Mettre fin au règne du dollar fort – Prévisions de Saxo Bank

Communiqué, Saxo Bank

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«La politique monétaire est en bout de course et se révèle être un échec», déclare Steen Jakobsen, économiste en chef et CIO de Saxo Bank.

Saxo Bank, spécialiste du trading et de l’investissement en ligne, publie aujourd’hui ses prévisions relatives au quatrième trimestre 2019 pour les marchés mondiaux, ainsi que ses principales idées de trading concernant les actions, le marché des changes, les matières premières, les obligations et une série de thèmes macroéconomiques ayant un impact sur les portefeuilles des clients.

«On se souviendra très certainement de 2019 comme le début de la fin de la plus vaste expérience monétaire jamais tentée, comme l’année qui a débouché sur une récession mondiale en dépit des taux d’intérêt nominaux et réels les plus faibles jamais observés. La politique monétaire est en bout de course et se révèle être un échec», déclare Steen Jakobsen, Chief Economist et CIO chez Saxo Bank.

Dans un système mondial de politiques monétaires inopérantes et où l’élaboration de la politique bud-gétaire est le fruit d’un parcours du combattant, l’économie mondiale n’a plus qu’un seul outil à sa disposition, à savoir abaisser le prix de la monnaie mondiale elle-même: le dollar américain.

On estime que la dette mondiale s’élève à 240 000 milliards de dollars, soit quelque 240% du PIB mondial. Une partie trop importante de cette dette est libellée en dollars en raison du rôle de monnaie de réserve joué par le billet vert ainsi que de la profondeur et de la liquidité des marchés des capitaux américains.

À cet égard, les perspectives pour toutes les catégories d’actifs deviennent fonction de la liquidité et de la direction de la monnaie américaine. Un dollar trop fort accroît les tensions au sein du système: pour les exportations américaines, mais aussi pour les marchés émergents, qui sont fortement tribu-taires des financements américains et des machines d’exportation.

La fin du dollar fort signera probablement la fin du grand cycle du crédit amorcé au début des années 1980, quand le bilan des États-Unis a été stabilisé et que le dollar US a été consacré par la victoire de Paul Volcker sur l’inflation, dans le sillage de l’abandon de l’étalon-or par le président Nixon en 1971. Depuis, ce grand cycle a été dynamisé par la mondialisation et par la création d’argent offshore par le biais de l’octroi de prêts.

Un dollar plus faible permet de gagner du temps mais ne constitue pas une solution structurelle. C’est le moyen le plus simple de résoudre rapidement ce qui plombe les marchés mondiaux et celui propre à soulever le moins de résistance politique. La chute du roi dollar est annoncée. Mais les États-Unis doivent prendre garde à viser les bons objectifs.»

Dans ce contexte incertain, voici les principales idées et principaux thèmes de trading de Saxo pour le quatrième trimestre:

Actions américaines: fin de la surperformance en vue

Le niveau record atteint par le dollar US en août 2019 a fait dire au Secrétaire d’État au Trésor Steve Mnuchin que le gouvernement n’avait pas l’intention d’intervenir sur sa monnaie pour le moment – et ce bien qu’il ait déclaré également que l’administration Trump avait envisagé de le faire. Autrement dit, les États-Unis prévoient d’intervenir si la Banque fédérale américaine (Fed) échoue à affaiblir le dollar par le jeu de la politique monétaire.

«Tout affaiblissement de l’USD devrait aiguillonner les marchés des actions», a commenté Peter Garnry, responsable de la Stratégie Actions. «Monnaie de réserve internationale, principale monnaie de négoce et devise utilisée sur les marchés des matières premières, le dollar est un pilier important des conditions financières. Depuis la crise de 2008, les pays émergents ont considérablement accru leurs émissions d’obligations libellées en dollars, ce qui a ajouté aux obstacles posés par le billet vert à la croissance. Si on subdivise la période en phases de force ou de faiblesse du dollar US réel, on voit apparaître un schéma clair. Dès que le dollar se raffermit, le marché des actions américain surperforme les marchés mondiaux hors États-Unis et les marchés émergents, et inversement. Une forme quelconque d’intervention le dollar constitue la prochaine étape logique. La politique monétaire a perdu son efficacité et le stimulus budgétaire se propage trop lentement pour compenser l’affaissement de l’économie mondiale (les indicateurs avancés de l’OCDE sont en recul depuis 18 mois sans interruption). La grande ironie de toute intervention sur le dollar est qu’elle profitera en partie à la Chine. Voilà qui n’est pas exactement la stratégie du gouvernement Trump mais, en affaires comme ailleurs, il faut savoir faire des compromis. En février 2019, les marchés des actions ont fêté les dix ans de leur plus bas niveau atteint durant la crise financière. Ce temps fort a coïncidé avec une surperformance historique par rapport à l’indice des bons du Trésor américains de 339% ou 16% en valeur annualisée. C’est l’une des décennies les plus fastes pour l’évolution des actions américaines par rapport aux obligations d’État depuis 1973, qui n’est surpassée, et de peu, que par le pic des dot.com. Il est fort probable que les dix années à venir ne génèrent pas de rendements des actions attrayants en termes de surperformance, encore moins si l’on tient compte du risque de dégradation par rapport au risque d’embellie. Les investisseurs qui tentent de contrer une baisse des rendements en s’exposant uniquement aux actions exposent également leurs portefeuilles au risque d’erreurs de politique et d’une potentielle récession mondiale – celle-ci ayant 25 à 40% de chances de frapper dans les six à douze prochains mois».

Si la Fed ne bride pas le dollar, Trump se fera un plaisir de le faire à sa place

Nous avons tenté de savoir quand le dollar US fléchirait cette année, en avertissant que la route serait semée d’embûches compte tenu que la Réserve fédérale américaine serait amenée à prendre les devants – ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire à ce jour. Le marché s’attend à ce que la Fed maintienne globalement le cap choisi il y a un trimestre de cela, et un nombre croissant d’éléments prouvent qu’elle n’a peut-être pas les outils – ni, ce qui est plus important encore, la volonté – de prendre le taureau par les cornes. Si le gouvernement Trump vient à intervenir, il aura probablement recours aux grands moyens.

«Comme les banques centrales étrangères ne sont plus capables d’accumuler des réserves en dollars US et qu’elles n’ont plus intérêt à le faire, le financement de ces déficits repose désormais largement sur les agents nationaux», a commenté John Hardy, responsable de la Stratégie Forex. «Or les banques, pas plus que les épargnants, n’ont les moyens d’absorber le flot d’argent frais. Il devient urgent d’agir, et cette responsabilité incombera à la Réserve fédérale, qu’elle le veuille ou non. La Fed s’est jusqu’à présent montrée trop prudente pour s’attaquer au problème. Mais au quatrième trimestre, il est probable qu’elle sera obligée de répondre par des moyens encore plus amples à la poursuite de l’octroi de liquidités. Surtout, il se peut que le gouvernement Trump s’empare des rênes de la politique monétaire. La réticence à agir manifestée par la Fed et l’obscurcissement de l’horizon économique rendent presque certain le fait que le gouvernement ne reculera devant aucun moyen pour obtenir le financement dont il a besoin en vue d’assurer la réélection du président Trump en 2020. Non sans ironie, après un trimestre durant lequel le spectre de la déflation permanente a inquiété le monde entier, cette configuration des politiques garantit presque que nous nous dirigeons tout droit vers un retour de l’inflation, et peut-être de la stagflation».

Asie-Pacifique: le billet vert au coeur des préoccupations

Le panier USD pondéré en fonction des échanges commerciaux américains se négocie à des sommets historiques. Le dollar, qui affiche cette année une progression ininterrompue, continue d’asphyxier lentement le système tel un incendie non maîtrisé. Ceci en dépit de l’engagement général des hedge funds sur des positions longues en dollars et des pressions exercées par l’équipe Trump. Pourquoi le billet vert se maintient-il à de tels niveaux et comment les acteurs du marché ont-ils pu se méprendre à ce point sur son évolution cette année?

«Tout est question de relativité», estime Kay Van-Petersen, Global Macro Strategist. «Les États-Unis continuent d’afficher une croissance économique supérieure à celle du reste du monde. Bien qu’elle ait commencé à réduire ses taux, la Réserve fédérale pratique encore le taux directeur de loin le plus élevé du monde développé, à une période où nombre de pays réduisent drastiquement les leurs. Les tarifs douaniers et les gesticulations de Trump au niveau international sont plus dommageables pour le reste du monde que pour les États-Unis, et contribuent de ce fait à une surperformance américaine relative. Les faits et gestes du président consolident l’USD au lieu de l’affaiblir».

En faisant campagne sur les tarifs douaniers, Trump renforcera peut-être son image de président déterminé auprès de son électorat – et aura peut-être un plus grand contrôle sur la circulation de l’information en 2020. Sans compter qu’il aura peut-être la possibilité de justifier des dépenses budgétaires plus importantes si les turbulences économiques causées par les tarifs douaniers perdurent. Il n’y a pour l’heure aucun plafond à court terme au-dessus du couple dollar-yuan tant que Trump mène l’offensive.

Matières premières: le repli du dollar propulse l’or vers de nouveaux sommets

À la panique budgétaire mondiale qui a mobilisé l’attention de Saxo Bank dans ses dernières prévisions trimestrielles pourrait s’ajouter un repli du dollar au cours des prochains mois. La combinaison de ces deux éléments fournira, malgré les risques de récession, une assise aux cours des métaux (industriels et surtout précieux), ainsi que des principales matières premières agricoles américaines qui ont besoin d’un dollar moins cher pour redevenir compétitives par rapport à la production d’autres régions.

«L’or, qui a finalement mis fin à cinq années de négoce dans le bas de la fourchette pour atteindre notre cible de 1485 dollars l’once, devrait continuer à bénéficier de multiples vents arrière au cours des mois à venir», selon Ole Hansen, responsable de la Stratégie Commodity. «La flambée du troisième trimestre a été déclenchée par la chute des rendements obligataires mondiaux – sans aucune influence favorable du dollar qui a gagné près de 2% par rapport à un panier réunissant les principales devises. Nous maintenons nos prévisions de hausse pour le métal jaune, en nous basant sur l’hypothèse selon laquelle le dollar va marquer le pas et les rendements obligataires mondiaux resteront faibles. Le risque majeur de notre scénario de progression des matières premières réside dans la potentielle conclusion d’un accord commercial majeur entre les États-Unis et la Chine, ce qui entraînerait une révision à la baisse des attentes des marchés quant à l’ampleur du repli des taux américains. Le pétrole brut continue d’évoluer dans une large fourchette, oscillant entre le risque d’un fléchissement de la demande consécutif au ralentissement de l’économie mondiale et le risque de la constitution de réserves à la suite de sanctions et de conflits. L’Agence internationale de l’énergie prévoit un risque d’offre excédentaire au tournant de l’année 2020, qui pourrait contraindre l’OPEP et d’autres pays à diminuer leur production afin de limiter la chute des cours. L’attaque de drones qui a eu lieu contre la plus grande usine de traitement pétrolier du monde en Arabie saoudite à la mi-septembre a mis en évidence la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Une hausse de cours dictée par l’offre en période de décroissance de la demande s’achève rarement de manière  satisfaisante. Alors que le pétrole brut de Brent se négociera selon nous à 60 dollars le baril d’ici à la fin de l’année, il se peut qu’une prime de risque géopolitique maintienne le marché à des niveaux élevés durant les semaines à venir, jusqu’à ce que la production saoudienne revienne à la normale et qu’avec un peu de chance la menace d’un conflit se dissipe peu à peu».

Liquidités en USD: la pluie avant le beau temps

La disponibilité du dollar américain dans le monde fait partie des grandes préoccupations du moment. Nous vivons dans un monde construit sur le billet vert et les liquidités en USD jouent un rôle moteur pour l’économie mondiale et les marchés financiers. Le monde affronte depuis 2014 un problème structurel de pénurie de dollars, imputable d’une part au resserrement monétaire quantitatif pratiqué par la Réserve fédérale américaine, et d’autre part au niveau relativement bas des cours du pétrole qui se traduit par une moindre quantité de pétrodollars en circulation.

«L’émission d’un grand nombre de bons du Trésor américain dans une période de demande en USD forte et déjà ancienne va vider le marché de ses liquidités et compliquer davantage les conditions financières dans le courant de l’automne (octobre et novembre), pour finir par accroître les risques sur les segments de marché déjà fragilisés», a commenté Christopher Dembik, Head of Macroeconomic Analysis. «L’horizon se dégagera à l’approche de 2020 avec l’amélioration des conditions financières et de la disponibilité du dollar. Les banques centrales auront intérêt à faire les choses en grand au cours des mois à venir pour faire face à la récession du commerce mondial, aux différends commerciaux et au ralentissement généralisé. Après des années d’achats en masse, les banques centrales ont vu leurs liquidités se contracter à partir de début 2018. Mais la tendance est en train de s’inverser. Ces liquidités se trouvent encore largement en territoire négatif, mais elles sont en expansion et représentent actuellement -2,5% du PIB  Cette embellie s’explique en ce moment avant tout par l’injection positive de liquidités par la Banque du Japon. D’autres grandes banques centrales lui emboîteront le pas du fait que le durcissement des conditions financières oblige la Réserve fédérale à rechercher le compromis et que la Banque centrale européenne aura besoin de soutenir l’économie de la zone euro durant une période prolongée. Il se peut également que nous assistions à une amélioration de notre indicateur macroéconomique préféré, l’impulsion mondiale du crédit, qui suggère la possibilité d’un rebond de la croissance mondiale au premier semestre 2020, essentiellement porté par les États-Unis. Selon les données les plus récentes nous disposons, l’impulsion américaine du crédit ressort actuellement à son plus haut niveau depuis début 2018, soit 1,2% du PIB. L’effet de l’impulsion du crédit sera amplifié par les incitations budgétaires fiscal push dans de nombreux pays. Si cette vigueur se confirme – et il est encore trop tôt pour le dire –, elle pourrait ouvrir davantage de perspectives positives pour l’économie et les marchés en 2020».

Démesure monétaire dans l’économie ‘miracle’

La négativité et l’incertitude omniprésente ont donné le ton sur les marchés durant l’été, tandis que les tensions commerciales s’aggravaient, que les indices des directeurs d'achats s’effondraient et que plusieurs zones de tensions géopolitiques s’enflammaient. Dans le même temps, le dollar est resté fort, culminant à son plus haut niveau en plus de 20 ans, durcissant les conditions financières dans le monde entier, balayant les amorces d’amélioration et ouvrant la voie à un décrochage de la croissance économique. Cette conjonction de facteurs a déclenché une spirale infernale au niveau mondial qui a dominé le tableau estival, et entraîné des fluctuations de cours fortement corrélées pour de nombreux actifs.

«Le mécontentement politique perdure faute de solutions, tandis que le ralentissement de la croissance et le repli des taux d’intérêt persisteront durant une période prolongée de sous-performance économique», ajoute Eleanor Creagh, stratégiste marchés. «La banque centrale australienne (Reserve Bank of Australia, RBA) diminuera de nouveau son taux de base en octobre, tandis qu’aux États-Unis, la Fed procèdera à une nouvelle réduction de 25 points de base d’ici à la fin de l’année lorsque la croissance américaine s’alignera à la baisse sur le reste du monde. Pour ce qui est du commerce, les vrais problèmes ne sont toujours pas résolus et le président Trump a toujours un compte Twitter pour alimenter la volatilité. Malgré la trêve, les tarifs douaniers ont été relevés en mai et en septembre, et l’incertitude est grande. Cette situation pèse sur la confiance et les décisions de dépenses en capital tout en accélérant la séparation entre le commerce mondial et la technologie. Un accord temporaire visant à remédier au déficit commercial a été conclu mais aucune avancée n’a été réalisée sur des sujets essentiels tels que la réforme de la propriété intellectuelle, les modalités des transferts de technologies ou la mise en oeuvre d’un accord quelconque. La dynamique sous-jacente, qui a des prolongements bien au-delà du seul commerce, est génératrice d’une escalade des tensions ininterrompue en dépit des quelques solutions ponctuelles, ce qui signifie que la pression sur les actifs à risque subsiste à moyen terme. Les relations sino-américaines ont changé du tout au tout. Nous avons atteint le point où les conflits qui en découlent pourraient avoir des implications de grande ampleur pour l’économie. Les actions demeurent dans une situation précaire, proche de sommets historiques à un moment où le cycle économique continue de ralentir. La croissance des revenus s’effrite alors que les estimations du consensus demeurent trop optimistes. Les liquidités en USD font défaut, et le risque de voir la dynamique récessive à l’oeuvre dans le secteur manufacturier et l’industrie s’étendre aux services, au marché de l’emploi et à la consommation est en train d’augmenter. Dans le même temps, le stimulus monétaire a un effet amortisseur moindre que durant les cycles passés».

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