Comment les investisseurs en obligations souveraines peuvent faire une réalité de l’objectif net zéro

Ella Hoxha, Pictet Asset Management

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Selon la méthode d’analyse des données, les indications obtenues pour la constitution du portefeuille peuvent fortement différer.

On a coutume de dire que sélectionner – ou exclure – certaines obligations souveraines spécifiques en fonction des données environnementales d’un pays compromet les performances du portefeuille et ne provoque que des changements limités aux politiques climatiques nationales.

Pourtant, une telle posture ne résiste pas à la confrontation avec la réalité. Peu importe l’angle sous lequel on aborde cette question, pour parvenir à zéro émission nette, l’argent public et l’intervention des Etats sont indispensables. Le monde a besoin des milliers de milliards de dollars investis par la puissance publique dans les technologies d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation. Il lui faut également des lois et des réglementations environnementales minutieusement rédigées.

En d’autres termes, en tant que prêteurs à des gouvernements du monde entier et détenteurs d’environ 128’000 milliards de dollars américains de dettes souveraines, les investisseurs obligataires occupent une position unique pour exercer leur influence sur les aspects économiques et législatifs du grand livre climatique.

Par exemple, l’investisseur obligataire peut délibérément choisir de se focaliser sur la réduction des émissions de carbone comme point de référence. Ce sont ces émissions qui ont de loin l’impact le plus important sur le réchauffement climatique. Elles représentent environ 70% de toutes les émissions de gaz à effet de serre et le CO2 peut perdurer dans l’atmosphère pendant des centaines d’années.

Grâce aux progrès technologiques et au durcissement des réglementations environnementales, les données sur les émissions de carbone sont désormais nombreuses, fiables et fréquemment mises à jour. Néanmoins, l’accès à une multitude de données précises et opportunes peut à la fois être une bénédiction et une calamité. Selon la méthode d’analyse des données, les indications obtenues pour la constitution du portefeuille peuvent fortement différer. Si, par exemple, des investisseurs obligataires choisissaient d’allouer simplement leurs capitaux en fonction des émissions totales de carbone d’un pays, ils excluraient les obligations émises par la Chine et les Etats-Unis.

Cependant, s’ils se fiaient plutôt aux émissions par habitant, la dette souveraine de la Chine obtiendrait de bien meilleurs résultats, et se positionnerait même devant les bons du Trésor américain ou les obligations souveraines australiennes.

Une récente étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) a montré que les portefeuilles d’obligations souveraines construits sur la seule base d’évaluations de l’empreinte carbone exposaient les investisseurs à des pertes en capital potentiellement élevées.

Pour que les gérants d’investissement puissent suivre leurs convictions sans remettre en cause la solidité globale du portefeuille, ils doivent veiller à ce que le portefeuille puisse résister aux retombées des variations brutales des taux d’intérêt et des changes ainsi qu’à tout changement de la solvabilité des emprunteurs souverains. Pour cela, il existe un large éventail de techniques et d’outils sophistiqués de gestion des risques, notamment des swaps de taux d’intérêt, des swaps de devises et des swaps de base sur les devises.

La dette des marchés émergents peut occuper une place importante dans ces portefeuilles. En effet, de nombreux pays en développement affichent des progrès solides dans la diminution de leur empreinte carbone.

Il y a toutefois un problème à cela: quand il alloue des capitaux à ces marchés, le niveau de risque intrinsèque du portefeuille augmente par rapport à l’indice de référence, qui est entièrement composé d’obligations émises par des économies avancées.

Pour limiter ce risque tout en préservant l’allocation, des opérations de compensation peuvent être menées par exemple; en «shortant» les devises des marchés émergents. Une fois la couverture en place, toute perte en capital résultant de l’investissement en obligations des marchés émergents sera compensée par une plus-value correspondante sur la position courte en devises.

En ajustant la dynamique risque/performance de cette manière, il est possible de créer un portefeuille aligné sur un objectif de zéro émission nette dont le rendement potentiel et l’écart de suivi sont plus proches de ceux de son indice de référence.

Nous aurions donc tort de penser que les obligations souveraines ne peuvent être considérées comme des investissements compatibles avec la neutralité carbone. Au contraire. Comme l’indique la BRI, même si «peu a été fait» pour changer la dynamique de l’investissement en obligations souveraines, les portefeuilles axés sur les questions climatiques sont «nécessaires pour l’investissement écologique» et poussent les gouvernements à prendre des «mesures pour réduire les émissions de carbone liées à l’activité économique dans leur juridiction». En d’autres termes, les obligations souveraines constituent un pilier de la transition vers le zéro émission nette.

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