Les coûts d’une 13e rente AVS peuvent difficilement être contrebalancés par une hausse de l’âge de la retraite

Yves Hulmann

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En matière de placements, Compenswiss veut éviter une situation dans laquelle elle aurait besoin de liquider précipitamment des actions, souligne son directeur Eric Breval.

©Photo Jürg Kaufmann

 

Porté par le rebond des marchés des actions et par un environnement plus favorable pour les obligations, compenswiss a réalisé un résultat de placement de 4,98% en 2023, qui contraste avec la perte de près de 13% qui avait été subie en 2022. Pour autant, l’organe qui gère les Fonds de compensation AVS/AI/APG rappelle que, compte tenu d’une évolution démographique défavorable et du vieillissement de la population, il faut d’ores et déjà anticiper un résultat de répartition (cotisations et autres entrées – prestations versées) de l’AVS susceptible de redevenir négatif à partir de 2031, malgré le répit apporté par la réforme AVS 21 qui avait été acceptée en septembre 2022.

Quant aux deux objets soumis en votation en Suisse en mars prochain en lien avec l’AVS, Manuel Leuthold, le président du conseil d’administration de compenswiss, a rappelé mardi en préambule de la présentation des résultats de 2023 qu’il ne lui incombait pas de prendre position sur des sujets politiques. Quels sont les différents enjeux qui se poseront sur le plan financier pour les Fonds de compensation AVS/AI/APG au cours des prochaines années? Le point avec Eric Breval, directeur de compenswiss.

En 2023, compenswiss a réalisé un résultat de placement de 4,98% après couverture (3,01% avant couverture), qui contraste avec le net recul de près de 13% enregistré en 2022. La performance positive réalisée en 2023 a-t-elle des chances de pouvoir être répétée en 2024?

Si l’on décompose la performance réalisée l’an dernier, on peut observer qu’environ la moitié peut être imputée aux actions (ndlr: contribution après couverture de 2,68%) qui ont enregistré une bonne performance en particulier en novembre et décembre. L’autre moitié peut être grosso modo attribuée à la performance des obligations (ndlr: +1,11% pour les obligations en francs, +0,99% pour celles en monnaies étrangères) qui ont également profité de la baisse des taux en 2023.

A la question de savoir si cette performance positive de près de 5% pourra être répétée en 2024, la situation est doit être analysée différemment pour ces deux classes d’actifs. Concernant les actions, il est très difficile de formuler un quelconque pronostic à ce sujet, même si le début de l’année a été positif. En principe, si les taux d’intérêt continuent de diminuer suite aux premières réductions des taux attendues du côté des banques centrales, cela devrait constituer un environnement favorable pour les actions. Il peut toutefois y avoir toutes sortes d’autres facteurs qui influents sur l’évolution des marchés, qu’il s’agisse d’événements sur le plan géopolitique, des résultats des entreprises, des variations de changes, etc.

«Dans l’ensemble, le rendement attendu de nos placements reste maintenu aux environs de 2,5% pour cette année aussi.» 

S’agissant des obligations, les choses sont un peu plus prévisibles car, en cas de nouvelle baisse des taux d’intérêt, cela soutiendra la valorisation des obligations déjà émises. Néanmoins, il serait nécessaire que les taux d’intérêt baissent en 2024 une deuxième fois de manière aussi importante que l’an dernier pour que cela ait un impact aussi fort qu’en 2023. Dans l’ensemble, le rendement attendu de nos placements reste aux environs de 2,5% pour cette année aussi.

Pour la période allant de 2013 à 2023, compenswiss souligne que le rendement attendu a correspondu, en moyenne, pour l’entier de la période de dix ans presque exactement à la moyenne des performances effectivement réalisées. Entre 2013 et 2015, le rendement attendu dépassait toutefois encore les 3%. Compte tenu de la fin de l’ère des taux d’intérêt négatifs, serait-il possible d’obtenir à nouveaux des rendements annuels plus élevés en moyenne à l’avenir?

Le facteur qui a le plus d’influence sur la performance de nos placements est celui du niveau des taux d’intérêt. Si les taux d’intérêt évoluent peu, le rendement espéré se situera à nouveau aux environs de 2,5%. A supposer que les taux d’intérêt remontent à des niveaux plus élevés au cours des prochaines années, alors le rendement espéré pourrait à nouveau dépasser les 3%. Il n’y a toutefois rien actuellement qui nous incite à avoir de telles attentes.

Les actions constituaient près de 29% de l’allocation du portefeuille de marché à fin 2023. Serait-il possible d’augmenter cette part, qui est sensiblement inférieure à celle des caisses de pension?

Il serait techniquement possible d’augmenter la part investie en actions. Toutefois, dans un contexte où il y a un certain nombre d’incertitudes concernant les prestations que nous aurons besoin de fournir à l’avenir au niveau de nos passifs (liabilities), nous devons éviter une situation dans laquelle nous serions obligés de liquider précipitamment des actions afin de pouvoir verser des rentes. A supposer qu’il soit nécessaire à l’avenir de verser une 13ème rente, comme le propose l’initiative soumise en votations en mars, il faudrait alors probablement procéder à une liquidation partielle du portefeuille afin de pouvoir verser les rentes dues. Si compenswiss détenait, par exemple, une part de 50% d’actions dans son portefeuille et que nous devions revendre une partie de ces titres juste au moment où ceux-ci ont perdu de leur valeur en bourse, cela augmenterait le risque d’être obligé de réaliser des pertes sur nos placements.

«A supposer qu’il soit nécessaire à l’avenir de verser une 13ème rente, comme le propose l’initiative soumise en votations en mars, il faudrait alors probablement procéder à une liquidation partielle du portefeuille afin de pouvoir verser les rentes dues.»

Selon les prévisions réalisées par l’OFAS, le résultat de répartition annuel de l’AVS devrait être positif jusqu’en 2029, être équilibré en 2030 avant de retomber en territoire négatif à partir de 2031. Serait-il possible de compenser, en partie du moins, ces pertes grâce à des rendements plus élevés de votre portefeuille de placement?

Il faut garder à l’esprit que même qu’avec des rendements très positifs de notre portefeuille de marché, cela ne représente qu’une toute petite partie des prestations que nous devons verser. Sur la base d’une fortune gérée dépassant les 40 milliards de francs, un rendement annuel de 2% correspond à un peu plus de 800 millions de francs. Cela ne représente qu’une petite partie des 46 milliards de prestations que nous avons versées en 2023. Réaliser un rendement positif de nos placements est une bonne chose mais cela ne peut pas changer de fond en comble le financement de l’AVS.

D’autres facteurs comme l’impact de la réforme AVS 21, les possibles adaptations de l’âge de la retraite à l’avenir ou l’obligation de devoir verser une 13ème rente, si l’initiative était acceptée en mars, auront beaucoup d’impact sur la situation des Fonds de compensation AVS/AI/APG.

A supposer que l’initiative réclamant le versement d’une 13ème rente de l’AVS soit acceptée tout comme celle qui propose le relèvement de l’âge de la retraite en mars, laquelle de ces deux mesures aurait le plus d’impact sur le financement de l’AVS?

Il est bien sûr difficile d’effectuer des projections à ce sujet car cela dépendrait de la mise en œuvre de ces deux initiatives. Néanmoins, afin que les coûts supplémentaires résultant d’une 13ème rente de l’AVS puissent être contrebalancés par une augmentation de l’âge de la retraite, il faudrait que le relèvement de l’âge de la retraite aille bien au-delà de 66 ans. Il serait nécessaire que l’âge de la retraite soit porté à au moins 67 ans ou 67 ans et demi pour que cela ait un véritable impact et afin que cela puisse compenser les prestations supplémentaires dues en cas d’obligation de devoir verser une 13ème rente.

Au sujet de la prise en compte des critères de durabilité dans sa politique d’investissement, compenswiss souligne avoir procédé à 39 nouvelles exclusions d’entreprises, comparé à 4 réintégrations, pour des sociétés qui ont un lien avec l’extraction de charbon. Dans le domaine de la prévoyance, on observe que beaucoup de caisses de pension privilégient désormais la sélection des meilleures entreprises de leur catégorie («best-in-class») selon les critères ESG ou sur l’impact plutôt que la seule exclusion. Qu’en est-il chez compenswiss?

Nous ne recourrons à l’exclusion que pour un petit nombre d’entreprises et qui, souvent, ne représentent qu’une très petite partie de notre portefeuille. Dans l’ensemble, compenswiss mise davantage sur le dialogue actionnarial. A fin 2023, un dialogue était en cours avec 173 entreprises. Nous procédons à des exclusions que lorsqu’aucun dialogue n’est possible. A ce sujet, il faut aussi préciser que nous n’agissons pas seul sur ce plan mais en concertation avec l’Association suisse pour des investissements responsables (ASIR) dont nous comptons parmi les membres fondateurs. Nous gardons notre autonomie de décision en matière d’investissement responsable mais le fait de pouvoir compter sur l’appui de l’ASIR augmente le poids de notre action en rapport avec les questions liées à la durabilité. 

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