investisseurs étaient prêts à céder des actifs réels pour des «tokens» de crypto start-up, l’année 2018 s’est avérée catastrophique. Toutes les cryptodevises ont corrigé... entre 73% et 90%. Pour 2019, nous nous attendons à un grand nettoyage. Beaucoup d’entre elles disparaîtront, pour ne laisser la place qu'à quelques leaders, au fur et à mesure que le marché se consolide. Interview avec Arnaud Masset, stratégiste marché chez Swissquote Bank.

Perçues comme spéculatives, les crypto-devises peuvent-elles être considérées comme des actifs financiers à part entière?

Tout d’abord, il faut différencier les types de cryptodevises car elles ne sont pas toutes assignées à la même utilisation. Par exemple, le Bitcoin, le Litecoin ou encore le Dash, sont destinés à être des moyens de paiement – le cas de Bitcoin étant discutable puisque Roostock propose une plateforme de contacts intelligents via une chaîne parallèle. Mais d’autres cryptosdevises, comme l’Ethereum, donnent accès à des services via une application décentralisée de «smart contracts». Par ailleurs, il existe aussi des «security tokens», permettant la «tokenisation» d’actifs, qui sont traités d’une manière différente par les régulateurs. La tokenisation d’actifs sera d’ailleurs l'un des grands thèmes des prochaines années. Ainsi, même si les crypto-actifs ont parfois été perçus différemment par le grand public, ce sont des actifs.

L'internet n’a pas à eu à faire face à autant
d’incertitudes et de résistance réglementaires que les cryptos.
Quelles sont les similitudes et les différences entre la bulle dotcom et celle des cryptodevises?

Dans les deux cas, il s’agit de l’avènement d’une nouvelle technologie dont le potentiel de disruption est énorme. Il est toujours très difficile de valoriser correctement une nouvelle technologie dont on ignore encore dans quelle mesure elle va révolutionner le monde dans lequel nous vivons. Lors de l’arrivée d’internet, il était difficile d’évaluer son utilisation future et d'identifier toutes ses applications potentielles. Il en est de même pour le blockchain. C’est cette incertitude qui a donné naissance aux bulles dotcom et à celle des cryptos. Cependant, tout semble aller plus vite pour les cryptomonnaies, tant le rallye que la correction. Le gonflement de la bulle aura duré moins d’un an, contrairement à celle du Nasdaq qui a duré plusieurs années. La valorisations des valeurs technologiques était restée basse pendant 5 ans. En outre, les cryptodevises se sont effondrées de 90% sur une période très courte alors que le Nasdaq s’est effondré de 80% sur une durée de deux ans environ. L'une des différences majeures est que la nouvelle technologie qu’était internet alors n’a pas à eu à faire face à autant d’incertitudes et de résistance réglementaires que les cryptos. En effet, de par leur usage potentiel en tant que monnaie, ces dernières ont rencontré une forte résistance de la part des institutions en place. Les banques centrales, par exemple, ne sont définitivement pas prêtes à abandonner leur monopole de création de la monnaie. Par conséquent, nous anticipons que c'est l'application de la technologie blockchain qui aura le plus de succès.

Comment analysez-vous l’évolution des cryptos en 2018?

Suite à la correction du marché des cryptos, le marché a initié une période de nettoyage. Toutes les sociétés, dont le business model n’est pas viable, vont disparaître. Seules les plus solides perdureront. Il y a eu énormément de scams sur des IPOs vides où des projets très bancals. Ce nettoyage a remis les prix à niveau car les valorisations devenaient déraisonnables. De plus, de nombreuses startups se proposent d’adresser des problématiques identiques, en passant de la gestion des identités et du «supply chain management», ou encore des échanges décentralisés. Toutes ne survivront pas. Ce processus d'élimination a débuté en 2018 et va se poursuivre.

Le piratage constitue bien le risque principal
et les vols se comptent en dizaines de millions de dollars.
Comportent-elles d’autres risques comme la dilution ou le piratage?

Elles ne comportent pas de risque de dilution car l’offre maximale est déterminée. L’inflation est donc contrôlée et prévisible. Pour le Bitcoin, la création d’un nouveau bloque donne naissance à des bitcoins fraîchement émis en guise de récompense – via le processus de minage. Cette récompense des mineurs est dégressive avec le temps. Aux alentours de 2140, lorsque 21 millions de jetons auront été minés, la masse maximale aura été atteinte et les mineurs seront rémunérés uniquement grâce aux frais de transaction. Il s’agit donc d’une monnaie plutôt déflationniste à long-terme. Par contre, le piratage constitue bien le risque principal et les vols se comptent en dizaines de millions de dollars. L’hameçonnage, piratage du «wallet» par vol de clefs privées, permet de subtiliser des fonds. Il y a également d’autres risques comme perdre l’accès à son «wallet» ou envoyer des jetons à une mauvaise adresse, généralement à cause d’une faute de frappe. Dans ce cas, les jetons sont irrécupérables. Mais ces risques sont des défauts de jeunesse. Les utilisateurs, par manque de connaissance, ne sont pas assez rigoureux sur la sécurité mais ce genre de problématique devrait s’améliorer avec le temps.

Quelles sont vos perspectives pour 2019?

Le processus de consolidation des cryptodevises va se poursuivre. Nous nous attendons, dans les deux prochaines années, au développement rapide de projets solides. Beaucoup d’acteurs importants, comme les bourses suisse, australienne ou encore l’ISE, travaillent sur des solutions basées sur le blockchain. Le Nasdaq compte également émettre des futures sur le bitcoin. L'une des autres tendances est que de nombreuses sociétés préfèrent travailler sur leurs propres solutions plutôt que d’utiliser des solutions décentralisées déjà existantes. Nous allons vers des solutions privées derrière lesquelles ces sociétés choisissent qui valide les transactions (permissioned private blockchain), mais nous aurons également des solutions 100% décentralisées (permissionless and permissioned public blockchain). Enfin, le bitcoin, qui a corrigé de 83%, soit le gros de la correction, ne devrait pas descendre beaucoup plus bas.

Favorisez-vous certaines cryptos, si oui, lesquelles?

Nous avons cinq cryptodevises, cotées contre le dollar US et l’euro, disponibles sur notre plateforme. Nous proposons également des certificats, côtés à la SIX (bourse suisse), qui offrent une exposition à certaines crypto-monnaies. Pour ce qui est des prévisions, nous estimons que les cryptos destinées au paiement, et donc qui remplacent les «fiat currency», sont des investissements plus risqués. Les banques centrales ne sont pas disposées à renoncer à leur monopole et feront donc leur possible pour les discréditer. Cependant, ces institutions ne sont pas toutes réticentes à utiliser la technologie blockchain puisqu’elle leur permettrait de tracer toutes les transactions. Néanmoins elles garderaient le contrôle total sur le processus de validation et d’offre. Cette solution se rapproche donc plus à la digitalisation de la monnaie, un vieux rêve. Même Christine Lagarde a mentionné une monnaie digitale contrôlée par les Etats. Ainsi, les paris les plus sûrs restent les cryptos comme l’Ether, qui permettent l’accès à des services décentralisées et donnent accès aux «smart contracts» et sont donc moins risquées que les tokens de pur paiement.