Imagine – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Un regard sur les nouvelles technologies permet de comprendre pourquoi l’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’être humain.

Les protagonistes du différend commercial actuel font la sourde oreille aux exhortations à la paix et à l’harmonie, comme en témoignent les baromètres de la confiance des marchés boursiers, qui ont viré au rouge foncé. Pourtant, les tourmentes créent également des opportunités, comme dans le cas des actions suisses et chinoises par exemple. Un regard sur les nouvelles technologies permet de comprendre pourquoi l’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’être humain et qui sont aujourd’hui déjà les gagnants inattendus de la Coupe du monde.

Fortes turbulences

Cette semaine, le climat dans le domaine de la politique commerciale et sur les marchés financiers est exactement à l’opposé de ce dont rêvait John Lennon dans sa merveilleuse chanson «Imagine», à savoir un monde respirant la paix et l’harmonie. À juste titre, Albert Einstein, lui non plus, ne misait pas seulement sur le savoir, qui évolue généralement de manière linéaire et extrapolatrice, mais aussi sur l’imagination en particulier, car il se plaisait à souligner qu’elle était illimitée, à la différence de toutes les connaissances du monde. Des mots pleins de sagesse, également pour les investisseurs. Le graphique 1 montre qu’en cette époque de conflits, de nombreux rêves s’envolent, notamment sur les marchés boursiers où souffle un vent de panique.

Voici brièvement trois réflexions à cet égard.

Premièrement, tous les antagonistes manifestent toujours une nette préférence pour la conclusion d’un «accord». Personne n’a intérêt à ce qu’un conflit protectionniste se prolonge. Pour l’administration américaine, il est certain qu’un succès dans les négociations commerciales serait un précieux atout pour la campagne électorale à venir. De leur côté, la Chine, l’Europe et le Canada semblent également disposés à faire des concessions.

Deuxièmement, même si le monde paraît parfois atteint de folie, les investisseurs devraient partir du principe que les diplomates du commerce se comportent de manière rationnelle, ne serait-ce que pour défendre leurs propres intérêts. En outre, il peut arriver qu’une action en apparence irrationnelle relève aussi d’une tactique bien étudiée.

Troisièmement, il faut garder la tête froide, car les risques accrus d’ordre psychologique restent contrebalancés par une économie mondiale solide affichant une inflation faible et des taux d’intérêt bas. En comparaison historique, les primes de risque des actions sont inhabituellement élevées. La Chine, qui est particulièrement concernée par le différend commercial, affiche une croissance annuelle des bénéfices de 17%, une inflation en baisse, une politique budgétaire et monétaire dynamique et un rapport cours/bénéfices moyen de 11. La république populaire n’entre qu’à hauteur de 3% dans la capitalisation boursière mondiale alors qu’elle génère plus de la moitié de la croissance économique du globe. La bourse helvétique – l’une des plus faibles de l’année 2018 – n’est guère exposée aux droits de douane si contestés. Dans des périodes tourmentées antérieures, les actions suisses ont affiché des primes de valorisation par rapport à celles des voisins européens. Néanmoins, après la correction de 10% des grosses capitalisations, elles se négocient aujourd’hui avec une décote relative de 4%. Leurs primes de risque sont actuellement les plus élevées parmi celles des actions européennes. Nous estimons que tous ces arguments parlent en faveur d’une surpondération.

Le Supertrend «Technologie» et l’avenir de l’emploi

Nous vivons à une époque d’évolution technologique fulgurante, laquelle préoccupe et effraie beaucoup d’entre nous. C’est pourquoi on me demande régulièrement s’il y aura encore suffisamment d’emplois pour les êtres humains dans le monde de demain compte tenu de la multiplication des robots (voir le graphique 2), de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de la numérisation croissante du secteur de la santé.

Bien que ces inquiétudes soient très compréhensibles, elles se sont généralement révélées totalement infondées par le passé. Le lave-linge est entré dans nos vies il y a 80 ans, Internet il y a 25 ans environ et le smartphone il y a moins de 10 ans. Or, en supprimant le travail manuel, le lave-linge a incontestablement contribué à améliorer notre niveau de vie et à simplifier le quotidien. Et bien que la numérisation ait sonné le glas de nombreuses activités, les entreprises spécialisées dans les technologies de l’information ont créé des millions d’emplois ces dernières années. Google (Suisse), par exemple, a ouvert en 2004 un bureau comptant deux collaborateurs à Zurich (Limmatquai). Aujourd’hui, l’entreprise y emploie 5000 personnes. L’expansion rapide des nouvelles technologies est également stimulée par la mondialisation, laquelle facilite en particulier le développement de projets complexes ou à forte intensité de capital. Par exemple, il a fallu à la science une quinzaine d’années pour parvenir à décrypter le génome humain pour la première fois. Cette recherche a englouti l’équivalent de 30 milliards de francs environ. Aujourd’hui, quelques jours suffisent pour séquencer l’intégralité du génome humain.

Quelques généralisations semblent admises ici. 

Premièrement: les nouvelles technologies exercent sur notre niveau de vie une influence positive qui devrait perdurer (voir le graphique 3). En effet, elles semblent davantage contribuer à l’évolution des contenus et des processus de travail qu’à leur suppression.

Deuxièmement: de manière générale, les innovations technologiques permettent d’augmenter la productivité du capital et du travail. Il ne faut pas oublier qu’à moyen terme, cette évolution stimule également la croissance des bénéfices, le marché de l’emploi et les revenus fiscaux.

Troisièmement: les États et les entreprises peuvent réduire les effets indésirables des transitions technologiques en encourageant la formation continue, en développant des formes de travail plus flexibles ou en prenant des mesures d’incitation économique. De par leur nature, ces dispositions profitent le plus aux travailleurs peu qualifiés.

Quatrièmement: ce qui comptera le plus à l’avenir, ce n’est pas tant le savoir encyclopédique de chaque individu, mais plutôt notre capacité à apprendre tout au long de notre vie et à nous montrer curieux et flexibles. 

Cinquièmement: lorsque les technologies, les produits ou les licences sont de plus en plus éphémères, la constance gagne en valeur. Ce qui importera plus que tout, ce n’est pas l’intelligence artificielle des robots, mais la créativité et l’empathie des êtres humains, ainsi que la faculté de penser et de ressentir de manière globale. Acquérir ces compétences et ces qualités constituera donc un atout de poids dans notre beau nouveau monde.

Aparté sur la Coupe du monde: ce que le streaming et Shaqiri ont en commun

Réponse: tous deux démarrent comme une fusée. 

La Croatie joue bien en Russie, tandis que l’Espagne et le Brésil, en dépit de leurs récentes faiblesses, restent parmi les favoris de la Coupe du monde de football. Mais sur le plan économique, les grands gagnants sont très différents, et le service de streaming de Twitter en fait partie. Les actions de cette entreprise américaine ont progressé de 35% au cours des deux premières semaines de la compétition, et même de 145% l’année dernière. La raison? La diffusion en temps réel des temps forts de l’événement, des interviews et des spectacles d’avant-match offre une plateforme de publicité idéale pour les réseaux sociaux. Le succès de Twitter annonce la prochaine disruption technologique dans le monde des médias. 

Voici quelques chiffres à ce sujet: en 2017, la société Twitter a effectué 400 retransmissions en direct au premier trimestre, et elle en est déjà à 1300 pour le trimestre en cours. Ces diffusions (ou plutôt les publicités qui les accompagnent) font littéralement décoller le chiffre d’affaires, comme Xherdan Shaqiri le fait avec le ballon lorsqu’il marque un but. Si Twitter et ses homologues n’ont pratiquement rien empoché avec les retransmissions en direct de la Coupe du monde de 2014, ils ont déjà engrangé 340 millions de dollars américains depuis le début de l’édition 2018, soit la moitié du chiffre d’affaires de la société Twitter.

Ce succès reflète le changement qui s’opère dans la consommation de médias à l’échelle mondiale. Auparavant, les chaînes de télévision soumettaient des offres extrêmement élevées pour obtenir les droits de diffusion en direct d’événements sportifs importants. Mais aujourd’hui, le public suit ces derniers en ligne de manière croissante. C’est ainsi que la chaîne anglaise BBC a révélé que plus de quatre millions de spectateurs avaient regardé en live, sur sa plateforme de streaming iPlayer, la victoire écrasante (6:1) de l’équipe britannique contre le Panama. Le Super Bowl de cette année en a même captivé cinq millions et demi.

Chiffres d’affaires vertigineux

Le fait que le streaming remplace de plus en plus la télévision explique pourquoi Amazon a récemment acheté les droits de diffusion des matchs de la Premier League anglaise. Peu avant, un nombre similaire de matchs avait été vendu à British Telecom pour un montant équivalant à 120 millions de francs. Facebook se lance également dans ce business. L’année dernière, après avoir offert 600 millions de francs pour obtenir les droits de diffusion des matchs de cricket indiens pendant cinq ans et s’être fait damer le pion par son concurrent Star India qui avait proposé plus de 900 millions, l’entreprise a finalement acquis les droits exclusifs de retransmission en après-midi de 25 matchs de baseball en Ligue majeure pour un montant de 35 millions de francs. Grâce à ses recettes publicitaires annuelles de plus de 40 milliards de dollars américains, Facebook peut se permettre d’acheter bien davantage de droits de diffusion de ces événements sportifs si populaires, car le jeu en vaut la chandelle. Il y a quelques semaines, la Premier League indienne a enregistré un record en matière de vidéo-streaming avec 8,3 millions de spectateurs connectés en même temps. Amazon écrit que ses retransmissions de matchs l’année dernière ont été suivies par plus de 18 millions de spectateurs pendant une durée moyenne de connexion de plus d’une heure. En mai, Apple a annoncé la conclusion parallèle de plusieurs partenariats stratégiques avec des stars des médias telles que Oprah Winfrey, Steven Spielberg, Jennifer Aniston et Reese Witherspoon. Une tendance ressort clairement: en proposant des programmes toujours plus attrayants, les réseaux sociaux se disputent les faveurs des consommateurs de médias. 

D’après une étude de PricewaterhouseCoopers, les recettes de 20 milliards de dollars américains émanant du vidéo-streaming si prisé devraient augmenter de 50% d’ici à 2022, pour atteindre plus de 30 milliards1. Une grande partie de cette croissance du chiffre d’affaires est stimulée par l’augmentation de la demande de retransmission d’événements sportifs en direct. Cela explique une partie de la progression attendue de l’ensemble des recettes publicitaires sur Internet qui, selon PwC, devraient s’élever de 88 milliards de dollars américains actuellement à 127 milliards ces cinq prochaines années rien qu’aux États-Unis. 

Bien entendu, la pratique physique du football n’est pas épargnée, elle non plus, par les technologies en ligne. Aux États-Unis, les personnes qui suivent les tournois de «e-sport» sont déjà plus nombreuses que les spectateurs des matchs de la Ligue nationale de hockey. «Fortnite», le dernier jeu vidéo à la mode de l’offre d’e-sport, qui ne représentait en février que 2% du streaming des jeux vidéo dans le monde entier, vient de dépasser les 30%. Son joueur le plus populaire, Tyler «Ninja» Blevins, a signé entretemps un contrat avec la société de streaming d’Amazon: Twitch. Il fait la promotion de la «Fortnite World Cup 2019», laquelle sera dotée de prix allant jusqu’à cent millions de dollars américains.

Si de tels chiffres vous donnent le vertige, renseignez-vous auprès des 74 millions de followers de Cristiano Ronaldo sur Twitter.

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