Comment la Suisse peut transformer les risques en opportunité

Emmanuel Garessus

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Andreas Utermann, président de Vontobel, souligne les désirs de diversification des clients américains et le besoin de réfléchir aux réglementations en termes relatifs et non plus absolus.


Deux problèmes majeurs menacent la bonne tenue de l’économie mondiale, indique Andreas Utermann, président du conseil d’administration de Vontobel, lors d’un déjeuner avec les médias, à Lausanne. Le premier porte sur la baisse du dollar et son abandon progressif de rôle de monnaie de référence. Le deuxième concerne l’endettement public. Les Etats-Unis promettent en effet de réduire leur déficit public et présentent un budget qui conduit au résultat inverse. Andreas Utermann en déduit que les taux américains resteront élevés, ce qui soutiendra l’activité obligataire des investisseurs. Ces deux risques sont aussi à comprendre comme une opportunité pour la Suisse, avance Andreas Utermann. Les capitaux internationaux apprécient en effet les qualités traditionnelles, politiques et économiques du pays. Andreas Utermann répond aux questions d’Allnews:

Vous associez la baisse attendue du dollar à un risque de récession en Europe. En général, un profond mouvement sur les changes, notamment sur le dollar, n’est-il pas associé également à une crise financière?

L’impact d’une baisse du dollar dépend de l’accompagnement politique. Au cours des 50 dernières, nous avons observé deux grands changements sur le billet vert. Les mouvements se sont traduits par les accords du Louvre puis du Plaza mais sans provoquer de crise financière. Nous espérons que si le dollar se déprécie ces trois prochaines années contre l’euro et le franc suisse, il trouvera son point d’équilibre et une forme d’accord pourra être trouvé, peut-être similaire à un accord sur les droits de douane. Il est vrai que le mouvement sera difficile à gérer. Mon expérience m’a toutefois montré qu’au bord d’un précipice l’économie finit par s’adapter et qu’elle ne chute pas.

La méfiance à l’égard des actifs américains profite au titres européens. Est-ce que vous observez aussi de tels changements d’allocations chez vous?

Nous les observons parce que des clients américains, actuels et potentiels, désirent diversifier leurs avoirs.  En l’absence de grands changements des taux de change, le regard doit porter sur les taux d’intérêt. Or les taux américains, surtout les échéances longues, ont tendance à augmenter. Cette réaction traduit une méfiance des investisseurs, qui peinent à acheter autant de bons du Trésor qu’avant.

«Les discours européens et suisses sur ce thème me chagrinent toujours lorsqu’ils adoptent une approche en termes absolus et non pas relatifs.»

Est-ce que cette réaction provient de clients basés en monnaies européennes ou aussi de comptes basés en dollars? 

Il s’agit plutôt de comptes basés en dollars.

Vous estimez que ces deux grands risques peuvent être une opportunité pour la Suisse. Comment peut-elle les transformer en une chance?

La Suisse doit briller à travers son service à la clientèle. La place financière doit disposer des bons produits, présenter une bonne performance de gestion et accompagner l’ensemble par une technologie de pointe. 

De plus en plus, le client veut pouvoir ouvrir un compte «onshore» et «offshore». Je rentre d’Allemagne où des clients m’ont exprimé leur besoin de ces deux types de comptes. Ils apprécient l’idée de gérer leur argent par une institution suisse en Allemagne et, par ce même intermédiaire, avoir de l’argent «booké» en Suisse. Il y a dix ans, ce type de requête n’existait pratiquement pas. Les banques suisses ont accompli de grands efforts pour répondre à ces besoins. Il en résulte un besoin d’ingénierie financière.

Il n’est pas évident de transformer les risques en opportunité pour la Suisse. Il faut investir beaucoup d’argent pour y parvenir, par exemple dans la technologie. Les attentes des clients en services hybrides ne cessent d’augmenter. Une banque active à l’étranger doit redoubler d’efforts. Sur le plan culturel, il faut aussi savoir s’adapter entièrement aux besoins du client. Trop souvent, certaines institutions ont une culture de vente de produits. Les clients ne le supportent plus.

La hausse du franc suisse n’apporte-t-elle pas un soutien majeure à la place suisse?

Le franc suisse est un soutien très fort de la place suisse. Beaucoup d’autres monnaies ont tendance à se déprécier avec le soutien des autorités locales, et leur inflation est parfois significative – alors qu’elle est nulle en Suisse. Le franc profite aussi d’une BNS qui est peut-être l’une des rares banques centrales à ne pas être politisée.

La BNS intervient pour freiner la hausse du franc. Et elle devrait introduire les taux négatifs d’ici la fin de l’année. Est-ce aussi positif?

Non, ce ne serait pas positif, mais la BNS fera tout pour éviter d’en arriver là.

Pour vous, les taux négatifs sont-ils pénalisants?

Ce serait un défi.

«De plus en plus, le client veut pouvoir ouvrir un compte «onshore» et «offshore».»

Les actions bancaires européennes s’apprécient. Cela signale une amélioration des tendances sous-jacentes. Est-ce que cette progression traduit aussi la perspective d’une prochaine union bancaire en Europe?

Ce chantier est pour l’instant interrompu. L’Union européenne doit affronter d’autres défis plus importants que l’union bancaire, par exemple sur les plans de la défense européenne, de la géopolitique et de l’opposition de gouvernements qui ne sont pas pro-européens.

La réglementation bancaire est un thème perpétuel. Une libéralisation bancaire est en cours aux Etats-Unis. La place suisse ne va-t-elle pas souffrir d’une détérioration relative par rapport aux Etats-Unis?

Les discours européens et suisses sur ce thème me chagrinent toujours lorsqu’ils adoptent une approche en termes absolus et non pas relatifs. Or la concurrence qu’affrontent les banques européennes et suisses est internationale. La discussion sur la réglementation doit donc être menée en termes relatifs. Si une libéralisation est en cours aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Chine, il n’est pas dans notre intérêt de nous concentrer sur des règles absolues qui n’ont plus aucun lien avec la réalité du marché. Je m’étonne de cette persistance à considérer la vérité comme absolue et définitive. Il est possible qu’en coulisse il en aille autrement mais pour l’heure, notamment avec le swiss finish, la tendance n’est pas positive.

Le Royaume-Uni a abandonné le statut fiscalement attractif de résident non domicilié. En bénéficiez-vous?

Ces développements sont positifs pour la Suisse. Il y a 15 ans, seuls deux pays disposaient d’un régime de ce type, le Royaume-Uni et la Suisse. Presque toute l’Europe a dorénavant introduit de tels systèmes mais l’Angleterre l’a abandonné. Depuis 15 ans, les très riches parlent d’un départ sous des cieux fiscalement plus attractifs que Londres. Plus grave, les autorités viennent de procéder à un changement qui a vraiment provoqué des départs. Ils ont indiqué aux personnes ayant résidé depuis 15 ou 20 ans en Angleterre et quittant le pays qu’elles seraient imposées sur leur succession. L’échéance a été fixée au 7 avril. Depuis cette date, l’exode est évident. Londres devra sans doute réagir.

Depuis l’élection de Donald Trump, les changements ont été nombreux. Avez-vous changé votre stratégie?

Non. Je pense que nous pouvons continuer sur la voie tracée. Notre focus porte sur des marchés développés occidentaux. Nous ne sommes pas actifs en Chine. Nous sommes bien présents aux Etats-Unis, où nous nous développons vivement. Nous avons revu, sans les changer, nos engagements en matière de développement durable.

L’action Vontobel se place au milieu du peloton des performances des banques privées depuis le début de l’année. Est-ce que le retournement de l’asset management est en bonne voie?

Compte tenu des attentes des analystes et des indications que livre le cours l’action, il ne devrait pas y avoir de surprises. Nous continuons sur la même voie positive depuis 18 mois.

Vous avez procédé à plusieurs acquisitions l’an dernier. Quand annoncerez-vous la première cette année?

Il est sûr que notre positionnement relativement privilégiée -un actionnaire stable, une bonne rentabilité, des fonds propres richement dotés- nous rend attractifs pour de nombreuses sociétés. Notre stratégie est limpide: nous voulons croître sur les marchés où nous sommes présents et, de façon opportuniste, nous ajoutons des compétences particulières. A long terme, notre croissance sera avant tout organique.

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