Comment nos hormones impactent nos investissements

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Peut-on devenir accros aux marchés? Oui, et ce n’est pas une source de performance. Entretien avec Paul Jackson d’Invesco.

CNBC, Bloomberg et les fils twittés non-stop: la traque effrénée aux informations n’est pas synonyme de performance, même si elle procure un vague sentiment de contrôle. Les décisions d’investissement sont liées à des biais comportementaux ainsi qu’à la biologie humaine. Nos hormones influencent notre façon d’appréhender le risque et nous incitent à pourchasser des gains immédiats. Suite à la publication de plusieurs papiers fouillés sur le sujet, Paul Jackson, directeur de la recherche en allocation d’actifs chez Invesco, répond aux questions d’Allnews.

Pourquoi certains financiers sont-ils frénétiques dans leur recherche d’information; un comportement qui n’améliore pourtant pas les résultats des investissements?

Paraître affairé reste une habitude très ancrée dans le milieu. Cependant, un grand nombre de professionnels souffrent de l’illusion du contrôle. Fenton-O'Creevy a testé en 2002 le degré de contrôle que 107 traders londoniens pensaient avoir sur un résultat simulé par ordinateur. En réalité, ils n’avaient aucune emprise sur leur taux de réussite. Les courtiers qui s'imaginaient avoir le plus de maîtrise avaient tendance à être les moins performants dans leur travail. Ils étaient aussi les moins bien payés. En partant à la chasse aux détails, on croit obtenir un meilleur contrôle sur les investissements. Pourtant, ce comportement ne contribue pas à améliorer les résultats. Une expérience menée par Hubert a constaté que le fait de disposer de plus d'informations n'augmentait pas les bénéfices des transactions, jusqu'à ce que l'avantage en la matière atteigne des proportions d'initiés. La traque excessive aux données procure tout au plus un sentiment de confiance, de bien faire son travail ainsi qu’une nourriture pour l’esprit.

«Certains traders de hedge funds paramètrent leur smartwatch afin de les sortir du sommeil lorsque Bloomberg ou Reuters publie les dernières nouvelles.»
Peut-on devenir accros aux marchés?

Oui, et un grand nombre de professionnels sont très accros aux statistiques, aux chiffres économiques et à ceux des sociétés. Certains intervenants demeurent incapables de lâcher leur smartphone. Constamment en ligne sur les réseaux sociaux, ils ont du mal à laisser tomber les flux d’information et ont besoin de voir que leurs pairs valident leur post. Certains traders de hedge funds paramètrent leur smartwatch afin de les sortir du sommeil lorsque Bloomberg ou Reuters publie les dernières nouvelles. En fin de compte, ce mode de vie n’est pas sain.

On entend souvent que ce type de comportement est lié à l’évolution de la technologie qui met à disposition des masses d’informations à tout moment de la journée, et de la nuit. Quel est votre avis?

Oui, cette attitude reste en partie liée à l’émergence de nouveaux outils numériques. Cependant, au lieu de ramasser toutes les informations inutiles, on devrait limiter le nombre d’outils de travail, en privilégiant, par exemple, des données comme le CAPE (Cyclical Adjusted PE). Ce ratio me pousse à conclure que le marché des actions américaines est onéreux, et qu’il devrait sous-performer lors de la prochaine décennie au profit des actions chinoises.

Surestimons-nous l’importance des indicateurs périodiques, des statistiques et autres chiffres?

Chaque info fait fluctuer le marché dans tous les sens sur une très courte période. Pourtant, le prix bouge finalement très peu, ce qui remet en cause l’utilité de ces données qui seront remplacées le lendemain par de nouvelles. Très peu de statistiques occasionnent un impact supérieur à 40 secondes.  

Une approche plus décontractée serait-elle la clef pour de meilleurs résultats sur les placements?

Oui, car les décisions prises dans la panique sont rarement les bonnes. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la période de conservation des actions ne cesse de diminuer: elle est passée de 6 ans à 6 mois aujourd’hui. La rotation des portefeuilles est liée à la professionnalisation de l’industrie. Les employés, en concurrence, doivent justifier leur poste, avec l’idée que ces changements de titres sont synonymes de performance. Mais en réalité, ce n’est pas le cas.

Des études ont souligné que les individus sont davantage motivés par le gain immédiat que le rendement à long terme. Comment expliquer ce comportement (si) humain?

Le gain immédiat stimule le circuit neuronal de la récompense, par le mécanisme de l’hormone du plaisir - la dopamine - qui envoie un signal d’euphorie au cerveau. Le livre «la première gorgée de bière» de Philippe Delerme décrit bien l’arrivée de sucre de la première gorgée. Le trading suit un schéma similaire dans lequel le gain à court terme délivre une dose de dopamine. En règle générale, plus le gain est proche, plus le soi émotionnel domine la rationalité reléguée au second plan. En revanche, lorsque l’on regarde sur un horizon très lointain, l’esprit raisonnable reprend le dessus.

Vos recherches ont-elles déterminé quels types d’individus répondent à des profils de risque élevé?

L’appétit au risque augmente avec le revenu, le niveau d’éducation, les responsabilités managériales, mais aussi la santé, et le taux de testostérone dans le corps. Il diminue chez les femmes et les parents.  La corrélation entre la participation au marché boursier et les traits de personnalité demeure faible, donc elle est à prendre avec prudence. Mais selon les résultats des études, les individus cyniques, anxieux, dépensiers et sentimentaux sont moins susceptibles d'investir. En revanche, les personnes extraverties, conciliantes et facilement ennuyées, auraient un profil de risque élevé.

Vous avez mentionné la testostérone. Comment nos hormones influencent-elles nos décisions d’investissement?

Des études académiques ont démontré que les hommes avec un taux de testostérone élevé ont tendance à prendre de plus grands risques. Cependant, l’hormone du stress – le cortisol – est sécrétée chez les participants lorsque les marchés sont volatils. Le cortisol augmente l’appétence au risque, ce qui semble contre-intuitif, car on pourrait imaginer que la volatilité les dissuade de traiter. Mais des périodes prolongées de cortisol élevé peuvent conduire à la déprime et à l'aversion pour le risque.

Avez-vous des exemples?

Les informations, les faillites, les annonces des banques centrales ont foisonné lors de 2008-2009, une période semée de craintes au sujet de la dette, de la récession et de la déflation. La volatilité était élevée et les intervenants étaient très actifs. Après ces mois riches en cortisol, ces derniers sont devenus averses aux risques. Il était à nouveau question de protection du capital. La pandémie a aussi coïncidé avec une phase de volatilité élevée suivie de pessimisme.

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