Politique monétaire américaine: du «tapering» au resserrement monétaire?

Adrien Roure, Indosuez Wealth Management

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C’est surtout la manière et la rapidité du processus qui préoccupent les marchés.

©Keystone

Le discours et la posture de la Fed ont beaucoup évolué au cours des derniers mois. Si cette dernière évoquait à l'été 2021 une seule hausse des taux pour 2022 et jugeait l’inflation «transitoire», elle a depuis adapté sa lecture de l’environnement et a signalé en décembre plusieurs hausses de taux pour 2022 et une accélération de la réduction de ses achats d’actifs. Le marché anticipe désormais quatre à cinq hausses de taux en 2022, tandis que la réduction du bilan de la Fed semble se préciser pour cet été.

Un rythme de hausse de taux qui s’accélère

Depuis le début de l’année, la remontée des anticipations de hausse des taux directeurs a entraîné un aplatissement de la courbe des taux aux Etats-Unis: l’écart entre le taux américain à 2 ans et celui à 10 ans atteignant un point bas de plus d’un an. La conférence de Jérôme Powell suite au FOMC a laissé les marchés circonspects craignant le côté régulier et presque mécanique des hausses de taux à venir, dans un contexte marqué par l’affaiblissement des données macroéconomiques à l’image des niveaux de PMI de janvier. 

Ce changement de tonalité reflète une façon pour la Fed de guider les anticipations et d’ancrer le message qu’elle ne laissera pas l’inflation dériver. Si ces hausses de taux semblent désormais bien intégrées, les interventions de certains membres du FOMC au cours des derniers jours ont permis au marché d’adopter une lecture plus pondérée de la posture de la Fed après une interprétation initiale peut-être trop hawkish de la conférence de Jérôme Powell. Certaines interrogations concernant le timing, l’ampleur et le rythme de réduction du bilan de la Fed demeurent cependant. 

La Fed s’apprête à réduire son bilan

Le bilan de la Fed s’élève aujourd’hui à 8’800 milliards de dollars, soit plus du double de son niveau pré-pandémie. Les dernières indications suggèrent que la Fed pourrait commencer à réduire ce dernier un ou deux trimestres après la première hausse des taux (prévue en Mars), ce qui nous amènerait à l’été 2022.

Cette annonce n’est pas sans rappeler la fin 2018, lorsque la Fed avait pour objectif de réduire ses actifs d'environ 600 milliards par an. Le montant des réserves nécessaires avait toutefois été sous-estimé, contraignant cette dernière à stopper ce mouvement lorsque son bilan avait atteint 18% du PIB. Aujourd'hui, certains analystes s'accordent à dire qu'une réduction du bilan à environ 25% du PIB serait un objectif raisonnable à l’horizon mi-2023. 

Ce processus ne devrait cependant pas se traduire par des ventes d’actifs, mais plutôt par le non réinvestissement des rentrées de fonds liées aux titres échus. Environ 1’700 milliards de dollars d'actifs détenus par la Fed arrivent à échéance dans les deux prochaines années à compter de juin. A noter, comme la maturité moyenne pondérée des actifs détenus par la Fed est plus courte qu'au début de l'épisode de normalisation précédent, le bilan diminuerait plus rapidement. 

L’impact possible de ce resserrement quantitatif sur la courbe des taux américaine est à nuancer: d’une part en supposant que le déficit fédéral passe de 11% à 6% du PIB (soit une diminution des besoins de financement de 1’000 milliards), les marchés pourraient absorber à peu près la même quantité de bons du Trésor qu'en 2021; de l’autre le montant de liquidités en quête de collatéral via le programme de prise en pension pourraient être en partie redéployé pour financer les nouvelles émissions.

En parallèle, il convient de noter que malgré la rapidité de l’ajustement de la Fed, ceci ne devrait pas conduire la BCE à précipiter sa normalisation monétaire. Les pressions inflationnistes se font aussi sentir en zone euro, mais avec une forte contribution de l’énergie et une dynamique des salaires moins forte qu’aux Etats Unis. La BCE devrait continuer à rester accommodante, la fin du PEPP se faisant par un remaniement de l’APP avec probablement une extension de l’horizon de réinvestissement, tandis que les taux directeurs de la BCE devraient rester inchangés au moins jusqu’au dernier trimestre 2022. D’ici là, c’est surtout le taux de refinancement du TLTRO qui pourrait remonter de -1% à -0,5%.

Quelles implications pour les investisseurs?

La fin de l’assouplissement quantitatif (QE) et l'imminence du resserrement quantitatif (QT) aux Etats Unis devraient impacter l'appétit marginal des investisseurs pour la prise de risque face à une volatilité en hausse, mais c’est surtout la manière et la rapidité du processus qui préoccupent les marchés.

Sur les marchés obligataires, on peut anticiper une remontée des taux longs américains, bien que limitée par leur attrait relatif pour les institutionnels étrangers. Le resserrement monétaire pourrait aussi signifier une réduction de la liquidité et un élargissement des spreads des obligations d’entreprises. Ces spreads devraient rester contenus par un cycle économique favorable avec des taux de défauts historiquement bas. 

Le dollar, qui bénéficie des anticipations de remontée des taux, et atteint parfois un pic au moment de la première hausse, pourrait néanmoins se montrer vulnérable si les anticipations de hausse de taux se modèrent. 

Sur les marchés actions, ces évolutions constituent un catalyseur pour une poursuite de la rotation du style croissance vers le style «Value» (comme nous l'avons vu au premier trimestre 2020 et depuis le début de l'année) et probablement un régime de volatilité plus élevé. Ces facteurs top down ne sont cependant pas les seuls à influer la direction des marchés, et chaque reflux des taux reste ponctuée par des mouvements d’achat sur les valeurs technologiques profitables dont les résultats trimestriels dépassent les attentes des analystes.

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