Les dividendes, un facteur de discipline

Yves Hulmann

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Pour Jim Lydotes, gérant chez Newton, les entreprises qui versent des dividendes élevés de façon régulière évitent en général d’investir leur argent dans des projets hasardeux.

Miser sur les actions des entreprises qui offrent des rendements élevés n’est pas seulement intéressant sur le plan financier mais cela permet aussi de sélectionner les sociétés qui ont la meilleure discipline dans la gestion de leurs affaires. Explications avec Jim Lydotes, responsable equity income and responsable adjoint de l'investissement en actions de Newton, une société qui appartient à BNY Mellon Investment Management.

Pourquoi faudrait-il investir actuellement dans des actions d’entreprises offrant des dividendes élevés plutôt que placer son argent dans des obligations de qualité investissement (IG) qui, elles aussi, versent des coupons qui sont également redevenus plus attrayants?

Il est vrai que les rendements des obligations sont beaucoup plus attrayants qu’il y a quelques années. Toutefois, même si les rendements de nombreuses obligations sont redevenus plus intéressants, celles-ci n’offrent pas pour autant une véritable protection contre l’inflation, contrairement aux actions à dividendes élevés.

Faut-il vraiment s’inquiéter encore de l’inflation – qui est plutôt en train de refluer par rapport aux niveaux observés en début d’année?

Il ne faut pas sous-estimer l’inflation à mon avis. Les pressions inflationnistes vont encore persister, y compris aux Etats-Unis. Il y a plusieurs tendances de fond qui tendent à s’accumuler et à se renforcer sur le plan global: d’un côté, il y a une forme de déglobalisation dans certaines chaînes d’approvisionnement; de l’autre, on assiste à un phénomène de re-shoring, à savoir que les entreprises préfèrent s’approvisionner auprès de fournisseurs situés dans des pays jugés plus stables, ou du moins plus compatibles avec leur manière de fonctionner. S’y ajoutent les départs à la retraite de cohortes importantes de travailleuses et travailleurs au cours des prochaines années.

«Les programmes de rachat d’actions sont souvent très pro-cycliques. Nombre d’entreprises rachètent leurs actions sur le marché à des prix beaucoup trop élevés.»

Aux Etats-Unis, le marché du travail reste relativement tendu malgré le ralentissement de la conjoncture. Il suffit de regarder les exigences salariales posées par les représentants du personnel de l’industrie automobile à Detroit qui réclame des hausses salariales de 40% au cours des prochaines années. Bref, même si les prix de l’énergie et des matières premières devaient rester stables ces prochains mois, il y a de nombreux facteurs inflationnistes qui vont persister pendant encore un moment. Même si l’économie devait encore ralentir, le pouvoir de négociation est plutôt aux mains des salariés dans un grand nombre de secteurs. Le seul contre-exemple qui me vient à l’esprit est celui du secteur des valeurs technologiques où le nombre d’emplois supprimés durant le premier trimestre de cette année a dépassé les chiffres pour l’ensemble de 2022.

Vous affirmez que les actions à dividendes élevés offrent une protection naturelle contre l’inflation: pourquoi est-ce le cas au juste?

Il y a deux raisons, entre autres, qui rendent les actions d’entreprises à dividendes élevés intéressantes par rapport à d’autres placements. D’une part, vous possédez des titres qui génèrent des revenus réguliers. D’autre part, les actions des entreprises qui offrent des dividendes élevés et de façon régulière font en général preuve d’une meilleure discipline. Le fait de devoir verser des dividendes élevés régulièrement discipline les entreprises. Dans la pharma, par exemple, les sociétés qui versent des dividendes élevés et de manière constante évitent de gaspiller leur argent en l’investissant dans des projets de recherche et développement hasardeux. Ces groupes pharmaceutiques investissent plutôt dans des produits ou traitements déjà situés à un stade avancé. Cela fait que ces groupes pharmaceutiques présentent des caractéristiques qui s’apparent plus aux biens de consommation qu’aux sciences de la vie ou à la biotech.

A l’inverse, il y a – pour citer un contre-exemple - certaines sociétés technologiques comme Facebook qui, plutôt que de verser des dividendes attrayants, dépensent des sommes d’argent colossales pour développer des projets aventureux comme le Metaverse qui ne lui ont, jusqu’ici, pas rapporté grand-chose.

Plutôt que de verser des dividendes plus élevés, certaines entreprises préfèrent lancer régulièrement des programmes de rachat de leurs propres actions. Qu’en pensez-vous?

Il y a des aspects pour et contre. L’aspect positif est que vous accroissez ainsi le ratio entre les dividendes versés et le nombre d’actions restantes. Il y a aussi des avantages sur le plan fiscal dans certains pays. L’inconvénient est que beaucoup de programmes de rachat d’actions sont, fréquemment du moins, lancés à un moment où les entreprises affichent de bons résultats et, parfois, ne savent pas trop comment réinvestir leurs réserves de liquidités. Dans ce sens, les programmes de rachat d’actions sont souvent très pro-cycliques. Nombre d’entreprises rachètent leurs actions sur le marché à des prix beaucoup trop élevés. Une alternative plus intéressante à mes yeux est plutôt de verser des dividendes spéciaux, au lieu de se lancer dans des programmes de rachat d’actions à des moments inopportuns.

«Nous sommes sous-investis dans la technologie actuellement, notamment parce que nous pensons que la ‘hype’ autour de l’intelligence artificielle a trop poussé à la hausse le cours de certaines actions.»
Si un investisseur obtient le même retour sur investissement avec le coupon d’une obligation qu’avec le dividende versé sur une action, que doit-il choisir?

Cela dépend bien sûr de son profil en tant qu’investisseur et de ses autres placements. Une différence importante est néanmoins la suivante: à supposer que vous obteniez un rendement de 5% avec une obligation, c’est bien mais à la fin de la période, vous devrez trouver une solution pour réinvestir cet argent. A supposer que vous l’ayez placé dans une action offrant un dividende de 5% par rapport à son prix d’achat, vous n’avez pas le problème de devoir réinvestir cet argent. Et, en plus, vous êtes propriétaire d’une part de l’entreprise, ce qui vous permet par exemple de voter lors des assemblées générales.

Comment sélectionnez-vous les titres qui figurent dans votre portefeuille?

Un premier critère est que le rendement des dividendes offert doit dépasser de 25% la moyenne du marché. En partant des titres de l’indice FTSE World 3000, vous réduisez déjà à environ 900 titres votre univers de placement. Nous y ajoutons ensuite successivement différents filtres de sélection qui ramène ce nombre aux environs de 200 sociétés. A partir de là, nous regardons de près l’historique de la société. A-t-elle été capable d’augmenter ses dividendes régulièrement sur la durée? Etre capable de verser des dividendes constants ou en hausse régulière pendant 5 ou 10 ans est un grand défi.

Pouvez-vous citer quelques exemples de titres figurant dans le Top 10 de votre fonds?

Dans la pharma, il y a Roche pour citer un exemple bien connu en Suisse. Outre le fait de verser des dividendes réguliers, le groupe pharmaceutique affiche aussi une valorisation attrayante actuellement. Nous investissons également dans de nombreuses entreprises de services aux collectivités («utilities»), un secteur qui a plutôt sous-performé en bourse cette année mais qui a l’avantage d’offrir des revenus réguliers.

A l’opposé, nous sommes sous-investis dans la technologie actuellement, notamment parce que nous pensons que la «hype» autour de l’intelligence artificielle a trop poussé à la hausse le cours de certaines actions.

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