«Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative au dollar»

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Surtout ne pas surréagir; les soubresauts politiques peuvent révéler des opportunités d’investissement très intéressantes, affirme Amos Poncini de la Banque CBH.

 

Alors que le président Trump continue à défrayer l’actualité, quelle importance accorder à ses déclarations? Quel impact aura son comportement sur les marchés? Le dollar est-il vraiment menacé en tant que devise de réserve mondiale? Alors que le deuxième trimestre se clôture sur une note plutôt positive, le rebond des bourses va-t-il se confirmer ou l’incertitude exige-t-elle d’adopter une posture prudente à l’approche de la saison des résultats de juillet? Tour d’horizon avec Amos Poncini, Directeur Général Adjoint de la Banque CBH.

Les informations se succèdent à un rythme effréné mais quelles sont celles qui sont significatives pour les marchés?

Toute information peut avoir un impact et notre rôle est de les filtrer et de les synthétiser afin d’en faciliter la compréhension et de mieux en apercevoir les possibles effets. Adoptant une approche de gestion sur le moyen/long-terme, et non pas une approche de type «day trading», notre rôle est d’isoler le «bruit blanc» des différents canaux du véritable flux d’information qui pourrait anticiper par exemple un changement dans les profits des sociétés, les taux de croissance des pays ou les taux directeurs des banques centrales.

Couvrez-vous toutefois les risques engendrés par les soubresauts politiques?

Cela peut arriver, mais ça dépend du coût d’une telle protection. Dans certains cas il est préférable d’alléger son portefeuille plutôt que d’acheter de la protection. Si nous nous intéressons au passé proche, nous avons profité de la baisse de la volatilité enregistrée sur le premier trimestre pour acheter de la protection, ce qui nous a bien aidé sur le mouvement de correction lié au «liberation day». 

Il faut également considérer que ce que vous appelez les soubresauts politiques peuvent se révéler des opportunités d’investissement très intéressantes. L’art ou la science de la gestion est celui de savoir attendre et être prêt à plusieurs scénarios. 

Dans ce contexte, le rebond des bourses est-il durable? 

Oui, il l’est, et le relais de croissance pourrait venir du secteur privé. Nous avons effectivement récemment assisté à un afflux d’argent en provenance d’investisseurs privés, alors que les investisseurs professionnels étaient plus sur la retenue, peut-être perturbés par les changements de paradigmes auxquels nous faisons face.

S’il est vrai que les annonces compliquent la lecture des marchés financiers, ils compliquent surtout la prise de décision sur les investissements des entreprises. L’impact d’un désinvestissement industriel possible est encore inconnu, les sociétés semblent être dans une position d’attente pour décider d’investir ou non dans l’appareil productif, de recherche, de distribution ou de service, mais nous n’en voyons pas encore les effets désastreux comme le laissent entendre beaucoup d’opinionistes. Nous avons besoin de plus de temps pour en saisir l’impact réel.

Quel rôle jouent les marchés financiers dans l’agenda de Trump?

Le président Trump se veut libre et indépendant, mais il est en réalité contraint de prêter attention à la réaction des marchés financiers, et encore plus à l’évolution du taux de financement du pays car cela a un impact direct sur le budget. Le marché américain ayant un besoin constant de financement extérieur, cette nécessité constituera une sorte de limite naturelle à la marge de manœuvre du président américain. Certes, la manière de s’exprimer et de négocier de Trump est unique et rend le marché plus difficile à anticiper, mais est-ce la pire des manières? Nous ne le saurons pas avant longtemps. Pour l’instant, le marché a su digérer le choc, sans déclin dramatique.

En augmentant les droits de douane, Trump a cherché à attirer la production sur le sol américain. Quelles sont les chances de succès de cette stratégie?

Nous n’en connaissons pas encore l’effet. Certaines entreprises avaient déjà choisi d’investir aux US et Trump est sans mérite sur plusieurs des annonces récentes. D’autres entreprises ont, pour l’instant, suspendu leur décision. Créer une usine ne se fait pas en trois mois, c’est un processus qui nécessite plusieurs semestres, voire des années, et c’est pour cette raison qu’il est pour le moment encore trop tôt pour juger de la réussite de ce plan de rapatriement de l’appareil productif. 

Ce qui reste vrai est que pendant la pandémie, l’Occident a pris conscience des inconvénients de la délocalisation et des limites qu’elle posait en termes d’approvisionnement, comme par exemple en masques, semi-processeurs et une multitude d’autres produits. 

Il faut reconnaître que Trump s’en était rendu compte avant. Par ailleurs, la globalisation a certes augmenté le pouvoir d’achat des Occidentaux mais elle a aussi diminué leurs revenus. Il ne faut pas avoir peur des bouleversements. On y trouve toujours du bon à prendre. Nous sommes encore en début de mandat, le président peut se permettre beaucoup de choses dont les effets n’apparaîtront que plus tard. Il ouvre aussi des opportunités sur d’autres marchés, mais aura-t-il la capacité à les saisir? La Suisse ou l’Union européenne ont beaucoup de cartes à jouer. Après l’été, Trump devrait devenir plus sérieux. D’ici là, la prévision reste un exercice complexe.

Le dollar est-il en train de perdre sa place de devise de réserve mondiale? Quelle est sa valeur par rapport aux autres devises? Sommes-nous réellement en face d’un bouleversement fondamental de la structure du commerce international?

Le dollar a perdu de sa force. Ce n’est plus la référence unique et cette tendance s’est renforcée ces derniers mois. Mais quelles sont les alternatives? Si l’or semble revenir sur le devant de la scène comme instrument de réserve, quid des autres devises? La Chine est le plus grand contributeur à l’économie mondiale mais sa devise n’est pas vraiment librement échangeable; le yuan est donc hors-jeu. L’Union européenne n’est pas suffisamment cohérente pour que l’euro soit une option réelle. Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative au dollar. Nous vous donnons rendez-vous dans 10 ans.

Dans quelle mesure les autres réformes de Trump (blocage de l’immigration, fermeture de l’aide aux écoles publiques) vont-elles à votre sens compromettre le développement futur des Etats-Unis?

Le futur est encore incertain. Le refus des étudiants étrangers aux USA peut avoir un impact négatif mais il est difficile de faire une analyse à long-terme sur des décisions à court-terme. Il faut prendre son temps pour en mesurer l’impact sur les fondamentaux. Donald Trump a cassé les codes et il remplit l’espace avec énormément de bruit mais il a déjà prouvé par le passé qu’il est parfaitement capable de faire volte-face. De plus le système démocratique américain maintient une certaine stabilité qui sera de plus en plus marquée dans les mois à venir. Il faut rester constructif et filtrer. Tout le monde, même les médias, y viennent. 

Quelle allocation conseillez-vous dans les conditions actuelles?

Je conseillerais de rester neutre face à l’incertitude, de maintenir ou de renforcer la position en or, d’acheter de la protection quand le coût du portage n’est pas trop élevé, et surtout de ne pas surréagir. Chez nous, chaque portefeuille raisonne en fonction de sa devise de référence. Nous restons investis sur les marchés développés, avec 50% en actions et 5% en or. La poche obligataire varie ensuite en fonction de la devise du portefeuille. 

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