Les entreprises ne vieillissent pas comme les humains. Leur durée de vie peut se prolonger avec l’âge et parfois extrêmement longtemps. Leur espérance de vie peut être proportionnelle à leur passé, et répond ainsi à la loi de Lindy, la théorie qui veut que l’espérance de vie soit proportionnelle à l’âge. Ainsi, plus certaines entreprises seraient anciennes et plus leur espérance de vie augmenterait. Wolfgang Fickus, de la société de gestion Comgest, a publié un «white paper» sur la loi de Lindy. Cette théorie est observée dans leur fonds actions européennes «Comgest Growth Europe Compounders».
La loi de Lindy peut être observée dans quantité de domaines. Elle se fonde d’abord sur l’observation de la durée de vie des Shows présentés à Broadway. Le physicien Richard Gott a en effet montré que plus une pièce était longtemps à l’affiche et plus sa durée de vie allait être longue. L’observation a été vérifiée dans le monde des livres. Si un ouvrage rencontre du succès durant une décennie, il a de fortes chances de continuer à bien se vendre durant une décennie. Si le succès perdure encore 10 ans, la future vie de cette publication est estimée à 20 ans. Dans le secteur des entreprises, L’Oréal prospère depuis plus d’un siècle et sa performance ne faiblit pas. Chez Comgest nous surnommons ces sociétés: les «marathoniens de la croissance»; non seulement elles survivent, mais continuent de croitre pendant parfois des décennies. Wolfgang Fickus, auteur de l’étude sur l’effet Lindy et product specialist chez Comgest, répond aux questions d’Allnews :
Est-ce qu’à côté du free cash-flow, de la croissance et du management, l’âge est un facteur d’achat d’une action?
L’âge peut être un signe de qualité d’une société si celle-ci a démontré une capacité à se réinventer, à fortifier ses barrières à l’entrée, à investir prudemment et intelligemment et du coup à croitre longtemps d’une manière soutenable et visible.
Nous n’effectuons pas un filtrage des entreprises pour nous arrêter sur les plus anciennes. Nous nous concentrons davantage sur les facteurs humains et rencontrons les dirigeants des sociétés de qualité régulièrement afin de bien les suivre en tant qu’investisseurs de long terme.
Nous nous sommes rendu compte que certaines sociétés, comme Nestlé que nous avions vendues par le passé à cause d’une croissance bénéficiaire trop faible, généraient toujours des performances boursières très attrayantes. Leur capacité à produire du free cash-flow était exceptionnelle leur permettant de payer des dividendes généreux, de racheter leurs titres ou de faire des acquisitions. A partir de cette observation nous avons eu l’idée de lancer un fonds se concentrant à 100% sur les «marathoniens de la croissance»: le fonds Comgest Growth Europe Compounders.
«Le marché a parfois tendance à sous-estimer la capacité à croitre à très long terme.»
La loi de Lindy correspond exactement à ce que nous rencontrons dans notre quotidien à travers des sociétés comme Nestlé. Les valeurs du luxe telles que Hermès, LVMH, Ferrari ou L’Oréal figurent parmi les plus vieilles sociétés du continent et elles sont, selon nous, des valeurs de croissance et de qualité, des «marathoniens de la croissance». Le marché a parfois tendance à sous-estimer cette capacité à croitre à très long terme.
La loi de Lindy invite d’ailleurs à s’interroger sur le risque lié aux investissements dans de petites pépites souvent très jeunes. Leur mortalité est parfois sous-estimée. Les statistiques de création d’entreprises aux Etats-Unis montrent que 50% des nouvelles entreprises disparaissent dans les 5 ans alors que 15% vivent plus de 25 ans.
Comgest est une société de gestion croissance et qualité orientée sur le long terme. En privilégiant les «marathoniens de la croissance» nous bénéficions de la Loi de Lindy à travers notre philosophie d’investissement.
Le nom de Compounders que nous employons pour le fonds Comgest Growth Europe Compounders reprend l’effet des intérêts composés que nous ciblons tout particulièrement avec ce fonds.
Les entreprises aussi sont mortelles. L’espérance de vie des entreprises est de 30 à 35 ans pour le S&P 500 et de 21 ans pour l’ensemble. L’âge est-il vraiment, en moyenne, une garantie de prospérité?
Non. Notre message est plus subtil et peut se résumer ainsi : Tous les «Compounders» sont des entreprises anciennes, mais toutes les sociétés anciennes ne sont pas des «Compounders». Il y a beaucoup d’exemples d’anciennes sociétés qui n’ont pas pu se renouveler pour continuer de croitre.
Il faut aussi considérer que la Loi de Lindy est dynamique. De temps en temps, une petite capitalisation va croître et prospérer à long terme, voire à très long terme, par exemple SAP dans les logiciels dans les années 90, pour devenir un «Compounder» dans les années 2000. Il faut toujours être à la recherche des futurs «Compounders» en sélectionnant des petites et moyennes capitalisations de qualité qui ont la capacité de croitre à très long terme.
Certaines anciennes entreprises ne parviennent pas à gérer une crise. Quel facteur permet de distinguer entre celles qui saisissent un virage technologique et les autres?
La capacité de se réinventer se révèle dans des moments de crise. Leur historique est une réussite, puisqu’elles ont traversé les deux guerres mondiales, les périodes d’inflation et la révolution numérique. Elles sont capables de grandir avec les défis et de se réinventer.
«La capacité de se réinventer se révèle dans des moments de crise.»
On en trouve aussi bien en Europe que dans les pays émergents. Elles sont souvent présentes dans des secteurs «ennuyeux» qui répondent aux besoins quotidiens. Je prendrais l’exemple de L’Oréal, dont la part de marché est passée de 10% à 15% en 20 ans dans le marché de la beauté grâce à sa croissance aux Etats-Unis puis en Chine. La quête de beauté est aussi ancienne que la nature humaine. Givaudan, dans les arômes, s’inscrit bien dans les «Compounders», avec des barrières à l’entrée très élevées dans des secteurs très stables et peu cycliques.
Le contraste est évident avec Nokia, qui a dû lutter pour sa survie en quelques années après un changement technologique.
La première position du fonds Comgest Growth Europe Compounders est Novo Nordisk. A sa naissance, elle n’avait pas les médicaments contre l’obésité qui dynamisent son titre aujourd’hui. La durée de vie n’est pas prévisible, mais dépend-elle d’abord plutôt de sa capacité d’innovation?
L’âge n’est qu’un critère a posteriori. Nous n’avons pas décidé d’avoir un portefeuille dont l’âge moyen des sociétés était de 130 ans, mais nous avons utilisé nos critères de croissance et de qualité et nous avons ensuite chiffré leur ancienneté en se rendant compte que cela pouvait être un gage de qualité.
Novo Nordisk s’est toujours concentrée sur le diabète. ASML, que nous avons aussi en portefeuille, est une des plus anciennes sociétés dans la lithographie pour produire des semi-conducteurs. L’ancienneté se lit a posteriori et la taille de ces entreprises s’explique par une croissance à long terme.
A l’inverse, Bayer est une ancienne société chimique que nous avons vendu rapidement dès son acquisition de Monsanto. Cela rappelle qu’une société doit savoir gérer son cash correctement. Toutes les sociétés anciennes ne sont pas des «marathoniens de la croissance».
La loi de Lindy dément-elle la théorie financière, la CAP (période durant laquelle le rendement dépasse le coût du capital) qui veut que les avantages concurrentiels soient limités dans le temps?
L’humain sépare la théorie de la réalité. L’investisseur rationnel tel que décrit dans le CAP existe-t-il? Chez Comgest nous essayons d’abord de comprendre l’humain d’une société, c’est-à-dire la culture d’entreprise. Les «Compounders» ont, selon nous, cette potion magique qui rend une culture d’entreprise si particulière.
Quelle est votre opinion des 7 magnifiques?
Les 7 magnifiques sont des sociétés américaines assez récentes, avec une moyenne d’âge de 31 ans et se caractérisent par leur innovation à l’état pur. Nvidia n’arrête pas de disrupter. Chez Comgest, nous parlons des 6 magnifiques parce que Tesla ne fait pas partie de notre univers d’investissement, car présent sur des cycles très courts, sans revenus récurrents. Cette société n’a pas la visibilité à 5 ans que nous recherchons.
Est-ce que votre approche est très liée aux secteurs?
Nous évitons les sociétés cycliques et cherchons des entreprises qui offrent des leviers de croissance propres à elles. Sans que notre approche d’investissement puisse être qualifiée de sectorielle, nous sommes absents des secteurs tel que la finance ou les matériaux de base, par exemple.
Comment définir les critères qui avertissent qu’une société va décliner?
Il n’y a pas de critères prédéfinis qui avertissent d’un déclin. Nous disposons de ce que nous appelons «l’avocat du diable» qui analyse tout ce qui peut arriver et que nous n’aimerions pas avoir. C’est cet exercice qui nous aide à éviter un déclin. Les échanges entre nos équipes de gestion basées à travers le monde entier contribuent aussi à limiter les risques. Comme nous connaissons les sociétés de longue date, et les interrogeons régulièrement sur leurs stratégies et futurs investissements, nous pouvons anticiper les nouvelles tendances et juger de leur capacité à mettre en œuvre une stratégie pérenne. Nous avons vendu Roche dans l’anticipation des déceptions sur son pipeline. Mais en principe, la rotation du portefeuille est modeste, entre 10 et 15% par an, pour tirer profit des intérêts composés.
Quel est le rendement de vos fonds Compounders?
Nous avons lancé le fonds Comgest Growth Europe Compounders fin 2019. Le rendement a dépassé celui de son indice de référence le MSCI Europe dividendes réinvestis de plus de 4% depuis sa création, au 30/04/2024.