Une année de rupture

Nicolette de Joncaire

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Steen Jakobsen n’avait pas prédit le coronavirus. Mais avec ou sans, 2020 sera une année houleuse.

«Nous envisageons 2020 comme une année où la rupture du statu quo sera un thème majeur» annonçait Steen Jakobsen en introduction de ses 10 prévisions choc pour 20201. De son propre aveu, il ne croyait pas si bien dire. Si le coronavirus – qu’il admet ne pas avoir vu venir - n’est pas encore un cygne noir, c’est déjà l’un des chocs les plus importants de l’année. Mais ce ne sera pas le seul. Entretien avec le chef économiste et CIO de Saxo Bank.

L’épidémie de coronavirus ne faisait pas partie de vos prédictions-choc pour 2020. Quels impacts économiques anticipez-vous?

Il est encore difficile de se prononcer tant que nous ne saurons pas quand l’épidémie atteindra son pic et quelle sera son étendue à ce moment-là. Cela fait maintenant un peu plus de deux semaines que la Chine s’est refermée et elle aura besoin d’un minimum de deux semaines supplémentaires d’isolation selon les estimations actuelles. Ce que l’on peut conclure aujourd’hui est que la perte d’élan de l’économie est déjà palpable et qu’un éventuel potentiel reflationniste est mort-né. La remise à l’heure des cadrans ne sera pas pour cette année. 

«L’accord Chine-USA de phase 1 était entièrement prévisible depuis
le début et correspond exactement à ce que les Chinois voulaient.»
L’accord Chine-USA semble avoir apaisé les tensions. Le considérez-vous comme satisfaisant?

Cet accord est souvent présenté comme une réussite au public américain. Il offre une trêve qui permet à Trump de se recentrer sur les élections. En réalité, il était entièrement prévisible depuis le début et correspond exactement à ce que les Chinois voulaient. Des 144 points débattus, il était facile de s’entendre sur 40%. C’est donc la phase 1. La phase 2 abordera des points plus délicats, plus proches du cœur des problèmes. Quant à la phase 3, elle n’aura tout simplement jamais lieu. Car en aucun cas les Chinois n’autoriseront le système de monitoring envisagé.

Quels seront les points abordés en phase 2?

Il sera question d’accès au marché financier chinois – pour l’heure entièrement régi par le droit chinois et non par le droit international -, du rôle et du soutien des entreprises d’Etat chinoises et des interventions de la Chine au niveau international. Comme vous vous en doutez, des sujets sensibles qui feront l’objet de discussions compliquées. Mais je n’en attends rien avant fin 2020. Donald Trump va se calmer en préparation des élections et se recentrer sur l’Europe (avec les GAFA, le franc suisse et le climat). Persuadé d’être arrivé à ses fins avec les Chinois, il entend appliquer son approche musclée à de nouvelles cibles. Sans se rendre compte que la phase 1 est exactement ce que les Chinois attendaient et que l’Europe risque d’être plus coriace qu’il ne l’imagine. Les Etats-Unis en sont arrivés à surestimer leur propre importance.

«Aujourd’hui, les taux négatifs n’apportent aucun bénéfice économique
et conduisent à une allocation erronée, voire néfaste, du capital.»
La dette à intérêt négatif a atteint des montants extraordinaires. Quel sens ont les taux négatifs aujourd’hui?

Aucun. Ils n’apportent aucun bénéfice économique et conduisent à une allocation erronée, voire néfaste, du capital. En outre, ce sont les mêmes opérateurs – les banques centrales – qui achètent et qui vendent, conduisant à une surenchère des montants. Les banques centrales devraient contrôler la dépense et non l’encourager. Mais elles ne sont plus indépendantes et font le jeu des gouvernements en les aidant à monétiser leurs déficits budgétaires. Quant aux gouvernements, ils devraient mener des programmes qui renforcent la productivité et préparent un futur durable… et non acheter des voix. Le stimulus fiscal en période d’expansion comme l’a pratiqué Trump? Du jamais vu. Cette année, au moindre soupçon de récession toutes les banques centrales réenclencheront le QE. Quant à la Fed, je la vois mal relever les taux en période pré-électorale. 

Trump sera-t-il réélu?

Il fera certainement tout et n’importe quoi pour l’être. Y compris, comme il en est coutumier, imposer de nouveaux codes narratifs manipulateurs. Il est encore trop tôt pour porter un jugement mais, d’ici mai, le candidat démocrate sera désigné et le suivi des élections deviendra bien plus intéressant. Si je devais faire un pronostic, je pense que le choix démocrate se fera entre Sanders et Warren. Ce qui est certain, c’est que la croissance structurelle aux Etats-Unis est en train de s’essouffler et, pour Trump, c’est la course contre la montre. Si le taux de participation est au-dessous de 50%, Trump gagnera peut-être mais, s’il est au-dessus, il risque de perdre. Les femmes, les jeunes en ont assez. Beaucoup de ceux qui ne votent pas d’habitude – la majorité silencieuse – pourraient bien se manifester. 

Le pétrole a augmenté de plus de 34% l’an dernier. N’y-a-t-il pas une certaine incohérence entre la «finance verte» et une demande toujours existante en énergies fossiles?

Le pétrole est en baisse de 25% depuis le début de l’année mais en-dehors de ces aléas de prix, il est impossible d’imaginer le futur de manière rationnelle sans y inclure l’industrie pétrolière et les énergies fossiles. Si nous cessons aujourd’hui tout investissement dans ces énergies, nous sommes assurés d’avoir à faire face à une crise majeure. Une politique d’investissement verte correcte doit inclure les compagnies pétrolières, en particulier celles qui introduisent des solutions alternatives… y compris une énergie nucléaire bien pensée.

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