Les Etats-Unis et la crypto: entre institutionnalisation et répression

Manuel Valente, Coinhouse

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Chronique blockchain. Nous pourrions être dans une période de basculement du contrôle de ce marché des acteurs classiques vers les géants de la finance traditionnelle.

Alors que l’Union européenne a récemment voté le règlement MiCA qui encadre et régule les entreprises travaillant dans l’écosystème des crypto-actifs, les Etats-Unis augmentent depuis quelques mois la répression à leur encontre. En parallèle, les géants de la finance traditionnelle sont de plus en plus nombreux à fournir des services sur ce marché, au plan mondial. Ces évolutions importantes pourraient transformer durablement le marché des crypto-actifs.

Il est peu dire que la faillite de la plateforme FTX en novembre 2022 a bouleversé non seulement l’écosystème crypto, mais également les gouvernements de beaucoup de pays. Suite à cette affaire, l’AMF en France a sensiblement renforcé les contrôles sur les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN), notamment au plan de la cybersécurité. Les autorités américaines sont allées beaucoup plus loin, et la SEC a intenté en juin 2023 une série d’actions en justice à l’encontre des deux plus grandes plateformes mondiales.

Coinbase, deuxième plateforme mondiale en termes de volume et localisée aux Etats-Unis, a été la cible d’un procès en deux temps : la SEC a d’abord qualifié une quantité importante de crypto-actifs disponibles sur le marché comme des valeurs mobilières, donc soumises à régulation. Puis elle a intenté un procès à Coinbase pour avoir permis à ses clients d’acheter et de vendre ces actifs de façon non régulée.

Il sera relativement difficile pour Coinbase de se défendre, dans la mesure où ces actifs n’avaient jamais été déclarés jusqu’ici comme étant soumis à la régulation de la SEC. L’action de Coinbase, côtée en bourse, a d’ailleurs perdu 15% de sa valeur suite à cette annonce de procès.

Mais c’est la première plateforme mondiale de crypto-actifs, Binance, basée à Malte, qui fait l'objet des accusations les plus graves : confusion des fonds entre la maison-mère et sa filiale américaine, manque de contrôles sur l’identification des clients, blanchiment de fonds, et comme pour Coinbase, vente de valeurs mobilières sans les autorisations nécessaires.

Les entreprises américaines du marché des crypto-actifs ont principalement réagi à ces procès en accusant les régulateurs de ne pas avoir clarifié les règles de leur activité. En effet, contrairement à l’Union européenne, aucune loi ne vient encadrer leur fonctionnement et ces entreprises se plaignent donc de subir des procès sans savoir comment pouvoir les éviter. Plusieurs considèrent actuellement la possibilité de déplacer leurs activités vers l’Europe.

Dans le même temps, les acteurs institutionnels continuent à déployer leurs activités sur ce marché. Cette semaine, Blackrock a ainsi déposé une demande de création d’un ETF spot Bitcoin coté au Nasdaq. Alors que des ETF basés sur des contrats à terme existent déjà depuis quelques années, les autorités de régulation ont à nombreuses reprises rejeté la création de produits dérivés sur les crypto-actifs, basant notamment leur décision sur le manque de transparence des cours et une insuffisante protection des investisseurs.

Blackrock n’a cependant connu jusqu’à aujourd’hui qu’un seul échec pour la création d’un ETF contre 575 acceptations, et le marché attend avec impatience la décision sur ce point. Suite à cette annonce, la rumeur court que Fidelity va également se lancer sur ce créneau et proposer son propre ETF Bitcoin Spot à court terme.

En Europe, les choses avancent également rapidement : alors que la Société Générale et Delubac & Cie sont déjà PSAN depuis 2022, c’est au tour du Crédit Agricole à travers sa filiale Caceis d’obtenir l’enregistrement PSAN faisant d’elle la troisième banque française à intégrer cette liste.

Dans le même temps, la Deutsche Bank a demandé un statut équivalent aux autorités de régulation allemandes. Ces géants bancaires se préparent donc probablement à lancer des produits autour des crypto-actifs, ou au moins à pouvoir assurer leur conservation.

Enfin en Asie, On peut observer que Hong Kong est en train d’émerger comme un centre d’intérêt pour les crypto-actifs: plus de 150 entreprises du web3 s’y sont installées en un an, la province-état autorise désormais les particuliers à détenir des crypto-actifs, et la pression est mise sur les banques pour accepter les plateformes d’achat-vente comme clients. Tout cela contraste fortement avec la politique chinoise d’interdiction de toute transaction sur son territoire.

L’état du marché en ce mois de juin 2023 est donc assez particulier: d’un côté les autorités de régulation se montrent intransigeantes et hostiles avec les entreprises traditionnelles de cet écosystème, surtout aux Etats-Unis, mais en parallèle les institutionnels s’y intéressent de façon croissante et créent de nouvelles opportunités pour rendre la crypto accessible à tous les investisseurs. Nous pourrions donc être dans une période de basculement du contrôle de ce marché des acteurs classiques vers les géants de la finance traditionnelle. Il n’est pas certain que sur le long terme, les investisseurs et surtout les particuliers en sortent gagnants.

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