La capture de CO2: une indispensable distraction?

Bruno Allain, Quaero Capital

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Séduisante, l’idée de capturer du carbone et de le stocker est aussi incontournable pour atteindre le net zéro.

La capture de carbone, pilier du «net»

Depuis 2015 et l’accord de Paris sur le climat proclamant l’objectif de neutralité carbone, la notion de «Net Zéro» est entrée dans le langage courant. Le choix des mots ne doit rien au hasard: si on évoque les émissions nettes, c’est parce que même en tenant compte de probables futurs progrès techniques et technologiques, les émissions liées aux activités humaines ne seront jamais réduites à zéro. Il demeurera un solde positif d’émissions qu’il conviendra de compenser en «retirant» du carbone de l’atmosphère.

Beaucoup de technologies sont à l’étude pour atteindre cet objectif. Les principales sont regroupées sous l’appellation de Carbon Capture and Storage (CCS), dont le principe est de séparer le CO2 des autres gaz et de trouver un moyen pour s’assurer qu’il ne puisse pas entrer dans l’atmosphère.

Séduisante, l’idée de capturer du carbone et de le stocker est aussi incontournable pour atteindre le net zéro.

Un succès limité à ce stade…

Le premier projet de CCS à grande échelle a été construit dans les années 1970. Son objectif était de séparer le CO2 du gaz naturel, puis d’injecter le carbone ainsi récupéré dans un puit de pétrole afin d’augmenter sa production. A ce jour, cela reste la principale utilisation du CO2 capturé.

Dans les années 1990, on a commencé à évoquer les technologies de CCS comme moyen permettant de limiter le réchauffement climatique, mais cette application reste extrêmement marginale. Les installations de CCS ne capturent encore aujourd’hui que 43 millions de tonnes de CO2 par an , soit moins de 0,1% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Un bilan modeste pour une technologie vieille de plus d’un demi-siècle.

…mais une accélération désormais probable

Après de nombreux faux départs, les perspectives semblent toutefois s’améliorer pour la filière. De nombreux gouvernements prévoient de subventionner les projets de CCS dans le cadre de leur plan climat.

L’exemple le plus frappant est celui des Etats-Unis. L’Environmental Protection Agency souhaite mettre en place une loi qui obligerait les centrales à gaz et à charbon les plus polluantes du pays à fermer, sauf à s’équiper de CCS. Cette nouvelle obligation réglementaire s’ajouterait à un tax credit de USD 85 par tonne de carbone capturé prévu dans la loi climat IRA et à près de USD 10 milliards d’investissements dans le secteur prévus par l’Infrastructure Investment and Jobs Act.

Autre signal positif: «Le CCS sera particulièrement mis en avant lors de la COP28» a d’ores et déjà annoncé son Président, l’aboudabien Al-Jaber.

Forte augmentation des projets de CCS en 2022

(Source: Global CCS Institute)
Les polémiques demeurent

Bien que les technologies évoquées soient assez anciennes, il subsiste de nombreux doutes sur la possibilité de les déployer à grande échelle. Certains s’interrogent également sur la pertinence d’un tel déploiement.

  • Un track record limité: l’enthousiasme autour du CCS a surtout été théorique jusqu’ici. Il existe peu de projets démontrant l’efficacité des technologies de capture de carbone à grande échelle. Plus inquiétant, la plupart des méga projets annoncés en grande pompe lors de la précédente décennie a été abandonné, notamment pour des raisons techniques ou de dépassement de coûts.
  • Des risques significatifs: le plus souvent, le carbone capturé devra être transporté jusqu’au site de stockage où il sera enfoui dans des sous-sols aux propriétés géologiques adaptées.  Ces lieux de stockage suscitent néanmoins certaines craintes - pollution des nappes phréatiques, fuites de ce gaz à la fois inodore et incolore … - dont les conséquences sanitaires pourraient être dramatiques.
  • Des interrogations sur le modèle économique: si les subventions constituent un soutien bienvenu au secteur, des doutes persistent sur les perspectives économiques à long terme. Les projets de CCS sont complexes, difficiles à répliquer d’un site à un autre et il est donc peu probable qu’ils bénéficient des mêmes économies d’échelle que le solaire, l’éolien ou les batteries.
  • Un débat de nature «philosophique» entoure le CCS. En effet d’aucuns - les activités pro climat notamment - y voient un blanc-seing «pour continuer à émettre» et s’y opposent. Le fait que les géants du pétrole fassent la promotion de ces technologies est perçu par certains comme un signal d’alerte préoccupant. Ne vaudrait-il pas mieux accélérer sur les technologies matures et efficaces (à l’instar du solaire) plutôt que de parier sur le développement du CCS? La capture de carbone n’est-elle qu’une distraction au moment où il faut réduire le plus rapidement possible les émissions?
Un modèle et une place à trouver

Le CCS doit encore démontrer son efficacité et trouver un modèle économique pérenne, ce qui aura d’autant plus de chance d’arriver si les industriels doivent s’acquitter du «vrai» prix du carbone qu’ils émettent. En attendant, l’urgence climatique impose de faire appel à toutes les technologies disponibles pour s’engager dans une trajectoire net zéro. En outre, certaines industries très polluantes n’ont aujourd’hui pas d’alternative pour décarboner. Le CCS jouera donc certainement un rôle dans les années à venir.

L’IEA intègre d’ailleurs le CCS dans son scenario Net Zéro Emission (NZE) et estime que nous aurions besoin de 1,3 milliard de tonnes de carbone capturé par an en 2030 pour être sur la bonne trajectoire, soit… 30 fois la capacité actuelle!

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