Coup de pouce à l’investissement durable américain

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Actions US aux SSFA: le débat entre performance financière et critères ESG semble enfin résolu. Entretien avec Suzanna Gobet de Bedrock.

Membre du jury des Swiss Sustainable Funds Awards (SSFA) pour la troisième année, Suzanna Gobet, co-responsable de la gestion de fortune du Bedrock Group, suit pas à pas l’évolution de l’industrie vers l’investissement durable depuis son premier travail de recherche dans le cadre universitaire sur l’ISR. Elle juge que le mouvement initié il y a plus d’une quinzaine d’années est devenu aujourd’hui pratique courante et a abouti à un véritable accord entre les acteurs. A ses yeux, on assiste au niveau mondial à l’adoption du courant de la finance durable. L’Europe reste pionnière dans le domaine de ESG mais les mentalités progressent partout, en particulier aux Etats-Unis. Ces mêmes tendances se constatent aussi dans le domaine des Family Offices, secteur dans lequel elle opère. Entretien.

De quelle manière les Swiss Sustainable Funds Awards vous paraissent-ils, sinon uniques, du moins différents des autres qualifications du même genre?

Plusieurs éléments convergent pour en faire une récompense très particulière. En premier lieu, l’indépendance du jury. De plus, la diversité des expériences des membres du jury permet de conjuguer les attentes respectives des différents types d’investisseurs. J’aimerais souligner qu’on ne peut pas s’inscrire aux SSFA, on y est choisi sur la performance et sur la durabilité des sous-jacents contrairement à d’autres récompenses. Quant au processus de sélection, il bénéficie de l’expérience d’Anglo-Swiss Advisors pour les aspects de performance et de risque, d’une part, et de celle de Conser, - dont l’expertise dans le domaine de l’ESG n’est plus à démontrer -, de l’autre.

«L’ambition des Awards était de créer un langage commun
à la base de la gestion et ils ont, à mon sens, parfaitement réussi.»
Peut-on considérer que ces Awards constituent aujourd’hui un benchmark?

Oui. Pour les gestionnaires, la méthodologie de sélection établit des règles claires tant sur la performance financière que sur les bonnes pratiques en matière de ESG. L’ambition des Awards était de créer un langage commun à la base de la gestion et ils ont, à mon sens, parfaitement réussi.

Sont-ils importants pour la Suisse?

Contrairement à d’autres pays plus «réglementaristes», la Suisse n’a pas de label ESG octroyé par l’Etat. Toutefois, suite aux lignes directrices émises par l’ASB ainsi qu’avec celles de la SFAMA il y existe un vrai progrès sur l’inclusion des critères ESG dans le processus de conseil. La démarche suit les développements de l’UE qui prévoit un test d’adéquation exigeant des conseillers de se renseigner sur les préférences ESG des clients dans le cadre d’un conseil en investissement. Les SSFA s’inscrivent donc dans une volonté nationale et internationale dont ils sont, en quelque sorte, précurseurs et promeuvent une finance helvétique citoyenne.

Mais les critères, environnementaux en particulier, sont-ils si clairement définis? On pense par exemple à l’exclusion du nucléaire pour certains et pas pour d’autres.

On observe cependant que l’approche traditionnelle qui consiste à exclure les investissements jugés non-durables domine toujours.  Il existe bien évidemment des différences culturelles et historiques mais la volonté est la même. De manière similaire, certains veulent exclure tout engagement dans les entreprises qui opèrent dans le domaine des combustibles fossiles alors que d’autres préfèrent encourager les sociétés pétrolières à investir dans l’énergie renouvelable. Deux approches mais un seul objectif.

La méthodologie des SSFA sera-t-elle appelée à évoluer?

Elle a déjà évolué et évoluera encore en fonction des exigences des investisseurs et du cadre législatif qui, tous deux, reflètent les attentes de la société au sens large. Notamment cela se reflète aussi au niveau des nouvelles thématiques introduites dans la catégorie «Actions thématiques».  Cette année, celle de «Water» y a été ajoutée. Ce qu’il importe de noter est l’alignement qui existe déjà dans la recherche du langage commun entre entreprises durables et investisseurs. Tous les acteurs se rejoignent aujourd’hui.

«Aux Etats-Unis comme ailleurs, les critères ESG sont de mieux en mieux
définis, apportant un cadre clair à l’activité de la finance durable.»
Pour la première fois cette année, on voit apparaitre une catégorie «Actions Etats-Unis» dans la liste des nominés aux SSFA. Est-ce un signal important?

C’est une excellente nouvelle. Très significative car, même si les Européens restent pionniers, le mouvement prend de la vitesse aux Etats-Unis, qui paraissent avoir enfin résolu le débat historique entre performance financière et critères ESG. Aux Etats-Unis comme ailleurs, les critères ESG sont de mieux en mieux définis, apportant un cadre clair à l’activité de la finance durable. Leur impact positif sur la performance à long terme est en outre dorénavant démontré. Ce qui était avant-gardiste il y a encore peu est aujourd’hui juste dans l’air du temps.

Pourquoi êtes-vous devenue membre du jury?

C’est une longue histoire. Dans un contexte académique j’ai eu l’occasion de me pencher sur la prétendue incompatibilité entre performance financière et ce qu’on appelait alors l’ISR, (l’investissement socialement responsable) nomination vague qui ouvrait la porte aux manœuvres de greenwashing. Depuis, je constate en suivant tout naturellement l’évolution de l’industrie qu’il existe un effort constant vers la concrétisation et la clarification des critères, selon une approche objective. C’est un vrai réconfort de voir que les divergences ont finalement abouti à un accord entre les acteurs et qu’investir de manière durable n’est plus perçu comme étant incompatible avec la performance.

Quelle est la prochaine étape qui vous tiendrait le plus à cœur?

Une tendance qui a progressé ces dernières années est aussi celle de la finance de l’impact qui tend à engendrer un avantage sociétal ou environnemental mesurable. Avec l’attrait grandissant pour les marchés privés, l’impact Investing pourra se développer davantage. En particulier, la démocratisation de certains services ou l’ouverture des accès dans des domaines tels que la santé ou l’éducation grâce aux investissements dans la technologie où un «smart impact» sociétal est facilement quantifiable. 

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