Mi-temps – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

6 minutes de lecture

Quels sont les arguments en faveur des investisseurs baissiers, et lesquels soutiennent les haussiers?

Il suffit parfois d’un seul tir pour faire basculer un match. Or nous voici à la mi-temps. Le moment est venu de tirer le bilan des six premiers mois de l’année: quels sont les arguments en faveur des investisseurs baissiers, et lesquels soutiennent les haussiers? Nous analysons les opportunités et les risques pour le second semestre 2018. Un regard dans les coulisses des médias montre comment ceux-ci font augmenter leurs tirages en insufflant la peur et pourquoi il faut s’attendre de leur part à une bonne dose d’absurdités et de bouche-trous cet été également.

Baissiers ou haussiers: qui gagnera la deuxième mi-temps 2018?

Le milieu de l’année donne l’occasion de faire une courte pause et de tirer un bilan intermédiaire. Un constat s’impose: la lutte entre les investisseurs baissiers et les haus-siers a été globalement équilibrée au premier semestre. Vers la fin néanmoins, les baissiers se sont imposés de plus en plus, car l’accentuation des tensions commerciales, les divergences de politique intérieure en Europe, la vigueur du franc ainsi que les crises budgétaires en Argentine et en Turquie leur procurent des avantages. Mais toutes les options sont encore ouvertes pour les prochains mois. Nous en résumons ici les principaux éléments (tous les chiffres sont exprimés en dollars américains au 30 juin 2018). 

Résultats intermédiaires

  1. Depuis le début de l’année, l’indice mondial des actions MSCI (World) et l’indice mondial des obligations d’État (Citigroup) ont perdu respectivement 1,6% et 1,2%.
  2. Parmi les marchés boursiers européens (FTSE Euro 100: -5%), la Suisse se situe en queue de classement cette année, avec -10%. Seules la Pologne (-17,8%) et la Hongrie (-16,5%) affichent un score encore plus mauvais. En tête caracole la Norvège, avec une nette progression de 12%.
  3. Aux États-Unis, l’indice de sociétés technologiques Nasdaq, avec +7,8%, dépasse largement l’indice d’entreprises industrielles Dow Jones DJIA (-2,4%).
  4. L’indice d’actions japonais Nikkei 225 affiche une légère avance, avec +0,3%.
  5. Les pays émergents se sont retrouvés sous pression au premier semestre. C’est l’indice MERV argentin qui a le plus souffert (-40%), suivi par l’indice BIST turc (-31%). Quant à l’indice mondial des actions des marchés émergents MSCI, il a chuté de 7,8%.
  6. Le vainqueur de la mi-temps sur les marchés boursiers cette année, c’est l’Arabie Saoudite, grâce au prix du pétrole. Son indice Tadawul a progressé de 15,1%.

Que nous réserve la deuxième mi-temps?

C’est en particulier à la deuxième mi-temps que le proverbial «douzième homme» peut souvent faire une différence décisive: il s’agit en premier lieu des supporters, mais aussi de l’assurance, de la confiance en soi ou d’une combinaison inattendue d’heureux hasards – nous le savons bien. Qui ressortira victorieux de cette année 2018? Nous analysons onze facteurs susceptibles d’avantager les investisseurs baissiers et onze autres favorables aux investisseurs haussiers.  

Bilan: onze facteurs en faveur des investisseurs baissiers  

Par le passé, il est régulièrement arrivé que des facteurs pouvant aller jusqu’à onze aient annoncé des retournements sur les marchés boursiers. De manière générale, ils reflètent divers aspects de la récession et/ou de l’inflation. Quel est le statut actuel de ces facteurs en comparaison historique? Le tableau ci-dessous en donne un aperçu:

Ce tableau ne comporte pas de facteurs exogènes tels que la politique, la société, l’environnement ou la technologie. Or, actuellement, ces facteurs n’inquiètent pas seulement les investisseurs baissiers mais aussi les haussiers, car il est évident que la situation mondiale tendue augmente le risque d’une réaction en chaîne néfaste. Quoi qu’il en soit, à tort ou à raison, la peur peut être aussi contagieuse que l’avidité. C’est ce qui rend les événements singuliers si difficiles à prévoir. En effet, la focalisation des médias à elle seule peut déjà les déclencher. À cet égard, on distingue actuellement trois risques principaux: premièrement, l’augmentation de la dette globale1 à l’échelle internationale; deuxièmement, le risque d’une nouvelle crise dans la zone euro; troisiè-mement, les risques économiques d’une guerre commerciale, en particulier pour les pays émergents. Nous avons abordé ces trois thèmes ici à plusieurs reprises de manière différenciée.

Bilan: onze facteurs en faveur des investisseurs haussiers  

1. Primes de risque: en l’absence de récession ou d’inflation, les actions offrent généralement des primes de risque supérieures à celles des obligations. C’est ce qu’illustre également le graphique 1. En dépit de tous les revers, les investisseurs patients ont réalisé une performance supérieure à la moyenne en bourse depuis le début de l’expansion économique mondiale en 2009. Pourtant, les primes de risque des actions sont deux fois plus élevées qu’elles ne devraient l’être selon nos estimations.

Source: Credit Suisse
Les indications de performances historiques et les scénarios de marchés financiers ne constituent pas une garantie des résultats futurs.

 

Une poursuite de la croissance modérée dans un contexte de faible inflation pourrait être favorable aux investisseurs haussiers au second semestre, car les expansions ne meurent pas de vieillesse mais du fait d’une surchauffe2. Il y a néanmoins un hic à cette règle en ce sens qu’il faut de la patience et de la chance pour bénéficier de primes de risque. Et comme la chance ne peut pas s’obtenir par la force, la patience est une vertu stratégique en gestion de fortune. 
Il y a un deuxième hic, à savoir que les primes de risque ne s’attribuent à personne «pro rata temporis». Le marché ne mesure pas le moment où nous prenons une position ou la liquidons. Les primes de risque réellement obtenues sont parfois élevées, parfois faibles. C’est pourquoi une bonne gestion de fortune n’est jamais une science pure, mais également et toujours une question d’expérience. Il ne s’agit pas d’un jeu de hasard, mais d’un processus rigoureux. Je rappellerai que les gestionnaires ne peuvent pas prédire quand des primes de risque seront versées sur des actions. 

En revanche, nous savons que les primes de risque sur les actions, selon les critères en vigueur, sont nettement supérieures à celles liées aux obligations ou aux liquidités. Voilà une information précieuse.

2.    Les actions affichent une valorisation avantageuse: dans le monde entier, les actions se négocient avec un PE (ratio de Shiller) de 14. Depuis 1984 en revanche, la moyenne se situe à 17. Le graphique 2 illustre la variabilité des primes de risque élevées.

3.    Les rachats d’actions et les dividendes ont soutenu les marchés ces dernières années, compensant la frilosité caractéristique des investisseurs institutionnels. Tant que les coûts d’emprunt sont inférieurs aux rendements des bénéfices (ce qui semble rester plausible), les équipes de management ont tout intérêt à veiller aux retours sur investissement et à maintenir le cap choisi (voir le graphique 3).

4.    Demande institutionnelle différée: depuis la crise financière, les caisses de pension ont réduit leur part d’actions en portefeuille d’environ 30% par rapport à la période précédant 2008. Cette pondération se situe à 11% en Allemagne et même à 8%seulement au Danemark, alors qu’elle atteint quand même 27% en Suisse. Elle était nettement supérieure ces cinquante dernières années partout dans le monde. Tôt ou tard, les investisseurs patients tireront profit de cette demande différée.

5.     La baisse du chômage soutient la consommation: les statistiques les plus récentes de l’OCDE mettent en évidence que les entreprises engagent actuellement plus de personnel qu’elles ne suppriment de postes (voir le graphique 4). Cette évolution confirme l’expansion économique.

6.     Hausse des chiffres d’affaires des entreprises: selon les estimations des analystes et des entreprises, les chiffres d’affaires de ces dernières au second semestre 2018 devraient être supérieurs à ceux du premier. Certes, les taux de croissance baissent, mais cela n’a rien d’étonnant. Une expansion modérée est plus durable qu’une surchauffe.

7.     Bénéfices: dans le cas des entreprises du S&P 500, les analystes anticipent un bénéfice moyen de 170 dollars par action en 2018. Ce montant multiplié par un ratio cours/bénéfice de 16, 18 ou 19 par exemple pourrait donner un cours de clôture de respectivement 2720, 3060 ou 3230 pour l’année. En Suisse, un SMI de 9100 serait envisageable selon la même logique.

8. Marges bénéficiaires: outre les augmentations de productivité et le soutien des mesures fiscales, les grandes entreprises américaines en particulier tirent profit d’un pouvoir de fixation des prix qui semble plutôt défensif. Bien sûr, une grande partie de cette évolution est attribuable à la position monopolistique de sociétés technologiques telles que Microsoft et FANG.

9.     Indicateurs de confiance: en dépit de toutes les turbulences, les résultats des enquêtes sur la confiance menées auprès de gérants, d’entrepreneurs et de consommateurs en Suisse, dans l’UE, aux Etats-Unis et à l’échelle mondiale sont encore proches de leurs niveaux historiquement les plus élevés. Ce sont de bons indicateurs de l’activité d’investissement.

10.     Bilans solides: même les 4000 milliards de francs de dettes bon marché que les entreprises ont contractées ces dix dernières années peuvent être relativisés en comparaison des bilans de celles-ci. En effet, le rapport moyen entre les dettes nettes et l’EBITDA se situe, comme le montre le graphique 6, bien en dessous du seuil de 6 considéré comme critique.

11. Indicateurs tactiques: enfin, la plupart des indicateurs tactiques signalent que les marchés boursiers sont survendus, en particulier dans les pays émergents et en Suisse. Le rapport entre les investisseurs haussiers et les baissiers, le climat sur les marchés boursiers et les indicateurs techniques sont autant de signes suggérant qu’un rallye estival tout au moins semble probable.

Qui applique la bonne stratégie?

Je ne le dirai jamais assez: la gestion de fortune est un métier comme un autre. Sa qualité peut se mesurer et, à la différence des marchés, également se prévoir. Pour être performant, il faut avoir une vue d’ensemble et investir de manière durable sur la base d’un processus bien rodé en veillant à opérer une diversification judicieuse. Il s’agit de faire preuve de focalisation, de prudence et de ténacité, mais également d’éviter les pièges, par exemple d’ordre psychologique ou analytique. Pour ces simples raisons déjà, j’estime qu’une gestion de fortune durable est la discipline reine. C’est sur elle que je mise pour le deuxième semestre et au-delà.   

«Le jugement dernier»: comment la peur fait augmenter les tirages

Lundi dernier, dans le cadre d’un débat télévisé tenu en anglais, j’ai répondu pendant une heure à des questions sur des thèmes économiques d’actualité en compagnie du prix Nobel d’économie Christopher Pissarides. J’apprécie beaucoup ce dernier, en tant qu’homme et en tant qu’économiste. J’ai donc été d’autant plus surpris que nos réponses divergent à propos d’une question posée par l’animatrice expérimentée, laquelle voulait savoir si l’Allemagne et Angela Merkel allait bientôt faire face à leur «jugement dernier»? Il a répondu par l’affirmative alors que j’ai relativisé. Il m’a expliqué plus tard que sa réponse ne reflétait pas vraiment le fond de sa pensée, mais qu’il avait seulement voulu exprimer ainsi sa colère vis-à-vis de l’arrogance manifestée par l’Allemagne pendant la crise grecque en 2011, une arrogance encore ressentie. J’ai hoché la tête de pitié devant la manière dont les médias font augmenter leurs tirages en insufflant la peur. La métaphore radicale du jugement dernier, les photomontages suggestifs et le principe du leitmotiv sont des astuces simples mais efficaces. 

Certes, il ne faut pas enjoliver les difficultés de construction de l’Europe ni ses points de rupture, mais l’image du jugement dernier qui attend l’Allemagne ou sa chancelière est une exagération grotesque. De manière générale, les démocraties européennes sont plus fortes que leurs représentants élus. Personne n’est irremplaçable. Un changement politique, même d’ordre extraordinaire, n’est pas une erreur du système mais relève du libéralisme. Que les investisseurs se le tiennent pour dit: le creux médiatique estival sera une fois de plus copieusement comblé d’absurdités. En attendant, mieux vaut encore s’intéresser à la Coupe du monde de football.

 

1 Voir à ce sujet ma lettre hebdomadaire intitulée «Le paradoxe de l’endettement» du 22 juin 2018.
2 Voir les statistiques détaillées à ce sujet dans ma lettre hebdomadaire «Rien à craindre» du 1er juin 2018.

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