Lafarge en Syrie: vers un 1er procès en France pour financement du terrorisme

AWP

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Les deux infractions retenues contre la désormais filiale de Holcim sont le financement d’entreprises terroristes et le non-respect de sanctions financières internationales.

Le cimentier Lafarge et d’ex-dirigeants ont-ils financé en 2013 et 2014 les activités en Syrie de groupes terroristes dont l’Etat islamique? Le parquet antiterroriste a requis vendredi un premier procès en correctionnelle pour la société, avant un éventuel second aux assises pour complicité de crimes contre l’humanité.

Le Pnat demande un renvoi en procès pour Lafarge SA, désormais filiale du géant saint-gallois des matériaux de construction Holcim, et pour neuf personnes, parmi lesquelles l’ex-PDG Bruno Lafont, l’ex-directeur général adjoint opérationnel Christian Herrault ou encore l’ex-directeur de la sûreté du groupe, Jean-Claude Veillard, selon des éléments des 275 pages de réquisitions dont l’AFP a eu connaissance vendredi.

Les deux infractions retenues sont le financement d’entreprises terroristes et le non-respect de sanctions financières internationales.

Sollicités, les avocats de Lafarge et de Bruno Lafont n’ont pas commenté dans l’immédiat.

Le groupe est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014 (avant la fusion avec Holcim, ndlr), via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), cinq millions d’euros à des groupes jihadistes, dont l’organisation Etat islamique (EI), ainsi qu’à des intermédiaires, afin de maintenir l’activité d’une cimenterie à Jalabiya, alors même que le pays s’enfonçait dans la guerre.

Des juges d’instruction parisiens enquêtent depuis juin 2017 à Paris après deux plaintes, l’une de Bercy en septembre 2016 sur le non-respect de sanctions financières internationales, et l’autre deux mois plus tard déposée par les associations Sherpa, Centre européen pour les droits constitutionnels (ECCHR) ainsi que onze anciens salariés de LCS.

D’après le ministère public, Lafarge SA, des cadres et intermédiaires ont fourni ces cinq millions d’euros «dans l’intention de voir ces fonds utilisés ou en sachant qu’ils étaient destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre des actes de terrorisme, indépendamment de leur survenance, au profit des entités terroristes Ahrar al-Sham, Jabhat al-Nosra et État islamique».

«L’ensemble des mis en examen ont, dans une logique de recherche de profits» pour Lafarge ou pour eux-mêmes «organisé, validé, facilité ou mis en oeuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie, à des périodes où cette qualification était factuellement établie, voire internationalement reconnue», assène le magistrat antiterroriste.

Pour l’ex-PDG Bruno Lafont, le Pnat estime qu’il «a validé la stratégie suivie en maintenant l’activité de la cimenterie en connaissance des financements distribués aux groupes terroristes».

Le parquet évacue aussi le serpent de mer du dossier, celui de «l’influence éventuelle des autorités étatiques» françaises dans ce maintien de l’activité de la cimenterie.

Pour le Pnat, il n’est «pas établi que le groupe Lafarge ait fait l’objet d’une quelconque incitation directe à se maintenir en Syrie dans le contexte de la guerre civile en contradiction avec son propre intérêt économique et donc avec son propre processus de décision».

Le ministère public recentre la responsabilité sur Lafarge et ses cadres en estimant derechef qu’il n’est pas prouvé qu’au moment des faits visés, «les cadres du groupe aient partagé avec les services diplomatiques (français) les détails du fonctionnement sécuritaire mis en oeuvre et supposant des paiements à des groupes armés terroristes».

«Victoire d’étape»

En juin, les magistrats instructeurs avaient disjoint et clôturé la partie financement du terrorisme pour continuer l’enquête sur un autre volet, portant sur une possible complicité de crimes contre l’humanité de la société.

Mi-janvier, la Cour de cassation a définitivement validé cette rarissime mise en examen, rendant plausible un autre procès, cette fois devant les assises.

Mais certaines parties civiles doutent désormais de la volonté de la justice française: «On espère vraiment que ce n’est pas une disjonction pour renvoyer aux calendes grecques ce volet portant sur les crimes contre l’humanité», a indiqué Me Clémence Bectarte, avocate du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression.

La plus haute juridiction judiciaire avait en revanche annulé les poursuites pour mise en danger des salariés de la cimenterie.

«Ce réquisitoire est une victoire d’étape pour les clients, le parquet sollicitant le renvoi des mis en cause pour l’écrasante majorité des faits dénoncés» s’est félicité l’un des avocats de salariés syriens sollicités par l’AFP, Me Joseph Breham.

En octobre 2022, Lafarge a plaidé coupable et accepté de payer une sanction financière de 778 millions de dollars aux Etats-Unis pour ces faits.

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