Le co-investissement est pro-cyclique. Et risqué.

Cyril Gomez

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La syndication d’investissement date de la bulle Internet et a pris une ampleur sans précédent, selon Cyril Demaria de Wellershoff & Partners.

Au cours de la décennie écoulée, une pratique du private equity a connu un essor particulièrement intense. Il s’agit de la syndication d’investissement (co-investing en anglais), qui consiste au partage des risques entre des investisseurs et des groupes de private equity dans le cadre de financement d’entreprises et de projets. L’ampleur de ce développement est telle qu’elle suscite aujourd’hui certaines interrogations quant aux risques que la syndication peut poser pour les investisseurs en cas de retournement brutal des marchés. A fortiori en raison du fait que cette approche s’est intensifiée durant un marché durablement et essentiellement haussier.

Cyril Demaria, Responsable des Marchés Privés au sein de la société de conseil en investissement Wellershoff & Partners, basée à Zurich, nous éclaire sur les caractéristiques, les avantages et les risques du co-investissement. L’expert attire également l’attention sur le concept de carve-out dans un contexte où le coût de l’emprunt n’a jamais été aussi bas.

L’idée est que les souscripteurs bénéficient d’un accès
aux opérations menées par les gérants de fonds.
Un des développements saillants de ces dernières années est le concept de co-investissement entre les LPs et les GPs. En quoi consiste celui-ci?

La syndication d’investissements est intrinsèque au métier d’investisseur en private equity. Il s’agit de partager le risque et d’inviter autour de la table des investisseurs qui ont des compétences complémentaires, pour maximiser les chances de réussite de l’investissement et donc sa performance. Deux options sont possibles. Tout d’abord les gérants de fonds s’associent entre eux. C’est le cas par exemple en capital-risque, mais également en capital-transmission (leveraged buy-out). Ensuite, les gérants s’associent aux investisseurs dans leurs fonds (souscripteurs). Ce dernier cas a effectivement acquis une certaine visibilité, notamment pour ce qui concerne les opérations de grande taille. L’idée est que les souscripteurs bénéficient d’un accès aux opérations menées par les gérants de fonds.

Quels sont les avantages que le co-investissement apporte aux LPs et aux GPs?

Théoriquement, il y a plusieurs avantages liés à cette pratique. Pour les gérants, tout d’abord, il s’agit de convaincre plus aisément les souscripteurs d’investir. Par ailleurs, cela évite de partager les opportunités d’investissement avec les gérants concurrents, une pratique qui a fait l’objet d’investigations en matière concurrentielle de la part de Securities & Exchange Commission (SEC) aux États-Unis. Pour les souscripteurs, ensuite, cela permet de surpondérer certains investissements dans leur portefeuille s’ils le souhaitent, mais également de déployer davantage de capital plus rapidement, d’observer plus précisément le travail des gérants (notamment pour ensuite décider de réinvestir dans la prochaine génération de fonds) et peut-être d’apprendre, et de réduire certains frais de gestion. Il convient de noter qu’en la matière, les pratiques ne sont pas uniformes et varient d’un gérant à l’autre.

Compte tenu du caractère récent de cette approche (post-crise financière) et, par conséquent, du manque d’expérience des parties impliquées, quels peuvent être les risques en cas de retournement de marché ou d’événements disruptifs de nature macro ou géopolitique?

En fait, les chiffres montrent que la pratique du co-investissement date déjà de la bulle Internet, en matière de capital-risque. Elle est devenue plus visible récemment du fait des grosses opérations de capital-transmission. Le co-investissement est pro-cyclique et c’est, d’ailleurs, l’un des risques importants: beaucoup de souscripteurs s’y intéressent en haut de cycle. Ils prennent le risque d’investir à des valorisations élevées et donc de réduire leur performance. Ensuite, il y a un risque de concentration du portefeuille: en ciblant des investissements, leur poids relatif augmente dans le portefeuille du souscripteur. S’ils échouent, le souscripteur accusera des pertes plus importantes.

Un souscripteur qui investit directement est exposé en tant que tel.
Il prend donc un risque juridique, réputationnel et opérationnel.

Par ailleurs, sélectionner les investissements nécessite des ressources importantes, notamment pour vérifier le travail du gérant et savoir quel type de risque est pris par le souscripteur. C’est sa responsabilité fiduciaire. Cela implique des coûts, en particulier parce que la SEC aux États-Unis a clairement insisté sur le fait que les co-investisseurs devaient supporter leur prorata systématiquement – y compris si l’investissement ne se fait pas. Cela augmente aussi le risque.

En effet, un souscripteur qui investit directement est exposé en tant que tel (alors que la structure du fonds le protège juridiquement). Il prend donc un risque juridique (appel en comblement de passif par exemple), réputationnel (l’exemple de Toys ‘R Us et sa faillite aux États-Unis viennent à l’esprit) et opérationnel (il faut gérer ces investissements au quotidien, ce qui crée un risque de compliance). Les gérants sont équipés et font cela à plein temps. Ce n’est pas nécessairement le cas des souscripteurs. Enfin, il faut bien noter que les souscripteurs n’ont pas un accès garanti et illimité aux opportunités: c’est au cas par cas et s’il y a de la place. Par ailleurs, des frais et coûts directs et indirects non négligeables sont applicables pour les co-investissements.

Y a-t-il un cadre réglementaire spécifique régissant ce type d’investissement?

Non, il s’agit du cadre habituel des investissements non cotés. Les règlements de fonds et documents associés déterminent les modalités de co-investissement qui sont négociées de gré à gré entre gérants et souscripteurs.

La logique du carve-out serait d’accélérer les désengagements
pour construire une position clé sur d’autres segments de marché.
Compte tenu de l’intensification des risques commerciaux et géopolitiques, les entreprises sont-elles actuellement tentées de céder des intérêts dans des filiales qu’elles contrôlent à des groupes de private equity dans le but de générer des flux de trésorerie à titre préventif? Je fais référence aux carve-outs?

C’est difficile à dire. Les carve-outs sont généralement opérés par les groupes souhaitant se recentrer sur un cœur de métier différent. Parfois, il s’agit de générer de la trésorerie pour se désendetter. Cependant, aujourd’hui, la course à la taille dans un contexte de dette peu chère est ce qui domine. La pratique est celle du «buy and build». C’est-à-dire celle consistant à prendre des parts de marché face à la concurrence en consolidant le secteur. La logique du carve-out serait d’accélérer les désengagements pour construire une position clé sur d’autres segments de marché. Je ne pense pas que les risques évoqués pour l’heure suscitent ce type de réflexe préventif de manière très significative.

Est-ce que le contexte actuel peut-il rendre difficile ces carve-outs, dans la mesure où une entreprise pourrait ne pas trouver d’acheteurs prêts à payer le prix demandé?

De fait, il y a beaucoup de capital disponible au sein des fonds de capital-transmission, mais également en termes de dette high yield pour structurer les opérations. Certes, arriver à un prix d’équilibre est toujours délicat, notamment si les marchés cotés ne fournissent pas un cadre de prix stable. Néanmoins, les gérants de fonds sont très expérimentés et créatifs. Il est toujours possible, par exemple, de se mettre d’accord sur un prix à date et d’envisager par exemple des clauses de compléments de prix (earn out) ou de garantie de passif pour arriver à un accord.