Pas d’atterrissage? Vraiment?

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Il est probable que la Fed maintiendra sa politique de hausse des taux bien au-delà de ce qui est attendu.

Ces dernières semaines, un troisième scénario économique — en sus d’un atterrissage brutal ou en douceur — a gagné du terrain parmi les acteurs du marché américain.

Mais que signifie réellement l’expression «pas d’atterrissage»? Et s’agit-il d’une éventualité réaliste?

Un atterrissage brutal va presque de soi. Il s’agit d’un ralentissement sévère de l’activité qui fait grimper le chômage, lequel affaiblit à son tour la confiance et la demande des ménages et des entreprises et oblige la Fed à assouplir sa politique pour tenter d’éviter une récession, ce qui finalement ramène l’inflation vers les 2% visés. Dans le cas d’un atterrissage en douceur, l’activité ralentit légèrement, la confiance et la demande restent élevées, l’inflation se dissipe et la Fed est en mesure d’assouplir légèrement sa politique.

Mais alors d’où provient l’expression «pas d’atterrissage»?

Elle est apparue après une période où l’imminence d’une récession était devenue le consensus du marché — en novembre dernier, 77% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête mensuelle de Bank of America auprès des gérants de fonds internationaux s’attendaient à une récession. Puis il y a eu une série de bonnes surprises économiques. En janvier, les États-Unis ont créé 517'000 nouveaux emplois, soit près du triple des prévisions initiales, les ventes au détail ont bondi de 3% et la production manufacturière a augmenté de 1%. L’indice des directeurs d’achat (PMI) pour les services étant revenu en territoire d’expansion en février, il n’est pas surprenant que l’indicateur GDPNow de la Fed d’Atlanta, estimant la croissance du PIB au premier trimestre, soit actuellement de 2,5% en rythme annuel, contre 0,7% fin janvier. Et dans le dernier sondage de la BoA, moins d’un quart des personnes interrogées s’attendent à présent à voir une récession cette année.

En parallèle, les chiffres de l’inflation ont envoyé des signaux contradictoires. L’inflation globale des prix à la consommation (IPC) est tombée de 9,1% en juin dernier, son plus haut niveau depuis 40 ans, à 6,4% en janvier. Cependant, la chute de l’indicateur d’inflation préféré de la Fed — les prix de base des dépenses de consommation personnelle, ou PCE de base, hors énergie et alimentation — a été moins spectaculaire, passant d’un plus haut de 5,4% l’hiver dernier à 4,7% en janvier. D’autres indicateurs illustrent le même phénomène. L’IPC médian de la Fed de Cleveland a atteint son plus haut niveau historique à 7,1% en janvier. Tandis que l’IPC «sticky» de la Fed d’Atlanta (qui suit les prix qui changent le moins fréquemment) est toujours à 6,7%, ce qui constitue un autre record depuis 40 ans.

Ainsi, du point de vue de la Fed, l’absence d’atterrissage relèverait du cauchemar.

Ainsi, du point de vue de la Fed, l’absence d’atterrissage relèverait du cauchemar. Une activité résiliente alimenterait les pénuries de main-d’œuvre, qui contribueraient aux demandes d’augmentation des salaires, ce qui entretiendrait l’inflation à un niveau inconfortable. Dans un tel scénario, il n’y aurait pas de place pour un changement de cap de la Fed.

Toutefois, janvier pourrait s’avérer avoir été une aberration. Tout d’abord, le Bureau of Labor Statistics procède à des ajustements annuels de sa méthodologie chaque année en janvier, ce qui entraîne souvent des lectures erratiques. Deuxièmement, l’enquête de la BoA cible les gérants de fonds, dont le niveau de confiance a tendance à fluctuer en fonction des cours boursiers. Le bond de 7,0% de l’indice MSCI World en janvier a pu les encourager à voir la vie en rose. Enfin, le mois de janvier a été marqué par un temps anormalement clément pour la saison dans une grande partie des États-Unis (New York n'a pas connu de neige pour la première fois depuis 1973), ce qui a permis une augmentation de 1,4% des heures travaillées et un bond de 7,2% des ventes dans la restauration par rapport à décembre. Il ne serait pas surprenant alors que janvier s’avère être tout simplement un beau mirage.

De plus, un scénario de «non-atterrissage» est plus une étape qu’un point d’arrivée. Étant donné qu’il forcerait probablement la Fed à resserrer sa politique de manière plus agressive que ce que prévoient les investisseurs, nous serions alors probablement amenés à débattre à nouveau pour savoir si l’atterrissage sera dur ou doux.

Alors de quoi parle-t-on? Les atterrissages en douceur sont en fait assez rares. On peut dire que le seul atterrissage en douceur de ces dernières décennies a eu lieu en 1994-95, lorsque la Fed de Greenspan a augmenté les taux de 3,0% à 6,0% sans déclencher de récession. Cependant, il y a quelques différences majeures par rapport à aujourd’hui. Tout d’abord, il y a déjà eu 450 points de base cumulés de hausses de taux depuis le début du cycle en cours, et le président de la Fed, M. Powell, a promis d’en faire davantage. Ensuite, et surtout, les pressions inflationnistes sont beaucoup plus fortes aujourd’hui qu’en 1994-95, lorsque l’IPC global américain est passé d’un plus bas de 2,3% à un maximum de seulement 3,2%.

En outre, hormis les précédents historiques, un certain nombre d’indicateurs avancés laissent présager un atterrissage brutal. Par exemple, les rendements des obligations à dix ans sont tombés en dessous des taux à trois mois, inversant ainsi la courbe des rendements, qui est normalement orientée vers le haut. Or, toutes les récessions récentes ont été précédées par une telle inversion de la courbe des taux. En outre, l’indice économique avancé du Conference Board est en territoire de ralentissement ou de récession depuis juillet dernier. Ce n’est que le cinquième signal d’alerte de cet indice depuis 1990 et chacune des alertes précédentes a été suivie d’une récession.

En somme, le scénario de l’absence d’atterrissage ne semble pas être une hypothèse viable et le résultat final pour l’économie américaine sera soit un atterrissage en douceur, soit un atterrissage brutal. Compte tenu de la résistance de l’activité et de la persistance des pressions inflationnistes sous-jacentes, il est probable que la Fed maintiendra sa politique de hausse des taux bien au-delà de ce que les marchés attendent, ce qui plaide en faveur du second scénario. Les risques d’atterrissage brutal continuent de justifier un positionnement défensif des portefeuilles, malgré l'optimisme de janvier.

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