Et si la «durabilité» était le problème?

Damien Contamin, BCGE

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Pour lutter contre l’écoblanchiment, faudrait-il commencer par écarter le terme de «durabilité» de notre langage?

L’écoblanchiment prend racine dans l’absence d’alignement entre ce que les entreprises prétendent offrir à leurs clients et la réalité de leurs prestations. Le propos de cet article est de montrer que la notion subjective de «durabilité» suscite une confusion qui contribue à faire le lit de l’écoblanchiment. De plus, l’usage qu’il en est fait entre parfois en conflit avec le concept fragile, car peu réaliste, de développement durable défini comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs1». L’adhésion à ce concept tient au fait qu’il décrit un modèle sociétal idéal articulé autour de trois dimensions interdépendantes : économique, sociale et environnementale. La dimension économique poursuit l’objectif d’allouer de manière optimale les ressources naturelles, humaines et techniques dans le but de maximiser le bien-être des générations présentes et à venir. La dimension sociale se concentre sur l’accès aux ressources et leur répartition équitable au niveau intra- et intergénérationnel. La dimension environnementale porte sur la gestion des ressources, la préservation de leur qualité dans le temps ainsi que leur régénération.

Les composantes économiques, sociales et environnementales cohabiteraient donc miraculeusement dans une logique vertueuse. Or, on peut tirer le constat que nous nous éloignons de cette belle intention: les inégalités intra- et interétatiques persistent et la dette environnementale croît. Au lieu de se transformer en réalité séduisante, cette idée se mue en mythe.

Une première explication tient à ce que la dimension économique repose sur l’hypothèse que le progrès technique permettrait d’assurer le découplage2 entre croissance économique et environnement. Or, à ce jour, rien ne l’atteste: l’activité économique a un impact sur l’environnement. L’innovation technologique peut apporter des solutions mais n’y parvient pas toujours. Pour favoriser une réconciliation entre croissance économique et préservation de l’environnement, la question de l’éthique environnementale se pose. La définition qui est en donnée par Hans Jonas a ici valeur de référence. Elle souligne l’obligation que tout acteur économique doit avoir à l’égard de l’avenir, l’obligeant à être responsable aujourd’hui.

«Durabilité» et «développement durable» ne font pas systématiquement bon ménage mais leur usage imprudent est susceptible de générer des attentes vouées à être insatisfaites.

L’objectif de l’arsenal réglementaire déployé en Suisse en faveur de la transparence sur les questions extra-financières et la lutte contre l’écoblanchiment, est d’induire ce que la main invisible du marché n’a jamais su faire: se substituer précisément à cette éthique et faciliter ainsi une préservation et une allocation optimale des ressources intra- et intergénérationnelles. Enfin une économie de marché qui considèrerait agir de manière «durable» en intégrant les contraintes écologiques dans les systèmes de prix, menacerait de vider le concept de développement durable de sa substance. Pour citer un exemple parmi tant d’autres, l’introduction d’un marché du carbone peut être comprise comme l’existence d’un permis de polluer, privilégiant les acteurs économiques et pays financièrement robustes et éclipsant au passage la dimension d’équité et de justice sociale inhérente au concept même de développement durable. Donc, non seulement «durabilité» et «développement durable» ne font pas systématiquement bon ménage mais leur usage imprudent est susceptible de générer des attentes vouées à être insatisfaites.

La lutte contre l’écoblanchiment passe par la reconnaissance de l’ensemble des éléments précédemment cités. Elle requiert une communication neutre et factuelle. S’abstenir de l’usage de terme enjoliveur comme «durable», à l’image de ce que certaines sociétés pratiquent déjà (comme l’entreprise de vêtements Patagonia), et rappeler que le développement durable est un concept et non une réalité, limiteront les désillusions et faciliteront ainsi l’émergence d’une meilleure adéquation entre offre commerciale et attentes des clients.

 

Cette contribution s’inspire en partie de l’article de Romain Felli, «La durabilité ou l’escamotage du développement durable», Revue Raisons Politiques.

 

 

1 Ce concept a été officialisé dans le rapport «Our common future» rendu en 1987 par la Commission Brundtland.
2 Le découplage rompt ou atténue le lien entre croissance économique et impact environnemental sous-entendant que la croissance économique pourrait être compatible avec l’idée d’impact environnemental positif

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