Multinationales: peuvent-elles prospérer en période de conjoncture défavorable?

Jody Jonsson, Capital Group

3 minutes de lecture

Malgré l'inquiétude croissante que suscite la démondialisation, les multinationales sont bien équipées pour faire face à ses conséquences.

Les risques sont en effet évidents, entre la montée des tensions sino-américaines, la guerre en Ukraine, le renforcement des barrières commerciales, le dérèglement des chaînes d’approvisionnement, le marché baissier et le ralentissement de la croissance mondiale.

Les multinationales sont-elles donc devenues plus vulnérables que d’autres types d’entreprises, face à ces turbulences?

C’est l’inverse. Pour schématiser, les multinationales sont à bien des égards les mieux positionnées pour naviguer en périodes de turbulences: elles ont les moyens de mettre en place des solutions efficaces pour surmonter les perturbations, par exemple en adoptant une approche de plus en plus «multilocale» pour se rapprocher des consommateurs de chaque marché.

1. Les multinationales peuvent s’adapter aux tensions entre les États-Unis et la Chine

Ces deux grandes puissances économiques se livrent bataille à coups de droits de douane exorbitants et d’autres restrictions commerciales. Au-delà, les États-Unis et la Chine doivent résoudre des désaccords plus marqués, par exemple sur le vol de propriété intellectuelle et les subventions massives au profit d’entreprises publiques chinoises. Il faudra des années, si ce n’est des décennies, avant que ces questions épineuses soient – peut-être – réglées.

En attendant, les entreprises d’envergure internationale font ce qu'elles savent faire le mieux: elles trouvent des moyens de s’adapter et de réussir, quels que soient les obstacles.

Dans le secteur des semi-conducteurs, par exemple, le fondeur Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) a investi massivement pour construire de nouvelles usines aux États-Unis et au Japon, tandis que l’équipementier néerlandais ASML développe ses activités en Allemagne et aux États-Unis. Autre exemple: le leader mondial des équipements dédiés au secteur de l’énergie et de l’exploitation minière Caterpillar pourrait enregistrer une demande accrue de machines lourdes en raison de nouvelles implantations à construire.

Peu importe l'environnement, ces «champions mondiaux» ont tendance à tirer leur épingle du jeu: elles sont capables de supporter des périodes difficiles, mais également de se repositionner pour prospérer lorsque l’économie se redresse.

Les multinationales surperforment le reste du marché

2. Une équipe de gérants expérimentés peut dépasser les écueils

Ce n'est pas pour rien que les multinationales sont parvenues à dominer l'économie et les marchés financiers mondiaux. Elles sont généralement pilotées par des dirigeants chevronnés, pugnaces et habiles, qui ont déjà surmonté tous types de conjonctures, porteuses ou hostiles. C’est pourquoi ces entreprises aguerries sont les plus à même de survivre, voire de prospérer dans un environnement hostile.

Nestlé est un cas d’école de la manière dont une multinationale peut mettre à profit les technologies pour rationaliser sa chaîne d’approvisionnement. Le géant de l’alimentaire a depuis quelques années recours à la blockchain pour améliorer la gestion de ses produits, en termes de rapidité, de transparence et de coûts. Ces données blockchain permettent non seulement de suivre plus efficacement les approvisionnements, mais aussi de partager l’origine précise de ses produits avec les consommateurs. Pour savoir d’où vient le café en grains de marque Nestlé, il suffit désormais de scanner un code-barres sur le paquet.

Dans ce contexte, il est essentiel que les investisseurs se détachent du tumulte provoqué par l’actualité relative aux échanges commerciaux, au protectionnisme et aux tensions géopolitiques. De nouveaux chiffres sont publiés chaque jour, et sont pour la plupart insignifiants. Dans la mesure où ces différends commerciaux dissuadent d’investir dans les multinationales, le fait d’accorder trop d’importance à l’actualité pénalise les résultats d’investissement à long terme.

3. Certaines multinationales pourraient tirer parti de la relocalisation de leur chaîne d’approvisionnement

De nombreuses sociétés développent leur présence sur leurs marchés locaux, plutôt que de reculer devant la menace de barrières commerciales. Il devient vital pour les multinationales de fabriquer là où elles vendent. Pour réussir, elles doivent être capables d'évoluer rapidement et de réagir efficacement face à la concurrence locale.

Surtout, la plupart des multinationales sont en train de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement pour ne plus dépendre d’une seule source, et privilégient désormais la fiabilité et la robustesse plutôt que les coûts et la rentabilité. Certaines d’entre elles rapatrient ainsi une partie de leurs activités industrielles «à la maison», tandis que d’autres les relocalisent sur d’autres territoires, comme l’Inde, le Vietnam et le Mexique.

Le géant de l'habillement sportif Nike optimise cette approche avec ses initiatives de vente hyperlocales. comme son concept store digitalisé implanté à Los Angeles qui propose des modèles de chaussures en fonction des tendances d’achat en ligne dans les quartiers proches. On ne peut pas faire beaucoup plus local. Le géant de l’habillement sportif a également ouvert un campus logistique en Europe pour personnaliser rapidement les coloris et matériaux d’après les préférences de ses clients dans chaque ville où ses produits sont vendus.

Visa et Mastercard ont adopté à peu près la même approche dans le domaine du traitement des paiements électroniques, lequel doit être adapté non seulement aux préférences des clients locaux, mais aussi respecter les réglementations financières souvent strictes de chaque pays. Les deux sociétés affichent en conséquence une croissance soutenue, tout en s’adaptant à la concurrence nouvelle du secteur de la fintech.

4. Les marchés émergents offrent un terreau fertile pour les champions mondiaux

À bien des égards, cette approche multilocale est cruciale pour les multinationales basées aux États-Unis, en Europe et au Japon qui cherchent à rester pertinentes et à se développer sur des marchés émergents bien plus dynamiques. La plupart de ces pays (la Chine, l’Inde ou encore le Brésil) veillent au rayonnement de leurs propres géants internationaux, mais aussi de concurrents nationaux de plus petite taille, et ils n’attendent pas que les acteurs traditionnels les rattrapent.

L’e-commerçant Mercado Libre, par exemple, est parvenu à conserver son leadership en Amérique latine, face à son principal concurrent Amazon. Il doit avant tout sa résilience à sa «marketplace» dynamique de vendeurs latino-américains, qui s’appuient sur sa plateforme rapide et efficace pour desservir les différents marchés de la région avec leurs produits locaux.

Pour certaines grandes multinationales, l’un des risques est d’être éclipsées par des concurrents plus petits et plus en phase avec les marchés locaux. Cette menace me paraît plus sérieuse que n’importe quelle querelle géopolitique ou commerciale.

En conclusion, l’évolution du paysage mondial joue en faveur des «stock pickers», ces investisseurs qui misent sur la gestion active et la recherche fondamentale.

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