Attention à l’homogénéisation de l’investissement

Nicolette de Joncaire

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«Les investisseurs doivent se montrer capables de tenir le choc lorsqu’ils se retrouvent à contre-courant» explique Fiona Frick d’Unigestion.

Du fait de l’essor de la gestion passive et de la gestion quantitative - et donc implicitement d’une généralisation des règles appliquées à l’investissement -, les marchés sont plus homogènes qu’ils ne l’ont jamais été. Or, une trop grande homogénéité est source de risques supplémentaires, sous forme de bulles plus durables quand l’engouement est excessif ou sous forme de crash plus violents en cas de panique. Aux traditionnels moteurs de l’évolution des marchés est aujourd’hui venue s’ajouter une directionnalité plus importante due à l’intensification des mouvements collectifs de l’orientation des placements. «Cela peut fragiliser l’environnement d'investissement, avec des tendances persistant plus longtemps, mais qui s'inversent souvent plus brutalement» estime Fiona Frick. Entretien avec la directrice du groupe Unigestion sur les bonnes pratiques en matière d’allocation et de gestion des risques.

Vous avez mis au point vos propres indicateurs Nowcaster. Pourquoi?

Comme leur nom l’indique, nos indicateurs Nowcaster – développés à partir de 2014 – ne sont pas des instruments de prévision à long terme. Ils nous permettent de jauger l’activité économique du moment sur trois risques qualifiés: 1) le risque de récession, 2) le risque d’inflation et 3) le risque de stress de marché. Ces indicateurs nous guident ainsi pour définir l’allocation de la portion dynamique de notre allocation au travers d’actifs qui sont sensés bien réagir au contexte actuel.

«La croissance s’est désynchronisée entre les grandes zones géographiques.»
Revenons alors un peu en arrière. Comment construisez-vous votre allocation?

Elle se compose de trois portions. La première que nous appelons l’allocation stratégique et qui compte pour 60 à 70% des placements est fondée sur les cycles économiques de long terme dont la recherche académique a établi que 60% correspondent à des périodes de croissance, 15% à des périodes d’inflation,15% à des périodes de récession et 10% de période de stress de marché. La seconde portion de notre allocation, soit environ 30% de notre portefeuille, est investie selon une allocation dynamique guidée par les indicateurs Nowcaster sur la base du cycle actuel. Les 10% de notre portefeuille restant sont composés de transactions opportunistes en fonction de nos vues de marché. Certains de nos investisseurs peuvent décider de nous laisser gérer l’ensemble de leur portefeuille, d’autres nous en confient la portion stratégique ou la portion dynamique. 

Quels signaux vous donnent ces indicateurs à l’heure actuelle?

Ils révèlent que l’inflation est encore faible. Ils montrent aussi que la croissance a fléchi et surtout qu’elle s’est désynchronisée entre les grandes zones géographiques. Ils signalent enfin que le stress de marché est volatil. Cette configuration nous conduit à davantage de prudence dans l’allocation avec une pondération plus défensive sur les actifs de croissance que celle reflétée par les indices. En réalité, et contrairement à ce que peut faire croire le comportement des marchés, il n’y a aucune différence de situation macroéconomique entre le dernier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, l’optimisme des investisseurs étant uniquement dû au revirement du comportement de la banque centrale américaine. Nous sommes bel et bien entrés en période de ralentissement de la croissance ce qui nécessite un traitement différent des actifs de celui qui était conseillé au cours des dix dernières années.

«En période de ralentissement de la croissance,
il faut faire attention aux actifs de type croissance.»
Selon votre analyse, à chaque scenario macroéconomique correspond un comportement différent des actifs?

Effectivement. En période de ralentissement de la croissance telle que nous l’observons à l’heure actuelle, et plus particulièrement en Europe, il faut faire attention aux actifs de type croissance: actions, private equity, credit. Cela ne signifie pas qu’il faut les ignorer mais qu’il est nécessaire de les traiter avec plus de circonspection, en se protégeant avec des options par exemple. Les investissements en private equity doivent être orientés vers des secteurs plus défensifs et les entreprises sous-jacentes présenter un niveau de levier acceptable. 

Quels sont les principaux outils de protections selon les périodes?

Le panier de diversification d’une période de décroissance peut contenir des primes de risque alternatives (PRA) comme du trend following, des obligations, du cash et de l’or. Le panier de diversification correspondant à une période d’inflation comportera, lui, du private equity et des commodities. Notez aussi qu’en fin de cycle, toutes les corrélations sont instables surtout entre les obligations et les actions. Si les taux de rendement des obligations sont trop bas, elles ne peuvent pas forcément jouer le rôle de diversification du risque qui leur est traditionnellement attribué.

«Les investisseurs doivent adopter une approche à plus long terme.»
Vous vous inquiétez de l’homogénéisation des comportements de marché dus à la gestion passive. Quelles conclusions en tirez-vous? 

L’une de nos conclusions est que les investisseurs doivent adopter une approche à plus long terme et se montrer capables de tenir le choc lorsqu’ils se retrouvent à contre-courant. En d’autres termes, ils doivent accepter des périodes de sous-performance plus longues pour obtenir une surperformance à long terme. 

Vos stratégies sont très orientées vers le private equity. Quelles forces y percevez-vous?

Le principal atout de l’investissement direct est qu’il permet aux entreprises d’échapper à la tyrannie des marchés publics et à leur vision à très court terme. Il me parait paradoxal qu’une entreprise soit saluée pour avoir racheté ses actions alors qu’elle aurait pu investir dans ses équipements pour améliorer ses produits et créer des emplois. Les entreprises financées par le private equity peuvent s’autoriser une véritable vision de long terme et investir dans leurs moyens de production sans avoir à se préoccuper des «attentes» des analystes et des réactions souvent épidermiques du marché. Nous observons d’ailleurs un appauvrissement du marché coté et un déplacement vers une volonté de financement privé et non public. L’exemple de Dell est assez emblématique et ce n’est pas le seul. Pour les investisseurs, le private equity permet aussi d’échapper à la tyrannie des marchés et de se positionner sur les trends de long terme, comme par exemple, la décarbonisation. 

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