Ariane de Rothschild: «Nous sommes au service de l’économie et de nos clients»

Nicolette de Joncaire et Yves Hulmann

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Edmond de Rothschild a mené à bien les transformations profondes engagées. Quelques questions à Ariane de Rothschild (photo) et Cynthia Tobiano.


Le groupe Edmond de Rothschild publie ce 19 mars des résultats financiers plus que satisfaisants avec une progression des actifs sous gestion de 12% à 184 milliards de francs. Mais ce sont plutôt les fruits d’une transformation stratégique menée sur 10 ans qui sont célébrés aujourd’hui. Historiquement constitué d’entités indépendantes opérant sous un même actionnariat, le groupe a su évoluer vers une organisation unifiée et est parvenu à créer une culture commune tout en préservant son ADN entrepreneurial. Cette refonte a permis d’harmoniser les pratiques, de renforcer la surveillance des activités et d’accroitre la mobilité des talents. Aujourd’hui, Edmond de Rothschild poursuit sa croissance principalement en Europe et au Moyen-Orient, après avoir recentré ses activités et avec un équilibre presque parfait entre le poids de la gestion privée et celui de l’asset management. Dans le tout nouveau siège au sein de l’écoquartier de l’Etang à Genève, Ariane de Rothschild, CEO du Groupe, et Cynthia Tobiano, Deputy CEO, répondent aux questions d’Allnews dans une interview exclusive.

Quelles ont été les plus grandes transformations chez Edmond de Rothschild au cours des dix dernières années? 

AdR: Edmond de Rothschild est une maison qui s’est historiquement développée sur une culture très entrepreneuriale, avec différentes entités, en Suisse, en France, au Luxembourg et à Monaco, agissant de manière indépendante, leur seul point commun étant l’actionnariat familial. C’est un modèle qui avait toutefois atteint ses limites, notamment en matière de cohérence stratégique et de surveillance des risques. J’ai donc pris la décision de réunifier ces structures sous une même identité et un fonctionnement opérationnel harmonisé. A mi-2025, nos trois principales entités - Suisse, France et Luxembourg - partageront une plateforme informatique commune, Avaloq. Cette uniformisation renforce la sécurité, l’efficacité et la fluidité de nos activités. 

Que dire de la culture du groupe?

AdR: Un groupe ne devient pas cohérent par simple décision. Il faut bâtir une culture d’entreprise commune, et ce processus a été mené en collaboration avec nos équipes. L’engagement des collaboratrices et collaborateurs a été essentiel pour insuffler ce changement de l’intérieur. L’un des bénéfices concrets est la mobilité accrue au sein du groupe. Aujourd’hui, il est naturel pour un collaborateur de passer de la Suisse pour aller au Luxembourg, une flexibilité qui était impensable il y a quelques années. 

Qu’en est-il de la présence d’Edmond de Rothschild sur les différents marchés? 

AdR: Nous avons fait le choix d’un recentrage géographique et sectoriel. Nous concentrons notre présence et nos investissements en Europe et au Moyen-Orient. Ce repositionnement s’est traduit par une plus grande cohérence et une meilleure allocation des ressources. 

«Notre implantation dans un écoquartier est cohérente avec nos engagements.». 

Ce travail de transformation n’a-t-il pas ralenti le développement du groupe?

AdR: Ce travail de recentrage était nécessaire. Nous sommes passés d’un modèle très décentralisé, avec ses risques inhérents, à une organisation plus cohérente et maitrisée. L’équilibre entre surveillance et spécificités locales a été trouvé, sans perdre la fidélité de nos équipes. On peut du reste observer qu’il y a très peu de turnover à la tête des différentes unités. Pour prendre un exemple, François Pradervand, responsable du Private Banking Suisse, occupe cette fonction depuis juillet 2024, et des postes à responsabilité au sein de la maison depuis près de 15 ans et de nombreux autres responsables sont en place depuis longtemps. 

Quels ont été les défis liés au rassemblement sur un seul site des quelque 700 collaborateurs de Genève qui travaillent maintenant au nouveau siège de l’écoquartier de l’Etang à Vernier? 

AdR: Ce projet me tenait particulièrement à cœur. Nos équipes étaient auparavant dispersées dans une quinzaine de bâtiments différents puis dans huit, avant d’être réunies dans notre nouveau siège. Ce regroupement de l’ensemble des 700 collaborateurs de Genève sur un seul site présente de nombreux avantages, il favorise les synergies et renforce notre culture d’entreprise. De plus, notre implantation dans un écoquartier est cohérente avec nos engagements. Nous ne pourrions pas prôner des investissements durables si nous n’étions pas nous-mêmes installés dans un environnement responsable. Nous sommes dans un bâtiment efficient sur le plan énergétique et dans un environnement social mixte où nous voisinons avec des logements pour personnes âgées et pour étudiants. Une banque doit être au service de l’économie et des autres. 

Dans ce contexte que pensez-vous du télétravail et dans quelle mesure vos collaborateurs y recourent-ils? 

AdR: Je n’ai jamais été favorable à trois jours de travail à distance par semaine, comme cela a été évoqué après la pandémie du Covid. La présence physique reste essentielle, d’une part pour favoriser les échanges et les interactions entre les collaborateurs. D’autre part parce que nous engageons beaucoup de jeunes talents qu’il faut former et accompagner. Nos nouveaux locaux ont été conçus pour encourager ces interactions: entre grands open-plans et salles de réunion modulables, coins café et une accessibilité facile entre étages via des escaliers construits spécialement, nous avons structuré des espaces qui favorisent la fluidité des échanges. Nous avons également supprimé l’étage de la direction: mon bureau est au cœur de la gestion privée afin d’encourager une organisation plus fluide et moins hiérarchique. 

Certaines banques se plaignent d’avoir des difficultés à attirer du personnel qualifié jeune. Qu’en est-il chez vous? 

AdR: Le fait d’avoir emménagé dans ces nouveaux locaux a permis d’attirer de nouveaux talents. Nous avons aussi diversifié les expériences offertes à nos collaborateurs en nous appuyant sur nos activités non-bancaires: viticulture, hôtellerie ou philanthropie, et c’est un très grand succès. Ces initiatives séduisent les jeunes générations qui recherchent du sens et de la diversité dans leur parcours. Nous organisons en mai un «hackaton», ouvert à l’ensemble de notre personnel en Suisse. C'est un format qui motive énormément et qui permet de stimuler l’innovation en interne. 

«Nos clients sont des entrepreneurs. Contrairement aux idées reçues, ce sont souvent eux qui demandent plus d’outils digitaux pour leur gestion quotidienne». 

Les résultats publiés pour l’exercice 2024 montrent une collecte nette de 6,3 milliards de francs suisses, soit un taux de croissance de 3,8% par rapport à 2023. De quels marchés ou types de clients proviennent ces afflux nets? 

CT: Nos flux entrants, qui atteignent 6.3 milliards de francs suisses cette année proviennent de toutes nos lignes de métier et de toutes les régions où nous opérons. La banque privée représente près de la moitié de cette collecte nette, soit 3,2 milliards, avec une dynamique particulièrement forte en Europe et au Moyen-Orient. L’autre moitié est issue de notre gestion d’actifs, notamment grâce à notre clientèle institutionnelle. Ces résultats illustrent la solidité et l’équilibre de notre modèle.

Vous soulignez une structure financière qualifiée de très solide avec un ratio Tier 1 de 19,7%, soit nettement plus que n’en exige la réglementation. Pourquoi est-il important de pouvoir disposer de fonds propres qui vont au-delà des exigences réglementaires? 

CT: Un ratio de fonds propres élevé est un critère de stabilité et de force, en particulier en Suisse Ne dépendant pas des marchés boursiers, nous avons une plus grande liberté stratégique et pouvons démontrer notre robustesse dans un environnement bancaire en constante évolution.

Qu’en est-il du ratio coûts/revenus en 2024? 

AdR: Il a avoisiné les 82%. Notre ambition est de le ramener à 75%, ce qui est un objectif réaliste. Le fait que le ratio coûts/revenus ait été un peu plus élevé en 2024 est aussi une conséquence de la transformation que nous avons faite et des investissements que nous avons consentis. Notamment en ressources humaines: en 2024, nous avons recruté une centaine de collaborateurs et la moyenne d’âge est inférieure à 50 ans en Suisse. 

Quelle est l’usage fait par les banquiers plus jeunes des possibilités offertes par la numérisation vis-à-vis de clients qui sont souvent plus âgés?

AdR: Nos clients sont des entrepreneurs. Contrairement aux idées reçues, ce sont souvent eux qui demandent plus d’outils digitaux pour leur gestion quotidienne. Mais ils attachent une grande importance à la relation humaine avec leur banquier pour ce qui est du conseil en matière de gestion de patrimoine, de succession ou de philanthropie. Nous devons offrir à la fois un service digital efficace et un accompagnement de proximité.

Est-il encore possible d’intéresser les clients aux questions environnementales ou sociales dans un climat politique peu favorable, suite à l’arrivée de Donald Trump ou dans le contexte des conflits armés? 

AdR: Les investisseurs institutionnels en Europe sont toujours très intéressés aux questions en lien avec la finance durable. Nous espérons simplement une régulation plus équilibrée, qui nous permette de rester compétitif face aux autres régions du monde, en particulier les Etats-Unis.

Alignez-vous vos intérêts à ceux de vos clients dans les produits que vous lancez, notamment dans les actifs illiquides?

AdR: Toujours. Nous investissons d’abord avec nos fonds propres, suivis par nos actionnaires, avant d’ouvrir aux clients. Et cette approche rencontre un franc succès: nous gérons aujourd’hui 22 milliards d’actifs illiquides, répartis entre private equity, dette-infrastructure et immobilier.

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